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En lisant « Ariel Sharon » de Luc Rosenzweig – 4/9

 

Retour à la terre, retour à la guerre

Ariel Sharon considère sa mise à la retraite comme une discrimination bien qu’elle ne soit en rien exceptionnelle au sein du corps des officiers, à son âge, en Israël. Il juge que c’est son engagement contre le Parti travailliste qui lui vaut cette déconvenue. Que faire ? Revenir à l’agriculture en achetant une propriété ? Car il n’est pas question de réintégrer une structure collectiviste. A force de parcourir le pays en tous sens, lui et sa femme finissent par trouver une exploitation agricole de quatre cents hectares près de Sdérot. Mais ses revenus et ses économies (il n’en a pas) ne lui permettent pas de faire un emprunt. Un certain Meshulam Riklis (considéré comme l’inventeur du Leverage Buy Out, LBO), un Américain, va lui venir en aide car il veut influer sur la politique israélienne en favorisant le libéralisme et l’individualisme, à contre-courant de l’opinion dominante ; et lui aussi se méfie du rêve du Grand Israël. Il juge que Menahem Begin (qui s’est radicalement opposé aux réparations versées par la R.F.A.) n’est pas l’homme approprié pour conduire Israël sur la voie de la libre entreprise et de la prospérité. Meshulam Riklis va donc appuyer deux généraux prestigieux, Ezer Weizman et Ariel Sharon dont il apprécie le pragmatisme politique et économique ainsi que leur défiance envers le Parti travailliste. Je passe sur les détails de ce prêt et sur les difficultés de remboursement liées à l’hyperinflation des années 1980 en Israël. Simplement, le couple Sharon, aidé par une solide équipe de travailleurs agricoles, dont quelques Bédouins, va faire de ce domaine agricole privé, et en une vingtaine d’années, l’un des plus prospères dans son genre du pays.

Une fois l’affaire lancée, Ariel Sharon revient à la politique, fidèle à la consigne de son mécène mais aussi par goût. Il sent que le Parti travailliste est usé par le pouvoir, ce qui donne une chance à la droite à la condition qu’elle s’unisse, une union à laquelle il va s’efforcer d’œuvrer en commençant pas organiser, seul, une grande conférence de presse, fin juillet 1973.

 

Menahem Begin (1913-1992)

 

Menahem Begin est mécontent car il juge, à raison, que son autorité est menacée. Il convoque Ariel Sharon et le gratifie d’une leçon de morale en lui rappelant les règles du jeu politique puis il lui propose de devenir membre d’un des partis de l’opposition (le Hérout ou les Libéraux) avant d’entamer des tractations avec les autres formations politiques de droite ou du centre. Ariel Sharon choisit le Parti libéral dont le corpus idéologique est plus léger que celui du Hérout. Menahem Begin admire Ariel Sharon mais il l’inquiète aussi : cet homme est trop indépendant, trop direct et, surtout, il n’a pas suivi la filière traditionnelle d’un dirigeant politique de droite, celle des héroutniks. L’admiration est réciproque mais Ariel Sharon juge que Menahem Beguin appartient au passé avec son quasi-mysticisme et son lyrisme envers tout ce qui touche à la défense d’Israël, ce qui n’émeut guère le sabra Ariel Sharon.

Tout au long de l’été 1973, Ariel Sharon partage son temps entre la marche de son exploitation et son activité politique à Tel-Aviv. Menahem Begin s’assure qu’Ariel Sharon est bien encadré dans le Parti libéral avant de l’autoriser à tâter le terrain en vue d’organiser une coalition de droite, le Likoud (« unité » en hébreu) qui voit le jour le 14 septembre 1973, à cinq semaines des élections législatives. Ariel Sharon est chargé de la coordination de la campagne électorale du Parti libéral. Le 5 octobre, il reçoit un coup de téléphone du commandement Sud. On aimerait le consulter suite à d’importants mouvements de troupes égyptiennes. Idem au Nord, avec les Syriens. Ariel Sharon est formel, la guerre est proche. Moshé Dayan et Golda Meir, pour ne citer qu’eux, ne croient pas à une attaque imminente. On tergiverse. Certes, on mobilise mais en douceur, en faisant du porte-à-porte et non en émettant des messages cryptés par ondes radiophoniques. On verra après la fête du Kippour…

Lorsque l’attaque combinée des forces égyptiennes et syriennes est lancée le 6 octobre à quatorze heures, la mobilisation des réserves est loin d’être achevée. Sur la ligne Bar-Lev, les fortins sont laissés à eux-mêmes, sans aucun appui des chars ou de l’artillerie. Les Israéliens sont surpris et désemparés face à un ennemi bien plus nombreux et suréquipé en armement ultramoderne. Les lignes israéliennes sont enfoncées. Ariel Sharon trouve l’état-major en plein désarroi. Et, une fois encore, ses rapports avec les autres généraux sont tendus, notamment avec Shmuel Gonen, son supérieur par ailleurs peu doué pour diriger des opérations complexes. Ariel Sharon commence par lui conseiller de déplacer son Q.G. au plus près des combats mais il se fait rabrouer. Les hésitations de Shmuel Gonen le font enrager lui qui dénonce depuis des années la ligne de défense statique conçue par Haïm Bar-Lev après 1967. Il préconise le franchissement du canal avec contre-attaque éclair et en coup de faux. Ariel Sharon présente sa proposition qui engage deux divisions, mais Shmuel Gonen la repousse car il a arrêté ses plans. Concernant la suite des opérations, on pourra se reporter à l’article en deux parties que j’ai publié sur ce blog même, « La guerre du Kippour, 6/24 octobre » :

http://zakhor-online.com/?p=16197

http://zakhor-online.com/?p=16214

 Ariel Sharon : « En cette journée cruciale du 8 octobre, on nous a fait balader dans le désert comme des imbéciles » ; et sous ce « on » se cache le nom de Shmuel Gonen. Signalons que la politisation de l’armée est telle que Golda Meir elle-même (qu’Ariel Sharon admire) ne veut pas prendre le risque de voir le « général Likoud », expression par laquelle on désigne Ariel Sharon dans les hautes sphères du Parti travailliste, passer pour le sauveur du pays… Il n’en reste pas moins que le grand vainqueur de cette guerre côté israélien est bien le général Ariel Sharon. Sa critique de la ligne Bar-Lev s’est révélée prophétique et sa manœuvre de franchissement du canal de Suez a précipité la défaite égyptienne. Il apparaît bien pour la majorité des Israéliens comme le sauveur du pays.    

 

1974-1977 : trois années de turbulences

L’euphorie de juin 1967 n’est pourtant pas de mise à l’automne 1973. Les morts et les blessés sont nombreux et la confiance envers les responsables politiques et militaires est ébranlée.

31 décembre 1973, Ariel Sharon est l’un des trente-neuf élus du Likoud ; mais c’est le bloc de gauche qui garde la majorité à la Knesset en dépit de la crise de confiance de la population. 20 janvier 1974, il publie un dernier ordre du jour en forme d’adieu à sa division. Et quelques jours plus tard, au cours d’un grand meeting, il critique l’accord passé à Genève par le gouvernement Golda Meir et accuse l’état-major de coupables négligences dans la préparation et la conduite de la guerre. Il dénonce la politisation des hautes sphères de l’armée et provoque la fureur du chef d’état-major, David Elazar, qui destitue Ariel Sharon du commandement de sa division de réserve. Les querelles et les intrigues politiques lui donnent l’impression de faire du sur-place et il quitte la présidence de la commission politique du Likoud. Membre de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, il se signale par ses attaques contre le chef de la diplomatie israélienne, Abba Eban. Mais, surtout, il s’ennuie à la Knesset. Il aimerait convaincre l’OLP de faire de la Jordanie (Transjordanie) un État palestinien en renversant la monarchie. Cette option restera la seule réponse israélienne à la revendication nationale palestinienne jusqu’à la reconnaissance mutuelle et le processus d’Oslo, bien que Hussein ait annoncé dès le 24 octobre 1974 que son pays renonçait au profit de l’OLP à toute prétention sur la Cisjordanie.

La commission d’enquête (présidée par Shimon Agranat) mise en place par le gouvernement (sous la pression populaire, suite aux manquements constatés dans la préparation et la conduite de la guerre) charge lourdement le chef d’état-major David Elazar, le chef des renseignements Eliyahou Zeira et le général Shmuel Gonen. Le pouvoir politique pourtant épargné sort très affaibli et Golda Meir présente sa démission le 11 avril 1974. Moshé Dayan présente la sienne suite à deux attaques de fédayins dans le Nord d’Israël. On lui reproche de ne pas avoir su gérer la situation.

Début juin, Ytzhak Rabin devient Premier ministre et Shimon Peres ministre de la Défense. Ytzhak Rabin qui s’est souvent engueulé avec Ariel Sharon s’empresse de le rétablir commandant d’une division de réserve. Par ailleurs, il n’a pas une totale confiance en son ministre de la Défense et il espère de la sorte pouvoir bénéficier des conseils d’Ariel Sharon qui par ailleurs s’ennuie dans la vie parlementaire. Son côté franc-tireur choque les sages politiciens qui aimeraient écarter cet agité.

Ytzhak Rabin pense lui proposer le poste qu’il convoite, celui de chef d’état-major ; mais la gauche s’en émeut et il doit faire marche arrière ; et cette même gauche fait voter une loi spécifiquement dirigée contre Ariel Sharon, à savoir qu’il est désormais impossible de cumuler un siège au Parlement et une responsabilité opérationnelle au-delà du grade de colonel. Décembre 1974, il démissionne de la Knesset. Juin 1975, il accepte le poste de conseiller auprès du Premier ministre pour les affaires de sécurité, ce qui déplaît à Shimon Peres et Mordekhaï Gur, le chef d’état-major. Ariel Sharon démissionne lorsqu’il comprend qu’il ne pourra pas succéder à ce dernier.

L’inflation galope. L’emprunt indexé sur le dollar oblige le couple Sharon à réorienter sa production vers l’exportation, ce qui exige un surcroît de travail. Ces travaux ne l’empêchent pas de dénoncer la corruption de membres du gouvernement et de réclamer une refonte des institutions du pays, avec remise en cause du système des partis. Mais pour l’heure, il lui faut faire avec. Il reprend contact avec le Parti libéral mais se fait rembarrer ; on l’invite à retourner aux travaux des champs. On n’a pas oublié son bref passage à la Knesset en 1974. La droite lui fait par ailleurs comprendre qu’en cas de victoire, elle préférera Menahem Begin. Ariel Sharon juge que le cadre de la vie politique du pays est vermoulu et qu’il faut en finir avec les vieux clivages en mettant l’accent sur la sécurité d’Israël et la justice sociale.

Avec quelques amis, il fonde un nouveau parti, Schlomzion, début 1977. Il juge que le succès de cette formation dépend de sa capacité à attirer les « déçus de gauche » et il prend contact avec Yossi Sarid, un responsable travailliste qui conserve encore une forte popularité dans un parti en pleine décrépitude. Le dialogue entre ces deux hommes portera essentiellement sur des questions sociales. Les débuts de ce parti sont plutôt prometteurs ; mais trois semaines après sa fondation un autre parti naît, le Dash, idéologiquement proche de Schlomzion et qui, selon les sondages, capte mieux les déçus des deux grands blocs. Aussi Ariel Sharon reprend contact avec le Likoud qui le refuse.

18 mai 1977, le Likoud arrive en tête avec quarante-trois sièges (contre trente-deux pour les travaillistes et quinze pour Dash) et Schlomzion n’a que deux sièges Menahem Begin lui propose de le rejoindre. Ariel Sharon dissout alors son parti dans le Hérout, ce qui porte à soixante (majorité absolue) le nombre de sièges pour les partis de droite.

 

Ministre des Implantations

Menahem Begin s’efforce de jouer en douceur lorsqu’il lui faut constituer son gouvernement. Il doit d’abord rassurer l’administration de Jimmy Carter et de Cyrus Vance, pas si favorable à Israël, qui juge avec d’autres que Menahem Begin et Ytzhak Shamir sont des terroristes qui risquent de mettre la région à feu et à sang. Aussi Menahem Begin rappelle-t-il Moshé Dayan, mondialement connu et reconnu et plutôt rassurant, au poste de ministre des Affaires étrangères. Autre poste clé, celui de ministre de la Défense. Menahem Begin pense à Ariel Sharon, mais c’en est trop pour le Hérout (membre de la coalition du Likoud).

Menahem Begin propose à Ariel Sharon le poste de ministre de la Sécurité intérieure et la coordination de la lutte antiterroriste ; mais il refuse car ce soldat ne veut pas se faire policier. Il suggère alors au Premier ministre de lui confier le ministère de l’Agriculture et la présidence de la commission ministérielle des Implantations, ce qui est accepté. Ariel Sharon va surtout s’intéresser à un projet d’implantations dans les territoires conquis en 1967. De fait, hormis la période au cours de laquelle il occupera le poste de ministre de la Défense, Ariel Sharon s’arrangera toujours en tant que ministre pour surveiller l’expansion des « colonies » (le mot anglais, plus neutre, settlement, me semble préférable).

Une question débattue depuis 1967, tant en Israël qu’à l’extérieur, mêle des éléments de la doctrine fondamentale du projet sioniste (sur tout ou une partie d’Eretz Israël) et des questions de sécurité, celles qui préoccupent en priorité Ariel Sharon. Dans la coalition de droite qu’est le Likoud (outre le Parti national religieux), seul le Hérout est encore diversement favorable au développement des settlements en Cisjordanie. La position d’Ariel Sharon est invariable sur cette question, et exclusivement pour des raisons de sécurité : tenir l’arrière-pays afin de protéger la plaine côtière où se concentrent les forces vives du pays et inclure Jérusalem réunifiée dans l’État d’Israël. Son plan donc n’est pas d’annexer et de peupler massivement de Juifs la Cisjordanie mais d’organiser par l’implantation d’agglomérations sur les collines, à quelques kilomètres de la « ligne verte », une deuxième ligne de défense au cas où des agresseurs viendraient à franchir le système défensif installé par les Travaillistes (voir le plan Allon) le long de la vallée du Jourdain. Concernant Jérusalem, le plan est quant à lui nettement annexionniste avec ces implantations disposées en fer à cheval à l’est et le grignotage de la ville arabe par de nouveaux quartiers juifs. Le plan concernant la Cisjordanie est présenté le 29 septembre 1977. Il inclut la construction de trois axes traversant ce territoire d’est en ouest et destinés à assurer l’acheminement rapide de renforts vers la vallée du Jourdain, avec des implantations construites de long de ces axes afin d’assurer leur surveillance. Cette politique inquiète ceux qui espèrent avant tout faire aboutir les négociations avec l’Égypte qui viennent de s’engager sous l’égide des États-Unis.

Le 19 novembre 1977, Sadate est en visite à Jérusalem et Ariel Sharon lui est présenté. La rencontre est plutôt cordiale. Mais entre cette visite et mars 1979, période de négociation du traité de paix, la politique des implantations d’Ariel Sharon met Sadate dans l’embarras, tant vis-à-vis des Palestiniens que de l’ensemble du monde arabe. Son refus catégorique de démanteler les implantations du Nord-Sinaï (à commencer par Yamit), destinées à couper la bande de Gaza de tout approvisionnement en armes, risque de faire échouer la rencontre de Camp David. Pressé par des responsables israéliens, Ariel Sharon finit par revenir sur son refus.

 (à suivre)

Olivier Ypsilantis

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