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La guerre du Kippour, 6 / 24 octobre 1973 – 1/2

 

Cet article prend appui sur la remarquable étude de Pierre Razoux, « Tsahal – Nouvelle histoire de l’armée israélienne ». Pierre Razoux a soutenu sa thèse de doctorat en histoire sur la guerre du Kippour. Ci-joint, un documentaire sur cette guerre :

https://www.youtube.com/watch?v=lU5pcJF2pk4

 

Israël se laisse surprendre, d’autant plus que le Yom Kippour paralyse la plupart des lignes de communication du pays. L’état-major est dans la confusion. Un général propose de lancer une attaque aérienne préventive contre l’Égypte et la Syrie. A cet effet, les avions sont armés de munitions pour des attaques au sol. Dans la matinée du 6 octobre, réunion de crise présidée par Golda Meir. L’idée d’une attaque préventive est écartée de peur de faire passer Israël pour l’agresseur.  Moshé Dayan soutient Golda Meir. Une attaque préventive risquerait surtout de mécontenter les États-Unis, seul État à financer et livrer des armes à Israël.

 

Golda Meir (1898-1978)

 

La mobilisation générale est décrétée et l’alerte transmise au front nord et au front sud. Les implantions le long du Golan reçoivent l’ordre d’être évacuées mais cet ordre est imparfaitement retransmis pour cause de Yom Kippour. Ils seront nombreux à être surpris par l’attaque syrienne.

6 octobre, 14 h 05, les sirènes retentissent en Israël. La guerre vient de commencer. Le pays est abasourdi. L’attaque est déclenchée au sud, avec deux cents appareils égyptiens qui foncent vers leurs objectifs dans le Sinaï. Deux vagues se suivent dans l’après-midi de cette journée. Les deux bases aériennes israéliennes de Refidim et d’Ofira sont harcelées ainsi que divers autres points. A l’aviation s’ajoutent des salves de missiles balistiques. Pendant ce temps, un puissant tir de barrage matraque la ligne Bar-Lev, avec cent mille obus de gros calibre tirés en moins d’une heure. 14 h 20, fantassins et commandos des 2e et 3e armées égyptiennes traversent le canal ; ils sont protégés par un brouillard artificiel et se positionnent entre les fortins israéliens. Jusqu’à la tombée de la nuit, des soldats égyptiens escaladent la muraille de sable de la ligne Bar-Lev tandis que des commandos se dispersent dans le Sinaï afin de contrarier les contre-attaques des blindés de Tsahal. Les sapeurs attaquent cette muraille à l’aide de puissants canons à eau et construisent des ponts sur le canal de Suez. Cinq divisions d’infanterie établissent des têtes de pont et les principaux ouvrages de la ligne Bar-Lev sont peu à peu isolés. La 130e brigade mécanisée amphibie égyptienne effectue un raid jusqu’au col de Giddi avant de se replier. Des parachutistes sont héliportés et désorganisent les arrières israéliens. Quand la nuit tombe, trente-cinq mille Égyptiens ont franchi le canal. Les fortins de la ligne Bar-Lev tombent les uns après les autres. Dans la nuit, de nombreux véhiculent franchissent le canal. Le lendemain, les têtes de pont sont élargies, protégées par une très puissante couverture antiaérienne. Dix ponts ont été construits. Vingt-quatre heures après le début de l’attaque, cent mille hommes et un millier de blindés soutenus par une puissante artillerie attendent la contre-attaque israélienne sur la rive orientale du canal.

Quelques minutes après le début de l’attaque égyptienne, l’armée syrienne attaque au nord. Préparation d’artillerie puis avance de trois divisions d’infanterie appuyées par de nombreux éléments blindés et mécaniques. Des parachutistes héliportés s’emparent de la station d’écoute électronique sur le mont Hermon d’où ils bénéficient d’une vue d’ensemble sur le théâtre des opérations, ce qui leur permet de guider les tirs de l’artillerie. L’aviation syrienne est de la partie.

Sur le Golan, dans la soirée, des blindés israéliens s’efforcent d’endiguer l’attaque en changeant sans cesse de position ; mais ils doivent vite céder et abandonnent nombre de points d’appui. Les blindés syriens font une percée dans le sud du Golan, par la trouée de Rafid ; puis deux divisions blindées syriennes sont engagées et six cents chars parcourent le Golan à la recherche de cibles. La brigade blindée israélienne « Barak » est écrasée ; les survivants reculent, hagards ; les renforts israéliens arrivent et trouvent les leurs totalement désorganisés. Il faut voir le film d’Amos Gutaï, « Kippour », qui fut lui-même engagé dans ces combats.

Des combattants israéliens repartent au combat, comme le capitaine Zvika Greengold qui redonne courage à des équipages épuisés et isolés qui pensent avoir le soutien d’une brigade au complet arrivée en renfort, alors que cet officier ne dispose que de quatre chars réparés à la hâte, des chars qui détruiront une vingtaine de blindés syriens.

 

Zvika Greengold (né en 1952)

 

La situation est moins confuse au nord du Golan. La brigade « Golani » tient la bourgade druze de Majdal Shams et les contreforts du mont Hermon. La 7e brigade blindée commandée par le colonel Avigdor Ben Gal contient la poussée au nord de Kuneitra.

Vingt minutes après le déclenchement des sirènes annonçant le début des hostilités, les premiers chasseurs-bombardiers israéliens se jettent dans la bataille, par petits groupes et d’une manière désordonnée. Vers 16 h (nous sommes le 6 octobre), l’aviation israélienne intervient massivement contre les ponts construits sur le canal par le génie égyptien : mais la défense antiaérienne est extraordinairement dense et les Israéliens perdent cinquante appareils dès les premières vingt-quatre heures tandis qu’aucun pont n’est détruit. Une soixantaine de chars égyptiens sont éliminés mais aucune des batteries de missiles antiaériennes (dont les SAM-6) disposées le long du canal n’a été neutralisée. Lourdes pertes et résultats médiocres pour Tsahal.

Une division blindée de Tsahal contre-attaque mais il lui manque un plan d’ensemble car l’état-major ne parvient pas à définir l’axe principal de l’offensive égyptienne. Les groupes de chars israéliens n’ont aucun appui d’infanterie ou d’artillerie, pas même des éclaireurs. Ils sont nombreux à être détruits par des commandos égyptiens bien équipés en armes antichars. Ceux qui parviennent à franchir ce réseau mortel sont pris pour cibles par les chars égyptiens tapis le long du canal de Suez. Une fois encore, lourdes pertes et résultats médiocres pour Tsahal. En quelques heures, la division a perdu les deux-tiers de ses chars, soit deux cents chars. Elle est relevée par une autre division. Par ailleurs, la 35e brigade parachutiste est héliportée afin de protéger les installations pétrolières israéliennes, sur la côte méridionale du Sinaï.

Nuit du 7 au 8 octobre. Le général Ariel Sharon et sa division arrivent en renfort. Ariel Sharon planifie une opération visant à évacuer les défenseurs de la ligne Bar-Lev qui, cernés de partout, multiplient les appels au secours. Il faut visionner à ce sujet les interviews de ces survivants dans « Tsahal » de Claude Lanzman. Ariel Sharon refuse d’abandonner ces hommes et se heurte au général Samuel Gonen qui juge l’opération trop risquée. Les deux généraux ne vont plus cesser de s’affronter, portant ainsi préjudice à l’unité du commandement.

 

Général Ariel Sharon (1928-2014)

 

8 octobre. La ligne Bar Lev est entièrement aux mains des Égyptiens, à l’exception de deux points d’appui situés à chacune de ses extrémités. L’un d’eux tombera le 13 octobre ; l’autre, au nord, tiendra. Le général Samuel Gonen ordonne une attaque générale et frontale sur tout le front sud. Mal préparée, elle échoue. Les pertes sont lourdes et les Égyptiens poursuivent leur avance, méthodiquement. Ariel Sharon s’en prend ouvertement à Samuel Gonen qui au cours de cette offensive a multiplié ordres et contrordres. Le ministre de la Défense, Moshe Dayan, en tournée sur le front, analyse la situation avec les commandants d’unités. Ariel Sharon accuse Samuel Gonen qui a refusé d’appliquer son plan, soit une attaque latérale conduite par deux divisions blindées (dont la sienne) et convergeant vers un même point, un plan simple mais efficace, probablement plus efficace en la circonstance que d’étirer ainsi ses forces et attaquer frontalement. Moshe Dayan propose de placer Samuel Gonen sous les ordres d’Ariel Sharon, une décision critiquée. Un compromis est trouvé : Samuel Gonen reste à son poste mais on lui adjoint Haïm Bar Lev, ministre de l’Industrie et ancien général, qui assurera officieusement le commandement sur le front sud. Ariel Sharon est sévèrement réprimandé pour son insubordination.

8 octobre. Ordre est donné aux pilotes israéliens d’éviter le canal de Suez, à l’exception du secteur de Port Saïd. A 11 h, deux formations de chasseurs-bombardiers attaquent ce secteur. L’objectif est triple : 1. Y empêcher l’installation de missiles balistiques qui donneraient aux Égyptiens la possibilité de menacer la région de Tel Aviv. 2. Faire comprendre à l’Égypte à quoi s’expose sa population si une campagne de bombardement stratégique est lancée. 3. Tester de nouvelles méthodes d’attaque contre les batteries de missiles antiaériennes.

7 octobre dans le Golan, début de matinée. Les premiers renforts israéliens arrivent alors que l’ennemi occupe plus de la moitié du Golan. Les Israéliens sont au bord de l’effondrement. Mais, curieusement (et pour des raisons probablement plus politiques que strictement militaires), l’état-major syrien décide en fin de journée une pause opérationnelle. Elle va permettre aux Israéliens de reprendre le contrôle du carrefour de Nafakh, de se réorganiser et de stabiliser la situation, sans parvenir toutefois à s’emparer de la station d’écoute électronique du mont Hermon. L’armée de l’air s’en prend aux batteries de missiles SAM-6. Au nord de Kuneitra, la 7e brigade blindée fixe les Syriens qui affluent en renfort pour faire sauter un verrou qui leur permettrait de prendre le contrôle de toute la partie nord du Golan. Ce mouvement syrien permet d’atténuer la pression exercée contre les troupes israéliennes. Quatre cents chars syriens sont stoppés par soixante chars israéliens, placés sous les ordres du colonel Avigdor Ben Gal, pendant près de soixante-douze heures. Ce lieu sera connu comme « la Vallée des Larmes ». Bien qu’en forte infériorité numérique, les Israéliens occupent des positions avantageuses. Au cours de cet engagement, le lieutenant-colonel d’origine yéménite Avigdor Kahalani, vingt-huit ans, détruit à lui seul vingt-cinq chars tandis que son bataillon est crédité de la destruction de plus de cent cinquante chars. Le lieutenant-colonel Yossi Ben Hanan, rentré précipitamment de son voyage de noces au Népal, réorganise une force blindée, remonte le moral de ses soldats et fait définitivement pencher la balance en faveur des Israéliens qui gardent le contrôle de la Vallée des Larmes. Les Syriens ont perdu trois cents chars et le général syrien responsable de cette manœuvre est contraint au suicide. Au centre du Golan, les renforts israéliens ont stoppé la poussée syrienne. Deux divisions blindées de réserve repoussent l’ennemi vers leurs lignes de départ. La brigade « Golani » tient sa position au nord du Golan.

 

Avigdor Kahalani (né en 1944)

 

9 octobre. Les forces syriennes sont encerclées. Le lendemain, Kuneitra tombe et les dernières poches de résistance syriennes sont réduites. En fin d’après-midi, tout le Golan est sous contrôle israélien à l’exception de la station d’écoute électronique du mont Hermon. En fin de soirée, l’état-major de Tsahal donne son accord pour une offensive aérienne contre des objectifs variés sur tout le territoire syrien. Damas est visé, notamment le complexe abritant l’état-major général et celui des forces aériennes. Des objectifs divers sont détruits : raffineries de pétrole, centrales électriques, ponts, dépôts de carburant, réservoirs d’eau potable, vastes dépôts de matériel, etc. Israël se garde toutefois de frapper des objectifs vitaux (comme les barrages sur l’Euphrate) ou symboliques (comme le palais présidentiel).

Le 10 octobre, l’état-major israélien décide d’engager une offensive terrestre vers Damas afin de casser les reins de l’armée syrienne et conquérir des territoires afin de compenser la perte de ceux qui seront à coup sûr rétrocédés dans le Sinaï au cours des pourparlers de paix qui s’en suivront. Le 11 octobre, en fin de matinée, deux divisions blindées de Tsahal longent sur leur flanc gauche la chaîne du mont Hermon et s’avancent vers la capitale syrienne, une progression ralentie par des éléments syriens et le contingent marocain. Au crépuscule, les Israéliens ont progressé d’une dizaine de kilomètres, à mi-distance entre Kuneitra et Sassa. Le lendemain, ils piétinent devant Tel Shams, un promontoire qui défend l’accès à Sassa et où les Syriens sont soutenus par des Irakiens et des Jordaniens. Le 13 octobre, les Israéliens contiennent sur leur flanc droit une forte poussée irakienne et s’emparent de promontoires qui leur assurent d’excellentes positions défensives. A la nuit tombée, des parachutistes israéliens s’emparent de Tel Shams. Mais les Israéliens sont épuisés, à cours de munitions et de carburant. Ils n’ont pu prendre Sassa mais assurent une solide défense des territoires conquis.

Le front se stabilise et les Syriens renforcent leur ligne de défense ainsi que la garnison de Sassa. Ils sont appuyés par divers contingents arabes, des Saoudiens et des Koweitiens. A partir du 14 octobre, guerre de position. On s’affronte aussi dans les airs. 19 octobre, violente contre-attaque des forces blindées arabes sur le flanc droit des Israéliens qui après avoir été sur le point de céder parviennent à repousser l’attaque, un succès tactique qu’ils ne peuvent exploiter dans le but de s’emparer de Sassa. Les Israéliens alignent dans ce secteur sept brigades aux équipages épuisés, à cours de munitions et de carburant, tandis que les Syriens et leurs alliés alignent vingt-quatre brigades encore fraîches. 21 octobre, combats sporadiques le long du front mais, surtout, la station d’écoute électronique du mont Hermon est reprise par la brigade « Golani ». Des avions syriens tentent en représailles de bombarder la région de Haïfa, presque tous sont abattus ou repoussés.

Depuis le 8 octobre, le front sud, dans le Sinaï, s’est stabilisé. Les Égyptiens disposent de deux solides têtes de pont, de part et d’autre du lac Amer, chacune d’une profondeur d’environ douze kilomètres. La ligne de défense israélienne s’est établie à une quinzaine de kilomètres du canal. Les Égyptiens tentent à deux reprises de la percer, sans appui aérien ; ils sont repoussés avec de lourdes pertes dues pour l’essentiel à l’aviation israélienne. 13 octobre, et contre l’avis de son chef d’état-major, le général Saadal al-Shazly, Sadate ordonne au gros de la réserve blindée égyptienne de franchir le canal en vue d’une offensive. Il est pressé par ses alliés syriens en mauvaise posture et ses fournisseurs en armes, les Soviétiques. Le commandement israélien va prendre une décision audacieuse : franchir le canal (à l’extrémité nord du lac Amer) en un point où les forces spéciales ont décelé les 9 et 10 octobre un point faible, à la fonction de la 2e et 3e armées égyptiennes. 14 octobre, une intense préparation d’artillerie précède une offensive égyptienne. Deux mille blindés se trouvent engagés dans la plus grande bataille de chars depuis la Deuxième Guerre mondiale. Contrairement aux pilotes israéliens, les pilotes égyptiens appuient sans succès la progression de leurs blindés. En fin d’après-midi, les Égyptiens se retirent dans leurs têtes de pont. Ils ont perdu près de quatre cent cinquante blindés en tout genre. Après huit jours de combats incertains Israël va reprendre l’initiative.

  (à suivre)

Olivier Ypsilantis

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