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Notes de lecture (économie) – XI/XIII

Tableau 18 – Le libéralisme n’est pas un conservatisme, contrairement à ce que pensent nombre d’esprits pressés de cataloguer, autrement dit d’esprits paresseux. Friedrich Hayek est trop souvent envisagé comme un conservateur. Il a pourtant écrit un chapitre qui s’intitule « Pourquoi je ne suis pas un conservateur » (« Why I Am Not a Conservative ») dans lequel il situe le problème de la manière suivante. Alors que les mouvements progressistes s’emploient à réduire toujours plus la liberté individuelle, celui qui défend la liberté ne peut que s’opposer de toutes ses forces à ces mouvements ; et, ainsi, se retrouve-t-il bien malgré lui avec ceux qui ont l’habitude de s’opposer au changement, soit les conservateurs. Ci-joint, le chapitre en question (inclus dans « La constitution de la liberté » (« The Constitutionof Liberty ») :

https://www.catallaxia.org/wiki/Friedrich_A._Hayek:Pourquoi_je_ne_suis_pas_un_conservateur

Un libéral ne se positionne pas pour ou contre le conservatisme. Il observe et peut se montrer conservateur relativement à telle question et progressiste relativement à telle autre question. Pour les libéraux, la liberté et l’ordre spontané qu’elle engendre priment, ce que conservateurs et socialistes détestent. Conservateurs et socialistes ne cherchent pas à limiter le pouvoir mais à l’étendre et à le faire aller dans la direction qu’ils jugent être la bonne. Les uns et les autres se considèrent autorisés à imposer aux autres leurs valeurs. L’orgueil les caractérise. Le libéral est modeste ; il admet spontanément son ignorance et ainsi peut-il faire preuve de tolérance sans avoir à se forcer. Le constructiviste ne le peut car c’est un idéologue et que l’idéologue est bardé de certitudes. Les conservateurs et les socialistes ont des points communs et, de ce fait, les reproches qu’ils adressent aux libéraux convergent volontiers. Conservateurs et socialistes croient radicalement en l’utilité de l’État, tandis que les libéraux s’en défient, préférant miser sur l’individu plutôt que sur la collectivité. Friedrich Hayek : « La caractéristique la plus frappante du libéralisme, celle qui le distingue tout autant du conservatisme que du socialisme, est l’idée que les convictions morales qui concernent des aspects du comportement personnel n’affectant pas directement la sphère protégée des autres personnes ne justifient aucune intervention coercitive. »

 

Tableau 19 – Sir Karl Raimund Popper (1902-1994) et sa critique de la théorie vérificationniste de la signification. Il met au point la réfutabilité comme critère de démarcation entre science et pseudo-science. Un philosophe politique dont les idées sont franchement libérales. Sa participation à la fondation de la Mont Pelerin Society (MPS) avec Ludwig von Mises, Milton Friedman et Friedrich Hayek. Sa critique de l’historicisme et des théories politiques qui en procèdent. Au centre de son argumentation, la preuve (exclusivement logique) qu’il est impossible de prévoir le futur – sa défense de l’indéterminisme.

Son ouvrage « The Open Society and Its Enemies » reste l’un des principaux repères de la défense des valeurs occidentales de l’après-guerre. Une critique de l’historicisme qui prolonge celle initiée dans « The Poverty of Historicism ». Sa défense de l’Open society et de la Democracy. Dans le premier tome, il circonscrit l’immense influence de Platon en siècle en siècle. Mais sous ce pouvoir de séduction se cache, nous dit-il, un très grand danger, soit la tentation totalitaire et, enfin, le cauchemar totalitaire, qu’il soit de droite ou de gauche. Karl Popper signale le fossé entre Socrate et son disciple Platon, notamment dans « La République » : Socrate le démocrate, Platon et la tentation totalitaire. Dans le second tome, il poursuit sa critique des initiateurs du totalitarisme avec Hegel (qu’il relie à Aristote) et Karl Marx. Il reproche à Platon, Hegel et Karl Marx de juger que l’histoire obéit à des lois qui déterminent le cours des événements, une attitude qui soumet à la fatalité historique et bouche l’horizon : le développement de l’Esprit pour l’un, la lutte des classes pour l’autre. Karl Popper reconnaît bien des qualités à Karl Marx mais il lui reproche son « historicisme moral ».

Pour Karl Popper, le problème politique est fondamentalement d’ordre épistémologique et, de ce point de vue, l’exemple de Platon est éloquent : sa théorie des Idées définit l’ensemble de son énorme construction de philosophie politique. Voir sa remise en question de la démocratie athénienne qu’il juge être la tyrannie d’un peuple ignorant, tyrannie de l’opinion la plus répandue (qui certes n’est pas la meilleure parce que la plus répandue) et des désirs les plus primitifs qui portent préjudice au bien commun. Dans un tel contexte, les démagogues règnent en maîtres. Les sophistes sont les pères de la démocratie, la démocratie qui est le régime de la parole, la parole qui s’emploie à chasser la vérité (la connaissance de la réalité), à convaincre et imposer ses opinions par l’art du discours, à enjôler et, enfin, à se saisir du pouvoir. Ce mépris pour les sophistes lui vient de son maître, Socrate.

Dans « La République », Platon théorise l’idéal du philosophe-roi, le philosophe étant selon lui le seul homme à même de discerner le bien commun, d’établir et de maintenir l’ordre dans la cité en étouffant tout individualisme étant entendu que celui qui ne s’efface pas au profit de la collectivité est un égoïste. Or, selon Karl Popper, l’individualisme n’est pas un égoïsme et Platon a pour l’individu et sa liberté la même aversion qu’envers la diversité du monde des choses sensibles sans cesse changeant. Il écrit : « Pour Platon, la seule alternative au collectivisme est l’égoïsme, d’où une confusion dans la pensée éthique qui persiste encore de nos jours. La confusion de l’individualisme avec l’égoïsme permet de le condamner au nom des sentiments humanistes et d’invoquer ces mêmes sentiments pour défendre le collectivisme. En fait, en attaquant l’égoïsme, ce sont les droits de l’individu qu’on vise. » Aujourd’hui encore, y compris en démocratie, l’État ne se prive pas de condamner l’égoïsme (ce qu’il juge comme tel) au nom de l’intérêt commun, de l’intérêt du peuple, de l’intérêt supérieur de la nation, et j’en passe, afin de faire passer ses lois en décourageant toute protestation, le protestataire étant réduit à un égoïste.

Platon se pose la question : qui doit gouverner ? Sa réponse : le meilleur. Mais Karl Popper juge que la question est mal posée et il propose de la remplacer par cette autre question : comment organiser l’État et le gouvernement de manière à ce que même les pires dirigeants ne puissent causer trop de dommages ? L’essentiel n’est pas de savoir qui gouverne mais de savoir si le gouvernement peut être contesté et remplacé par un autre sans violence. C’est seulement en reformulant ainsi la question que nous pouvons espérer formuler une théorie des institutions politiques raisonnable, c’est-à-dire non autoritaire. Karl Popper a proposé d’appeler cette position philosophique, critical rationalism ou fallibilism. Une excellente étude a été mise en ligne sous le titre « Critical Rationalism for Practice and its Relationship to Critical Systems Thinking » ; elle est signée Richard J. Ormerod.

Selon Karl Popper, il n’y a pas de vérité scientifique absolue mais seulement des conjectures. Il écrit dans « Conjectures et réfutations » (« Conjectures and Refutations ») : « Nos tentatives pour saisir et découvrir la vérité ne présentent pas un caractère définitif mais sont susceptibles de perfectionnement, notre savoir, notre corps de doctrine sont de nature conjecturale, ils sont faits de suppositions, d’hypothèses, et non de vérités certaines et dernières. Les seuls moyens dont nous disposons pour approcher la vérité sont la critique et la discussion. »

Les travaux de Karl Popper ont profondément changé la perception de la Science. Une science vérifiée n’est pas nécessairement une science vraie. Il estime que la démarche scientifique ne doit pas s’employer à prouver des hypothèses et à mettre de côté celles que les faits démentent et qui sont donc véritablement fausses. Le but de la Science n’est pas de vérifier mais de se doter d’une attitude résolument – radicalement – critique. Il n’y a pas de vérité absolue (une appréciation qui conduit à une attitude politique et philosophique particulière, avec mise en garde contre Platon, Hegel et Karl Marx) mais, plus modestement, une possibilité à partir d’une analyse rigoureuse de s’approcher de la vérité notamment en réfutant les fausses théories. Ainsi, par éliminations successives et méthodiques, la vraisemblance des théories passées par ce tamis se verra augmentée.

Pour Karl Popper, le fait que les observations coïncident avec les prédictions des hypothèses ne permet pas d’affirmer la véracité d’une théorie donnée car on ne voit jamais que ce que l’on veut bien voir – c’est le biais cognitif de confirmation. Mais si l’expérimentation infirme la théorie, on peut conclure que la théorie est fausse. Une science ne peut être considérée comme vraie. Dans le meilleur des cas, elle peut être envisagée comme provisoirement vraie /non fausse selon le critère de réfutabilité.

Dans l’optique de Karl Popper, un énoncé scientifique doit pouvoir être réfuté si l’on veut en (é)prouver la validité. S’il ne présente pas les conditions nécessaires pour ce faire, il est a priori impossible d’évaluer la pertinence de ses hypothèses et, de ce fait, il ne peut avoir de valeur scientifique. On a alors affaire à une pseudo-science, comme la psychanalyse freudienne qui reposant sur l’inconscient est irréfutable car impossible à tester d’un point de vue scientifique.

En conclusion, on peut démontrer rigoureusement qu’une théorie est fausse (certitude scientifique négative) mais on ne peut démontrer qu’une théorie est vraie pour les siècles des siècles (absence de certitude scientifique négative).

Cette approche ouvre de belles perspectives à la liberté politique. Elle s’oppose radicalement à toutes les tentatives totalitaires et quelque soit leur couleur. La raison et l’humanisme se donnent la main, en quelque sorte. Les invitations de Karl Popper sont des invitations raisonnables. Son attitude vis-à-vis de l’énoncé scientifique, outre en science, invite en philosophie et en politique – en philosophie politique – à une attitude raisonnable – voir sa critique de Platon, entre autres.

Son invitation à nous remettre en question et à remettre en question ce qui est considéré comme une vérité ne se réduit pas à du scepticisme. Ainsi les thèses qui résistent à la réfutation seront tenues pour vraies aussi longtemps qu’elles n’auront pas été réfutées. Et les sceptiques invétérés devront travailler rationnellement à les infirmer.

Karl Popper applique sa méthode négative non seulement à la recherche scientifique mais aussi, et dans le cas présent c’est ce qui m’intéresse avant tout, à la philosophie politique (voir le faillibilisme). Nous sommes tous faillibles, il est donc vain d’espérer l’avènement d’un philosophe-roi pour gouverner la cité, ainsi que l’imagine Platon. Il ne faut pas chercher à instaurer le Bien, mais s’employer à réduire les maux autant que possible, patiemment. Aussi propose-t-il de remplacer le principe utilitariste de la « maximisation du bonheur » par le principe faillibiliste de la « minimisation de la souffrance ». Cette invitation repose sur une observation raisonnable, à savoir que si les hommes ont du mal à s’accorder sur ce qu’est le Bien et la Justice, ils s’accordent mieux pour désigner ce qui est mal et injuste. Il faut donc tourner le dos à Platon et sa « République ». Selon Karl Popper le mérite de la démocratie ce n’est pas de promouvoir la majorité (nécessairement bonne parce que majoritaire ?) contre la minorité (nécessairement mauvaise parce que minoritaire ?) mais de pouvoir expulser les mauvais gouvernants sans violence.

Olivier Ypsilantis

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