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La guerre Ukraine/Russie

On nous impose de détester les Russes. Je ne le puis et d’abord parce que je persiste à croire qu’une authentique union Europe / Russie était possible il n’y a pas si longtemps. – l’Eurussie. Je l’ai écrit, à plusieurs reprises, il y a des années. Mais quelque chose ou quelqu’un s’y est opposé et nous en sommes où nous en sommes, dans le sang et la boue, avec une fracture durable entre l’Europe et la Russie.

Je me garde depuis le premier jour de ce conflit d’accorder de l’importance à ce que rapportent les médias de masse en Europe car je sais que les faits rapportés sont frelatés et qu’il y traîne un peu partout de la propagande. La propagande russe est généralement plus grossière, plus massive ; elle est censée écraser. Elle ressemble à la propagande soviétique, stalinienne même, bien que le régime de Poutine (régime autoritaire) ne soit pas celui de Staline (régime totalitaire). Armand Robin a magnifiquement – poétiquement – décrit cette propagande dans « La fausse parole ». La propagande en social-démocratie est plus subtile, plus diffuse. Elle recouvre discrètement tout, comme une fine poussière. Il faut régulièrement la secouer. Dans nos sociétés la propagande est active mais discrète, plus ou moins discrète. Par exemple, elle nous chante des berceuses, car il s’agit d’endormir les enfants que nous sommes supposés être. Cette propagande fait également et très volontiers de la morale, une morale simple et tout compte fait efficace comme dans les histoires pour enfants, avec le Bon et le Méchant, le Bien et le Mal, la Lumière et des Ténèbres, etc. Être non pas pro-Poutine mais simplement émettre des réserves et ne pas vouloir tracer une ligne marquée entre la Russie de Poutine (le Mal) et l’Ukraine de Zelinsky (le Bien) suffit à vous condamner au bûcher, au moins symboliquement.

L’histoire est discrètement revisitée. On commence par occulter un fait pour en grossir un autre. C’est ce à quoi se sont notamment employés deux chefs du Gouvernement espagnol avec la Ley de Memoria Histórica de España (2007) et la Ley de Memoria democrática de España (2022), qui en rajoute une couche si je puis dire. Ces leyes sont des héritières de la propagande franquiste mais inversée, une propagande où les Bons deviennent les Méchants et où les Méchants deviennent des Bons. Le procédé reste efficace à en croire les résultats. On agit dès l’école, comme du temps de Franco, et en commençant par simplifier – car la Deuxième République avec la Guerre Civile (1931-1939) constitue une période d’une très grande complexité politique et sociale, une période de ce fait passionnante. Le goût de nos sociétés pour le court terme voire l’immédiateté facilite grandement ces manœuvres doucereuses et insidieuses, ces entreprises de simplification.

L’Ukraine d’aujourd’hui n’est pas qu’un pays de nazis contrairement à ce que nous serine la propagande russe ; mais il faudrait étudier l’histoire de la région sur au moins quelques décennies pour comprendre que le pays agresseur – la Russie – n’agit pas par simple volonté (ou caprice) impérialiste, pour reprendre un mot à la mode ; une fois encore, l’affaire est autrement plus compliquée. L’agression russe a des causes multiples, profondes et précises. Il convient de prendre ce fait en considération pour espérer apporter une solution politique durable à ce conflit et ne pas répandre les germes d’une autre guerre. Pour ce faire, et j’insiste, il convient d’éviter les simplifications auxquelles veulent nous soumettre la propagande poutinienne mais aussi européenne et envisager une certaine complexité, cesser de brandir cette morale simpliste, produit de l’idéologie de la social-démocratie et sa propagande.

La parole de Poutine est claire, brutale et claire. On comprend sans peine ce qui la motive. La parole de Zelinsky est moins claire ou, tout au moins, a-t-on l’impression qu’il récite quelque chose qui n’a pas été écrit par lui, qu’il s’exprime sous la contrainte et force le ton. Ce disant, je ne suis pas un suppôt de Poutine. Ce que je viens d’écrire n’est qu’une impression, une impression que je me suis promis d’analyser. Il me semble que Zelinsky agit entre une carotte et un bâton. Cet homme qui était prêt à négocier a été poussé à la guerre et il lui faut à présent assumer le rôle qui lui a été imposé. N’aurait-il pas un pistolet dans les côtes, un pistolet tenu par les ultra-nationalistes et les néo-nazis ? Les néo-nazis sont certes très minoritaires en Ukraine contrairement à ce qu’affirme Poutine, mais ils sont très actifs. Il me semble par ailleurs (une impression vague mais tenace) que Zelinsky a été propulsé chef de l’État parce qu’il était (et reste) une figure très populaire dans son pays grâce notamment au petit écran, une figure familière capable de « vendre » la guerre aux Ukrainiens. Mais il y a plus. Le fait que Zelinsky soit juif permettrait aux ultra-nationalistes et plus encore aux néonazis de mieux le tenir tout en se servant de lui comme d’un masque. En effet, comment être traité de néonazi si l’on agit sous la direction d’un Juif ? Une fois encore, je ne fais qu’exprimer une impression. Les ultra-nationalistes y trouvent eux aussi leur compte car ils semblent tourner le dos à ce vieux préjugé selon lequel le Juif est un traître à sa patrie.

Il faut le redire. La propagande n’est pas que le fait de Poutine et son régime. Elle agit également chez nous, en social-démocratie. Ainsi que l’écrit Yana Grinshpun dans « La fabrique des discours propagandistes contemporains » : « Les manipulations des discours, des faits, des arguments sont non seulement aussi présents dans la société pluraliste que dans les sociétés totalitaires, mais leur présence est souvent beaucoup plus élaborée, sophistiquée et camouflée. Certains chercheurs pensent même que la manipulation n’a de pertinence que dans le cadre d’une démocratie, qui limite la coercition ouverte et non dissimulée des régimes totalitaires. » Certes, cette propagande en régime démocratique peut être critiquée et ouvertement, ce qui n’est pas le cas dans les régimes totalitaires (type Corée du Nord) voire autoritaires (type Russie de Poutine).

Je m’intéresse depuis longtemps aux techniques de propagande stalinienne. J’ai très vite compris qu’elles persistent chez nous. Il est vrai que la propagande chez nous, en social-démocratie, fait appel à des procédés bien rodés antérieurs au stalinisme. En lisant cette étude d’une belle rigueur de Yana Grinshpun (publiée chez L’Harmattan en 2023), des passages m’ont particulièrement retenu, comme « La disqualification de l’adversaire » et « Diabolisation de l’ennemi », qui présentent des procédés simples, efficaces, très efficaces, des procédés toujours actifs (plus actifs que jamais), y compris dans nos pays sociaux-démocrates. Yana Grinshpun écrit : « La disqualification, c’est la négation discursive de l’autre. Elle implique la mise en cause de la légitimité de la parole de l’adversaire. » Négation des compétences de l’autre ou mise en cause de son statut discursif. Du temps de Staline on collait des étiquettes précises (la liste en est connue), il en va de même, à présent, chez nous, et leur liste ne cesse de s’allonger. Au cours de ces dernières années, on assiste même à leur prolifération. Dans tous les cas, les étiquettes ont un effet paralysant ; et celui qui s’efforce de raisonner d’une manière aussi rationnelle que possible se trouve vite paralysé : personne ne l’écoute car il a été disqualifié avant même de prononcer un mot. Il en va de même avec les négationnistes : plus vous argumentez plus vos arguments se retournent contre vous lorsqu’ils ne tombent pas dans le vide.

Comment argumenter lorsqu’une étiquette vous a été collée ? Aujourd’hui, un homme qui par exemple s’élève contre l’emploi de l’écriture inclusive est nécessairement antiféministe et, en conséquence, sa parole est sans valeur. De même, un Juif qui défend Israël est inaudible ; et la parole d’un non-Juif qui défend Israël n’est guère plus audible : on lui colle l’étiquette de « sioniste », une étiquette guère moins infamante que du temps de Staline. Le signe = est volontiers placé entre sioniste (sionisme) et nazi (nazisme), entre le swastika et la Maguen David. Donc, dans cette logique totalitaire (qui, je le redis, s’exerce également en social-démocratie, bien que d’une manière moins massive), un homme qui critique l’écriture inclusive est nécessairement antiféministe, et une femme qui la critique est nécessairement dominée par les hommes. Olivier Reboul (cité par Yana Grinshpun) écrivait en 1980 : « Le grand procédé de réfutation en face d’une vérité gênante était de remonter de l’énoncé à l’énonciation, de poser la question : “Qui le dit ?”, suivie de cette autre : “A qui cela profite-t-il ?” Bien des révélations eurent lieu, à l’époque même de Staline, sur le Goulag, mais ceux qui les propageaient ne pouvaient être que des “calomniateurs au service de l’impérialisme” ». Et Yana Grinshpun poursuit : « La parole mesurée et rationnelle peut menacer la gnose imposée par la force de la propagande, et la disqualification par les étiquettes disqualifiantes sert à faire taire la contradiction ». Médiapart agit de la sorte dans ses articles à charge. On n’analyse pas ce qui est rapporté, on attaque la personne sur laquelle on colle une étiquette destinée à rendre sa parole inaudible.

Disqualification et argument ad hominem, exit l’argumentation fondée sur la raison. Diabolisation superlative et diabolisation de l’ennemi. Aujourd’hui les figures diabolisées se multiplient mais certaines ressortent comme le fasciste (l’extrême-droite), l’islamophobe, le sioniste. Parmi les indésirables, Donald Trump. Je comprends qu’on ne l’apprécie pas, mais j’aimerais que les uns et les autres m’expliquent plus posément et avec une argumentation aussi cohérente que possible les causes de leur détestation plutôt que de brandir des étiquettes ou de s’en tenir à sa coiffure.

En France, les personnalités « de droite » sont beaucoup plus caricaturées que celles « de gauche » ; voir le cas Éric Zemmour. D’ailleurs, caricaturer une personnalité « de gauche », c’est prendre le risque de se voir traiter de « fasciste ». Pourquoi ? Yana Grinshpun avance une hypothèse en prenant des précautions. Je n’en prendrai pas autant et serai beaucoup plus catégorique. La gauche se présente comme étant à la tête du combat moral – tout en se vautrant dans un vertueux confort et dans un humanisme douillet. Ainsi que je l’ai écrit, et à plusieurs reprises, la gauche a dérobé aux pouvoirs religieux leurs prérogatives – d’où son anticléricalisme viscéral. Être de gauche, c’est être à la droite du Père. Être de gauche, c’est être un Élu ; être de droite, c’est être un Réprouvé.

Yana Grinshpun qui ouvre l’éventail des discours propagandistes contemporains signale que l’homme en tant que tel est désigné comme l’ennemi – ennemi de la femme érigée en victime, la victime, une figure de propagande. Les concepts de dominant / dominé s’inspirent largement des théories post-marxistes. Ainsi l’homme occidental hétérosexuel « condense en lui tous les crimes et ignominies de l’humanité passée et présente ».

Olivier Ypsilantis

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