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Des moments de l’histoire juive, texte de présentation.

Ce texte est une présentation destinée à une suite de vingt textes numérotés de 1/20 à 20/20 et d’une autre suite de seize textes numérotés de I/XVI à XVI/XVI et intitulées « Des moments de l’histoire juive ». Cette suite est libre dans la mesure où elle ne se soucie guère de chronologie et de thématique.

Je ne suis pas juif, je ne pourrais donc être accusé d’ethnocentrisme comme je le suis à l’occasion.

Le monde juif (si difficile à définir, j’en conviens) m’interroge depuis que je suis enfant. Ce monde à commencer à m’interroger en creux, autrement dit par des manques. Deux d’entre eux ressortent : 1. La Shoah, soit l’entreprise d’éradication physique du peuple juif et l’interrogation jamais refermée suscitée par un projet inédit, en particulier dans ses moyens. 2. L’image négative du judaïsme et plus généralement des Juifs diversement véhiculée par le monde chrétien. En suivant attentivement les offices, et plus particulièrement en suivant la lecture du Nouveau Testament (une dénomination qui me semble ambiguë et à laquelle je préfère celle de Deuxième Testament), je découvrais comme malgré moi – comme guidé – des failles dans la muraille du récit.

Il ne s’agit en aucun cas de me livrer à un hit-parade des religions et des croyances. Je ne fais part que d’une expérience personnelle qui ne prétend à rien d’autre qu’à la rapporter aussi rigoureusement que possible sans jamais chercher à blesser telle ou telle sensibilité. Mais ce qui doit être dit doit être dit.

Je ne puis que reconnaître les mérites de Vatican II, il n’empêche que la lecture de ce livre nommé par les chrétiens « Nouveau Testament » me plonge souvent dans un profond malaise. Souvent, pas toujours, car ce qui me semble bon est le substrat juif, Jésus étant un juif lié à un courant du judaïsme sur lequel les spécialistes se penchent encore.

J’ai beaucoup lu la philosophie Simone Weil, une femme d’une intelligence supérieure qui a néanmoins écrit nombre de stupidités sur le judaïsme qu’elle connaissait mal. Elle écrit « Tout ce qui dans le christianisme est inspiré de l’Ancien Testament est mauvais ». J’ai très vite inversé cette affirmation en me disant que tout ce qui est bon dans le christianisme est juif et que ne qui ne l’est pas est mauvais, inutile, dogmatique. Dans ses écrits contre le judaïsme, Simone Weil m’a paradoxalement aidé à dans mon appréciation positive du judaïsme.

Le monde juif, monde à la fois limité et immense, est d’un singulier dynamisme qui ne cesse d’activer la contradiction pour en tirer d’inépuisables énergies ; c’est aussi pourquoi je compare souvent le judaïsme à une centrale nucléaire, avec réacteurs de fission nucléaire mais aussi de fusion nucléaire. Ce monde est raisonnable et déraisonnable car il pressent que la raison livrée à elle-même finit par s’étioler et que la déraison livrée à elle-même est meurtrière. Ce monde raisonnable, fait d’infatigables analyses (le Talmud), s’appuie sur un livre inspiré (déraisonnable à sa manière puisqu’inspiré), la Bible. L’analyse et la synthèse palpitent l’une en l’autre, respectueuses l’une de l’autre, inséparables, comme la diastole et la systole qui font battre le cœur. Le judaïsme est romantique (l’impulsion prophétique, le messianisme) mais il sait que le romantisme livré à lui-même est peut conduire à la folie. Il l’accompagne donc de l’analyse. Ce n’est pas rabaisser la Bible que de dire qu’elle est le livre romantique par excellence, qu’elle est la grande épopée.

La pensée juive est à la fois synthétique (la Bible) et analytique (le Talmud). Elle est élan autan que réflexion, l’une tombant dans la caricature d’elle-même sans l’autre.

Autre point (parmi de très nombreux autres points) qui me rapproche du judaïsme, la notion de justice en regard de l’amour. Justice amour. Les Juifs et les chrétiens ne sont pas irrémédiablement opposés, ils savent converger et partager certains espaces. Il est néanmoins important de prendre note de ce qui les sépare afin d’en discuter et ainsi éviter les malentendus qui ne savent qu’engendrer de l’irritation voire de la violence. Les Juifs insistent sur l’idée de justice tandis que les chrétiens brandissent l’étendard de l’amour. L’amour c’est bien, mais que d’injustices perpétrées au nom de l’amour… L’amour qui s’impose, qui enserre, qui étouffe. Je t’impose mon amour, je te fais t’agenouiller devant mon amour, devant la toute-puissance de l’amour. Les Juifs sont plus modestes et, tout compte fit plus raisonnables : ils insistent sur la justice en faisant remarquer que l’amour et la justice peuvent se rencontrer et s’entendre mais pas nécessairement, qu’il n’y a pas nécessairement adéquation entre l’un et l’autre. L’amour, que d’injustices et de crimes commis en ton nom. Le judaïsme est bien une religion inspirée et raisonnable.

Autre particularité du judaïsme. Le judaïsme appuie son universalité sur une singularité car il sait tout simplement qu’un tronc et un branchage ne peuvent se passer de racines. C’est une démarche sensée, raisonnable une fois encore, qui refuse les élans du christianisme et de l’islam qui ne pensent qu’à ramener autant d’ouilles que possible dans leurs filets. Le judaïsme n’est pas prosélyte même s’il a pu l’être ponctuellement et pour des raisons particulières. Il y a une singularité juive radicale, une singularité qui de ce fait ouvre à une universalité non moins radicale.

Mais je cesse pour l’heure ces questions qui pourraient occuper un livre entier, ces questions qui multiplient les questions dans une configuration exponentielle. Simplement, je trouve de plus substantielles nourritures dans la lecture les grands penseurs du judaïsme que dans celle des penseurs chrétiens, je ne puis le cacher par simple honnêteté intellectuelle et morale. Je ne prétends pas pour autant que le judaïsme soit supérieur à telle ou telle religion ; je n’écris pas pour attribuer des bons ou des mauvais points et établir un classement, autrement dit pour organiser un hit-parade, ce serait aussi vain que stupide.

Je lis les nouvelles ce matin 31 octobre 2023 et apprends ce qui suit, à savoir que l’ambassadeur israélien à l’ONU, Gilad Erdan, a placé une étoile jaune sur sa poitrine lors d’une réunion du Conseil de sécurité en déclarant qu’il la porterait aussi longtemps que ce Conseil de sécurité ne condamnerait pas le Hamas. Comment ne pas lui donner raison ? L’ONU est de plus en plus dominée par des pays hostiles à Israël. Cette organisation fondée avec les meilleures intentions n’est plus qu’une coquille brisée de laquelle se dégage une odeur de pourriture.

Dans cette suite de vingt textes (qui sera probablement amplifiée) j’ai laissé une assez large place au sionisme pour des raisons que le quatrième de couverture du livre de Georges Bensoussan, « Une histoire intellectuelle et politique du sionisme (1860-1940) » résume parfaitement ; je le cite dans son intégralité :

« Sioniste. L’adjectif claque comme une insulte. Le terme est aujourd’hui si déprécié que la réalité qu’il recouvre a fini par disparaître sous les strates de la stigmatisation, voire de la diabolisation. A la réalité d’une foi et d’une culture, le discours antisémite a répondu par des fantasmes effrayants en noyant sous la peur un objet de connaissance. A la réalité d’une idéologie et d’un mouvement national, atypique sur le fond, le rejet répond par un blâme tel qu’on aura du mal, de nos jours, à déterminer ce que furent les conditions de naissance du sionisme, son terreau nourricier comme la pluralité de ses significations. Confronté à tous les aspects de la modernité politique, en particulier aux problèmes de la nation, de la laïcité, de l’utopie sociale et de la culture, le sionisme, loin de ne parler qu’aux Juifs, contribue à poser les questions capitales du XXe siècle.

Qu’en est-il des rapports de la langue et de la nation, du peuple et du territoire, qu’advient-il d’une foi nationale dans le processus général de laïcisation ? Qu’en est-il des formes culturelles du politique dans les sociétés massifiées au sein desquelles le mouvement national juif a commencé à prendre forme il y a plus d’un siècle ? Ces questions ont disparu derrière la focalisation sur le conflit judéo-arabe. Paraphrasant Marc Bloch, nous aimerions dire aux protagonistes d’aujourd’hui : “Sionistes, antisionistes, par pitié, dites-nous ce que fut le sionisme !” »

Olivier Ypsilantis

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