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Quelques notes, mai 2022– 4/5 (Ludwig von Mises / Ley de Memoria Histórica de España / José Ortega y Gasset )

 

Ludwig von Mises ou de l’impossibilité du dirigisme, sans oublier les Physiocrates – voir la question de la liberté du commerce du blé. Lire à ce sujet « Le calcul économique en régime socialiste », un texte de 1920 de Ludwig von Mises que je mets en lien PDF dans son intégralité. C’est un texte des plus pertinents qui se lit dans un élan, comme un pamphlet, un texte dans lequel il dénonce les systèmes (socialisme, communisme, etc.) qui veulent opposer la contrainte à l’intérêt personnel :

http://gesd.free.fr/mises20.pdf

Ce texte est antérieur à ce monument qu’est « Socialism: An Economic and Sociological Analysis ». Il l’annonce mais peut être considéré comme un texte à part, parfaitement autonome et ciselé – rien à voir avec une ébauche. Je n’en ai lu que des comptes-rendus que je me suis promis de lire. « Le calcul économique en régime socialiste » (Economic Calculation in the Socialist Commonwealth), une brochure qui s’efforce de formuler l’impossibilité d’un régime économique qui aurait aboli la propriété des moyens de production, une exigence fondamentale pour certains courants politiques, une expérience mise en œuvre après la révolution d’Octobre 1917.

 

Ludwig von Mises (1881-1973)

 

Ludwig von Mises juge – en toute logique pourrait-on dire – que lorsque les moyens de production appartiennent à la collectivité (à personne), ils sortent du monde de l’échange et, en conséquence, il est impossible de leur fixer un prix autrement que d’une manière arbitraire. Or comment conduire un projet industriel ou commercial à partir de tels moyens de production si leurs prix ne peuvent être définis avec précision ? Autrement dit : le socialisme signifie la fin de l’économie rationnelle.

Ludwig von Mises, sans oublier les Physiocrates, ou de l’impossibilité du dirigisme. Les Physiocrates, des Français boudés par l’enseignement scolaire et supérieur où le socialisme sous toutes ses formes est diversement célébré. En 1763, un Physiocrate, Louis-Paul Abeille, expose son point de vue sur les disettes et les chertés dont souffre la France dans une brochure intitulée « Lettre d’un négociant sur la nature du commerce des grains » que je mets en lien (il est publié par l’Institut Coppet) :

https://www.institutcoppet.org/louis-paul-abeille-lettre-dun-negociant-sur-la-nature-du-commerce-des-grains-1763/

On peut notamment y lire : « Le désordre naît de ce que l’administration porte la main à des objets qui, à certains égards, sont au-dessous et, à d’autres égards, au-dessus d’elles ». Bref, il est préférable que l’administration – l’État – laisse les choses se débrouiller d’elles-mêmes afin de ne pas les embrouiller plus encore. Ce principe se répand dans les cercles de Physiocrates, très actifs et organisés. En quelques années, l’impossibilité du dirigisme s’impose à la pensée libérale française (si boudée par l’enseignement). Adam Smith qui fréquente les Physiocrates en 1763-1764 ne reprend pas ce principe qui est repris sous une autre forme par Jean-Baptiste Say. Au cours du temps, ce principe perd de sa vigueur avant que Ludwig von Mises ne le replace dans toute sa pertinence.

 

Les effets de la Ley de Memoria Histórica de España sont très variables. Dans les villages, le temps n’est pas le même que dans les grandes villes, il passe moins vite. Dans certains villages, les plus âgés ont des souvenirs directs de « los unos » et de « los otros ». Ainsi, dans un village de la sierra de Teruel, on recherche une fosse commune de soldats républicains, des soldats qui pourraient avoir appartenu à l’unité qui détruisit le village et massacra douze de ses habitants parmi lesquels cinq femmes et un enfant qui s’étaient enfuis à son approche.

Des maires de droite (disons du PP) et des maires de gauche (disons du PSOE) peuvent se montrer pareillement réticents à ces exhumations liées à la Ley de Memoria Histórica de España. Un maire socialiste des environs de Madrid a récemment refusé que soit apposée une plaque aux victimes de la répression franquiste dans son village car il refusait de replacer les victimes devant leurs assassins (?!).

La Ley de Memoria Histórica de España est donc perçue très différemment dans les villages et les villes et plus particulièrement dans les villages de la España vacia (soit l’Espagne vide de ses habitants), le quart Nord-Ouest du pays qu’occupe principalement Castilla y León, une Espagne où les villages complètement abandonnés ne manquent pas et où la moyenne d’âge des habitants qui s’y maintiennent est particulièrement élevée.

La Ley de Memoria Histórica de España est volontiers manipulée à des fins politiques ; elle a même été élaborée à des fins politiques partisanes par des gouvernements socialistes. Un exemple parmi tant d’autres. Javier Izquierdo, le maire d’un village de la province de Valladolid, Camporredondo, a reçu un courrier de la présidente du Sénat, Pilar Llop, dans lequel elle lui demandait s’il avait entrepris les démarches nécessaires pour que soit débaptisée la Calle Calvo Sotelo, une rue de son village de cent cinquante-cinq habitants. Javier Izquierdo lui a répondu en prenant soin de respecter les formes administratives et juridiques afin de faire sentir au quatrième personnage de l’État que sa demande manquait de rigueur et de fondement, tant historiques que juridiques, étant entendu que ni José Calvo Sotelo (assassiné quatre jours avant le début de la Guerre Civile) ni son neveu, Leopoldo Calvo Sotelo (président du Gouvernement en 1981 et 1982), n’entraient dans le cadre de la Ley de Memoria Histórica de España et que l’un et l’autre méritaient un hommage dans un pays démocratique, l’un pour avoir été assassiné pour ses idées politiques, l’autre pour avoir été président d’un gouvernement après la mort de Franco et l’un des artisans de la Transición.

La réponse du maire de ce petit village à l’une des principales autorités du pays a été grandement saluée sur les réseaux sociaux, ce qui me réconforte : l’abrutissement ne serait pas si profond et toucherait plus les « élites » que les simples citoyens. Dans ce courrier, Javier Izquierdo invite certaines autorités politiques à se dédier à d’autres occupations pour le bien de tous plutôt que de perdre du temps et des moyens à accabler par leur sectarisme une municipalité de la España vacia, oubliée de tous sauf à l’heure de payer les impôts qui contribuent aux revenus élevés de ces autorités. Ce courrier serait-il en passe de devenir un manifeste ?

La Ley de Memoria Histórica de José Luis Rodríguez Zapatero puis la Ley de Memoria Democrática de Pedro Sánchez s’emploient, l’air de rien, à en finir avec la Ley de Amnistía de 1977. Par ailleurs, ces lois conçues par des gouvernements socialistes sont destinées à imposer une prétendue supériorité morale de la gauche sur la droite, supériorité qui prend appui sur un passé républicain idéalisé tant au cours de la Guerre Civile de 1936-1939 qu’au cours des années qui la précédèrent.

 

2022, soit le centenaire de la publication de « España invertebrada » de José Ortega y Gasset. Ce livre inaugure une méthode caractéristique de cet écrivain : structurer (vertebrar) un livre à partir d’articles ou de séries d’articles publiés indépendamment les uns des autres. José Ortega y Gasset expose le concept de invertebración dès 1914, à l’occasion de la présentation de la Liga de Educación Política Española. Il insiste alors sur la nécessité de vertebrar le pays. Cet appel plutôt implicite devient explicite en 1922, avec « España invertebrada » – de la invertebración à la vertebración. Ce livre n’a guère de succès considérant les circonstances historiques, mais son influence sera profonde (peu visible) et durable. Les circonstances historiques ? La dictature de Miguel Primo de Rivera (1923-1930), la radicalisation de la vie politique sous la IIème République, la Guerre Civile puis le franquisme dont la devise España-una est inconciliable avec toute proposition venue de la vertebración. Il faut attendre la fin du franquisme pour prendre la mesure de la pertinence de ce livre. Nombre des auteurs de la Constitution de 1978 disent avoir eu ce livre parmi leurs livres de chevet. Certes, cette Constitution n’a pas été produite par ce livre mais certaines de ses parties ont été envisagées à partir de certaines perspectives qu’il désigne.

Le concept de nation exposé dans la première partie du livre est bien circonscrit, à savoir que la force de cohésion d’une nation se définit par l’active participation de chacun de ses constituants à « un proyecto sugestivo de vida en común ». Fort bien. Mais quel est l’agent vertébrateur de la nation ? La seconde partie du livre répond à cette question. L’auteur attribue la fonction de vertébration de la société – une mission historique – aux minorités, les minorités auxquelles il attribue la capacité de servir de modèle aux masses. Ainsi la question de la « rebelión sentimental de las masas » pourrait-elle trouver une solution. Mais au-delà cette proposition, l’idée de base de José Ortega y Gasset est de passer d’une « España invertebrada » à une « España como proyecto », soit une nation qui s’envisage à partir du futur et non du passé, une invitation à faire ensemble le futur sachant que le passé a été fait par les ancêtres. Il s’agit d’être – de pouvoir être – à partir de la franche ouverture que suppose la décision et non à partir de la fermeture indécise que suppose ce qui a été. Être à partir de la légèreté et de l’élan du projet et non à partir du poids et de la gravité de ce qui a été accompli. Et fort de cet élan et de cette légèreté, être prêt au choc avec les circunstancias, un mot central dans le lexique de José Ortega y Gasset. L’ouverture au futur – le projet – suppose une claire conscience du projet : il est ce qu’il est parce qu’il est dynamique, qu’il a connu des changements et qu’il en connaîtra d’autres, au fil du temps, au fil des circonstances, une claire conscience qui ne doit toutefois pas faire dévier notre regard de l’horizon du projet.

Cette idée de projet comme axe de vie en commun ne procède pas du romantisme. Elle a plutôt à voir avec une discipline non dénuée de pragmatisme. José Ortega y Gasset estime que ce qui confère l’unité est précisément ce que l’individu ou la nation veut faire de la vie, veut faire dans sa vie.

L’héritage pèse, un certain héritage pèse. Mais l’héritage qui pèse n’est ni celui de la culture, de la langue, de l’histoire, etc., qui sont autant de richesses ; ce qui pèse c’est de vouloir transporter dans le futur toutes ces richesses. José Ortega y Gasset nous dit implicitement que la plus grande richesse de ces richesses est de nous ouvrir au futur. Ainsi que le disent José Ortega y Gasset et Nietzsche (que l’auteur de « España invertebrada » a beaucoup lu dans sa jeunesse), la patrie est la terre sur laquelle marchent les fils et non celle qui recouvre les sépultures de leurs ancêtres.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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