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Des moments de l’histoire juive – 1/20

Les textes de cette suite ont été relus par Hannah, une amie de Jérusalem. J’ai reporté ses remarques, entre parenthèses et en italique.

 

Hypothèse. L’alphabet serait né dans la presqu’île sinaïtique où, à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, on a relevé une série d’inscriptions rappelant d’une part l’écriture égyptienne, d’autre part l’alphabet hébréo-phénicien. Certains spécialistes en déduisent que les signes de cet alphabet ont été tracés par des Sémites (Contrairement à ce que beaucoup écrivent, le mot “sémite” s’applique seulement à un groupe de langues et non pas à des personnes. Créé dans le champ de la philologie pour désigner une famille de langues, le terme “sémite” a été utilisé à partir du XIXème siècle pour imaginer les locuteurs de ces langues comme participants d’une race humaine particulière ; cette conception est aujourd’hui abandonnée par la communauté scientifique) à partir de l’égyptien. On a également émis l’hypothèse (peu sérieuse et probablement orientée) que cette simplification de l’écriture égyptienne aurait été élaborée par des Sémites incultes, employés dans les mines de turquoise exploitées par les Égyptiens dès la XIIème dynastie, en un lieu appelé Sarabit al-Khadim où ont été relevées les inscriptions en question.

(Voici un article de Joseph Cohen sur l’origine de l’alphabet hébraïque. Quand je lui faisais remarquer qu’il utilisait l’expression “les peuples sémites” alors que Mireille Hadas-Lebel et David Cohen, qui furent nos professeurs de linguistique, s’opposaient à cette expression, “peuples sémites”, il me rétorquait qu’elle était d’usage courant et qu’il était donc possible de l’employer ! :

https://www.morim.com/alphabet%20marseille.pdf

 

Et voici une conférence de Mireille Hadas-Lebel sur le même sujet :


https://akadem.org/sommaire/cours/l-hebreu-3000-d-histoire/a-l-origine-de-la-langue-hebraique-1-9-04-06-2019-111877_4841.php

 

https://akadem.org/sommaire/themes/culture/langues-juives/introduction/le-cas-unique-de-l-hebreu-30-01-2014-57134_469.php)

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La plus ancienne production d’une certaine importance de la littérature hébraïque est le poème relatif à la victoire remportée par Deborah et Baraq sur le Cananéen Sisera. Ce document rend compte de l’état des tribus israélites après leur installation à Canaan, des tribus qui vivent alors dans un état d’anarchie presque complet ; et pourtant, elles ont déjà conscience de former un seul peuple. Cette conscience nationale ne peut être née au cours de leur installation à Canaan car il n’y a pas eu conquête, soit un effort commun, mais pénétration lente de ces tribus, chacune agissant pour son propre compte. On peut donc en conclure ou, tout au moins, avancer l’hypothèse selon laquelle la conscience nationale d’Israël s’est constituée à une époque antérieure, aux temps mosaïques. Ce poème nous signale que cet intense sentiment national procède de la foi en Yahvé, un sentiment qui ne prend corps dans aucune institution politique centrale, qui s’ancre dans une religion foncièrement nationale avec, à l’arrière-plan, la haute figure de Moïse.

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La haute figure de Moïse, l’homme qui va unir les tribus hébraïques pour en faire un peuple. Blessé par l’humiliation infligée à ses frères, Moïse confédère les tribus (Si seulement ! Il se contente de les guider à travers le Sinaï, il est vrai dans un ordre très militaire.) Malgré la dispersion dans le désert, malgré toute absence de pouvoir central, il parvient grâce à la force de sa personnalité et à la solidarité que finit par instituer une longue suite d’épreuves à fonder une religion nationale (le culte de Yahvé), un peuple enfin. Mais, objectera-t-on, d’autres peuples ont eu des religions nationales. La religion nationale instituée par Moïse était-elle en tous points semblable aux autres cultes de tribus, de confédérations ou d’États organisés qui existaient chez les Sémites ou s’en distinguait-elle déjà ? Il semble que la religion de Moïse ne différait pas de celle des autres peuples sémites par des doctrines prêchées (par Moïse) ou par des observances rituelles. La religion de Moïse différait par l’intensité de vie qu’elle portait en elle et par certains traits appelés à s’accentuer. (Par une conception morale et très moderne des relations entre les hommes. Par exemple la loi du talion si décriée existait déjà dans le code d’Hammourabi mais c’était une loi qui prenait au pied de la lettre le fait de prendre un œil ou une dent, alors qu’ici il s’agit de compensation selon le dommage et non pas selon le statut social.)

Intensité de vie par le sentiment de la puissance de son Dieu, un Dieu qui avait vaincu Pharaon et les dieux de l’Égypte, alors la plus grande puissance connue des Hébreux. L’ancien Israël a une foi particulièrement affermie quant à la sollicitude de Yahvé et dans tous les domaines de la vie nationale, en particulier la guerre et le maintien du droit. Mais surtout, et c’est ce qui fait l’incomparable grandeur de la religion d’Israël, il y a les prophètes, soit une haute inspiration morale, une morale qui souffre alors de graves manques mais qui annonce une justice moins implacable et une plus grande attention envers les faibles. Moïse a probablement inauguré la tradition de jurisprudence équitable et humaine qui s’est perpétuée durant des siècles dans la Torah orale des prêtres, une Torah qui a préparé la naissance de la Torah écrite.

Autre trait particulier de la religion d’Israël, l’exclusivisme. Cet exclusivisme ne suppose en aucun cas la négation par les Hébreux de l’existence ou des droits des dieux des autres peuples, cet exclusivisme ne suppose en aucun cas que les Hébreux chercheraient à imposer leur Dieu. Dernier trait de cette religion nationale, son caractère historique. Le Dieu des Hébreux s’inscrit dans l’histoire et il scelle l’Alliance avec son peuple par l’histoire.

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Les événements qui conduisent à faire de Saül le roi d’Israël sont sans doute de toute l’histoire nationale ceux qui proposent les versions les plus nombreuses et divergentes. Dans les faits il semble que Saül se soit signalé par une victoire sur les Philistins qui occupaient Guibea, sa ville natale, et qui à la suite de ce fait d’armes aurait été acclamé comme roi par les tribus. La grande affaire du règne de Saül reste la lutte contre les Philistins. Saül et trois de ses fils périssent en héros en combattant les Philistins. La Palestine centrale retombe sans doute sous la suzeraineté des Philistins. L’œuvre de libération et d’unification accomplie par Saül est réduite à rien ; et pourtant, nul ne songe à abolir la monarchie tant les succès de Saül se sont imposés.

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Le quatrième fils de Saül, Echbaal, succède à son père. Dans un même temps, David se constitue dans le Sud un État indépendant formé de diverses tribus avec pour capitale Hébron. C’est empiéter sur les droits d’Echbaal. S’en suit une guerre d’environ sept ans entre Echbaal et David, une guerre qui finit par tourner à l’avantage de David. Première tâche de David : libérer le pays des Philistins qui de fait attaquent les premiers, avant que les Israélites ne se renforcent. La lutte est probablement longue. Elle consiste surtout en escarmouches le long des zones frontalières où les hommes de David accomplissent nombre de prouesses individuelles. Fortement voire pesamment armés, les Philistins comptent dans leurs rangs nombre de combattants de haute taille – sur les bas-reliefs de Ramsès III, ils sont en général plus grands que les Égyptiens. Ils vont être non seulement expulsés du territoire des Israélites mais leur puissance va être définitivement abaissée. David peut alors entreprendre l’attaque de Jérusalem, ville aux mains des Cananéens et qui gêne les communications entre le nord et le sud de ses États, autrement dit les communications entre Juda et Israël.

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Ernest Renan s’est étonné que David ait choisi Jérusalem et non Hébron comme capitale, Hébron qu’il juge bien plus prestigieuse et de plus belle allure. Mais le choix de David dénote une remarquable perspicacité politique. En gardant Hébron comme capitale, David aurait pu laisser entendre au peuple qu’il ne voulait être qu’un roi de tribu et imposer à « Israël » une sorte de domination étrangère. Par ailleurs, s’il avait adopté une ville de Benjamin ou d’Éphraïm, il aurait pris le risque de mécontenter Juda, son plus ferme appui. Mais nous insistons, David est doué d’un sens politique hors du commun et il choisit une ville neutre, Jérusalem, ville conquise par un effort commun de tous ses sujets et très proche de Juda.

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Jérusalem devient capitale du royaume de David mais il lui manque le prestige religieux, alors essentiel. Les lieux saints cananéens sont annexés au culte de Yahvé mais il leur manque l’ancienneté yahviste. (Je ne pense pas que les lieux saints des Cananéens soient peu considérés parce qu’il leur manque une quelconque ancienneté religieuse qui leur confèrerait un certain prestige. Ils sont les lieux saints d’une population différente, ils ne sont pas annexés, ils coexistent tout simplement parce que les Cananéens vivent au milieu de leurs voisins hébreux.) David entreprend donc de faire rechercher le symbole divin le plus authentiquement yahviste, l’arche tombée aux mains des Philistins. A Qiryat Yearîm est découvert un coffre sacré que l’on affirme être celui de Silo revenu au pays des Philistins puis oublié pour des raisons mystérieuses. David le fait transporter en grande pompe dans sa citadelle de Jérusalem.

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Lorsque les Israélites entrent en Palestine, ils quittent en quelque sorte le domaine de Yahvé, soit le désert (oui, le désert “midbar” vient de la même racine que “medaber”, parle, ou “davar”, la parole, la racine דבר C’est l’endroit vide de ce qu’on appelle la civilisation et donc propice à recevoir la parole divine. La révélation au Sinaï est très particulière puisque le texte dit : ils virent les voix. Ma petite fille est persuadée qu’ils étaient tous atteints de synesthésie !) pour s’installer dans celui d’autres dieux. Or, d’après les idées en cours alors, il est entendu que lorsqu’on pénètre dans l’aire d’un dieu étranger, il convient de lui rendre le culte auquel il a droit afin de ne pas provoquer sa colère. Sur ce point, la conviction des Israélites ne diffère pas de celle des autres peuples de leur temps. Il ne s’agit pas pour autant d’abandonner la dévotion qui a été celle des ancêtres, il ne s’agit que d’une précaution jugée élémentaire (suivant les croyances en cours) : joindre au culte du dieu des pères celui des dieux de la contrée où l’on s’établit. (C’est certainement ce qu’il s’est passé bien que dès la Révélation, il leur fut interdit de tomber dans le syncrétisme) C’est par exemple ce que firent les colons étrangers que le roi d’Assyrie envoya en Palestine après la destruction du royaume d’Israël, des colons qui décimés par les dures conditions de vie et persuadés que Yahvé se vengeait se firent instruire afin de vénérer Yahvé en même temps que leurs propres divinités. Ainsi Yahvé se trouva en grand danger d’avoir à partager les hommages des Israélites avec les baals (soit les possesseurs du pays) de Canaan, le culte des baals menaçant non seulement de concurrencer celui de Yahvé mais de l’éclipser depuis que les nomades – ou semi-nomades – israélites s’étaient sédentarisés. Il n’y avait a priori aucun lien traditionnel et pertinent entre Yahvé, le dieu du Sinaï, et les récoltes. Au VIIIème siècle, Osée reproche à Israël de ne pas reconnaître que c’est Yahvé qui pourvoit à ses besoins et non les baals. Cette remarque au sujet des Israélites peut aisément être étendue aux Chrétiens et aux Musulmans pour ne citer qu’eux. Eux aussi ont hésité avant de se stabiliser dans le monothéisme. La religion était alors si intimement mêlée à tous les actes de la vie qu’il était très difficile de ne pas participer en quelque mesure au culte des voisins avec lesquels ont avait des rapports réguliers. L’installation en Canaan provoqua la crise la plus profonde qu’ait connu le yahvisme avant l’exil.

Olivier Ypsilantis

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