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La bataille de Salamine (480 av. J.-C.) – 3/3

Au cours de la bataille de Salamine, on peut supposer que Mèdes et Perses étant fortement soumis au roulis, ils souffrent du mal de mer, une nausée qui porte fortement préjudice à la volonté de combattre. La bataille dure une douzaine d’heures et on ne sait à quel moment la défaite peut être considérée comme irrémédiable pour les Perses. La mort d’Ariabignès (frère de Xerxès 1er) qui commande la flotte phénicienne est à coup sûr un coup dur pour le moral de la flotte perse. C’est la reine Artémise qui repêche son cadavre et le porte à Xerxès 1er. Voyant le désastre qu’elle a prévu, cette femme aussi intelligente que volontaire décide de fuir le lieu de cette bataille et aussi vite que possible. Un vaisseau athénien la prend en chasse et des vaisseaux perses encombrent sa route. Elle n’hésite pas, fait aborder le pavillon grec en tête de mat et coule la trière de son allié, Damasithyme, roi de Calynda (en Carie), qu’elle n’apprécie guère. La route est libre et le vaisseau athénien qui la poursuit vire alors de bord, pensant à un allié. Xerxès qui la suit du regard pense qu’elle a coulé un vaisseau ennemi ; et aucun membre de l’équipage du vaisseau de Damasithyme n’ayant survécu pour l’accuser, elle ne sera pas inquiétée.

La panique s’empare des Perses qui cherchent à gagner la sortie du détroit pour s’en retourner à Phalère : mais virer de bord c’est d’abord s’exposer aux éperons grecs. Les vaisseaux perses qui n’ont pas encore combattu s’accumulent dans le goulet, empêchant toute retraite. Les eaux sont couvertes de débris et de cadavres. Les Grecs savent nager et s’ils tombent à l’eau ils ont tôt fait de se hisser à bord d’un vaisseau ami ou de gagner le rivage de Salamine, tandis que la plupart des Perses se noient.

Lorsque la masse des vaisseaux perses parvient à refluer jusqu’à l’ouvert du détroit, l’îlot de Psyttalie où a été débarqué un corps d’élite perse (comme nous l’avons signalé) se trouve sans protection. Au crépuscule, Aristide se fait porter avec des hoplites de Salamine sur cet îlot ; ils y exterminent les dix mille Perses, parmi les meilleurs soldats de Xerxès 1er. La déroute perse est totale. Sur l’aile gauche, les vaisseaux athéniens détruisent méthodiquement les vaisseaux perses qui résistent encore ou tentent de prendre la fuite. Idem sur l’aile droite, avec les vaisseaux d’Égine. Les Grecs ne se risquent guère au-delà du détroit car les Perses bénéficient encore d’une écrasante supériorité numérique. Le soleil se couche et les Grecs reviennent à leur mouillage sur l’île de Salamine. Ils ne saisissent pas d’emblée l’étendue de leur victoire et s’attendent à être attaqués dès le lendemain. Mais les Perses lèvent le camp bien qu’ils disposent encore d’une écrasante supériorité numérique tant sur mer que sur terre. Mais Xerxès 1er sait qu’il lui faut rentrer, d’autant plus que la distance à parcourir pour rejoindre sa capitale est considérable. Ce sont des mois de voyage en supposant qu’il n’y ait pas d’incident. La mauvaise saison approche ; les communications, surtout en mer, risquent de se compliquer et le ravitaillement de se faire de plus en plus précaire.

Mardonios soumet à Xerxès deux projets : 1. Attaquer le Péloponnèse avant la mauvaise saison. 2. Que Xerxès s’en retourne dans son empire avec le gros des troupes tandis qu’il resterait en Grèce continentale avec trois cent mille hommes qu’il choisirait pour soumettre le pays au printemps suivant. La proposition séduit Xerxès 1er qui convoque le Grand Conseil avant de s’entretenir en tête à tête avec la reine d’Halicarnasse, Artémise, qui le conforte dans ce projet. Afin de justifier sa retraite devant son peuple, Xerxès 1er déclare que le but principal de cette expédition a été atteint, à savoir la destruction d’Athènes, et que la conquête du pays va se poursuivre avec l’armée laissée à la disposition de Mardonios.

Xerxès prend donc le chemin du retour par voie de terre, suivi par sa flotte dont se sont détachées les escadres phéniciennes qui ont décidé de rentrer au pays. Xerxès s’assure de la protection du passage vital de l’Hellespont. Cette retraite n’est pas une débandade mais il s’agit tout de même d’une retraite. Et puis reste cet espoir que Mardonios achève la conquête de la Grèce au printemps prochain. Novembre. La route est encore longue pour arriver à l’Hellespont. Les Perses doivent traverser des régions qu’ils ont épuisées par leurs réquisitions au cours de leur avance vers Athènes, des régions devenues plutôt hostiles suite à leurs exactions. C’est probablement entre la Thessalie et la Thrace que l’armée perse souffre le plus. Ils sont nombreux à mourir sans que les Grecs l’attaquent : maladies, intempéries, etc. L’hiver thrace est rude et Xerxès 1er arrive à l’Hellespont dans les tous derniers jours de 480. Les ponts sont disloqués et il se fait transporter avec le reste de son armée par ses vaisseaux. Il lui faudra quarante-cinq jours pour arriver dans ses États.

Mais revenons au lendemain de la bataille de Salamine. Les Grecs sont convaincus que la flotte perse se prépare à reprendre le combat dès le lendemain. Ce n’est que quelques jours plus tard qu’ils apprennent le retrait de toute la flotte ennemie. Ils envisagent aussitôt la poursuite. Thémistocle propose de foncer par la mer vers l’Hellespont afin de couper la retraite des Perses vers l’Asie. Aristide et Eurybiade objectent car enfermer Xerxès 1er qui dispose encore d’une puissante armée c’est prendre le risque d’affronter un ennemi qui combat avec l’énergie du désespoir, ce qui pourrait coûter très cher aux Grecs. Thémistocle se range sans discuter à leur avis car il mesure les dangers d’une telle expédition qui pourrait entraîner une dangereuse diminution de la puissance athénienne et donner des idées à Sparte pour l’heure son alliée.

Bilan. Le rapport des pertes navales est plus ou moins d’un pour les Grecs à cinq/six pour les Perses. Par la victoire de Salamine, la Grèce est momentanément sauvée car Thémistocle a vu juste ; il a compris qu’une armée aussi puissante soit-elle est toujours dépendante de ses lignes d’approvisionnement, et, dans le cas des Perses, au cours de cette expédition, c’est la marine qui les assure. Il fallait donc une victoire navale décisive pour les rompre et, ainsi, stopper l’invasion et la faire refluer.

Mardonios prend ses quartiers d’hiver en Thessalie, en attendant le printemps 479. Au cours de cette inaction forcée, il consulte les oracles et mène des négociations diplomatiques dans l’espoir de détacher les Athéniens du reste de leurs alliés, mais en vain. Dès le début du printemps, Mardonios est de retour dans l’Attique que ses habitants fuient pour la deuxième fois. Pendant ce temps, les Lacédémoniens célèbrent une fête, protégés par les défenses érigées devant l’isthme de Corinthe. A la demande pressante des Athéniens, ils finissent par faire sortir une armée du Péloponnèse. Mardonios quitte alors l’Attique et passe en Béotie, alliée des Perses et plus propice à l’action de sa cavalerie. Les Grecs se rassemblent enfin, passent en Béotie et prennent position près de Platée pour une bataille décisive. Mardonios choisit au sud de Thèbes un champ de bataille favorable à sa cavalerie. Prudents, les Grecs ne s’aventurent pas au-delà du pied des collines. Leur aile droite est tenue par les Spartiates, leur aile gauche par les Athéniens. Ce sont quarante mille hoplites appuyés par trente-cinq mille combattants plus légèrement armés. Les Grecs n’ont jamais rassemblé une armée aussi nombreuse. En face, trois cent mille Perses sans compter leurs alliés grecs, toujours selon Hérodote, une estimation probablement exagérée. Le commandant en chef des Grecs est un Spartiate, Pausanias. Il a une excellente réputation en tant que tacticien et stratège, une réputation que partage Mardonios. Ces deux commandants en chef veulent amener l’ennemi contre leurs positions, bien défendues. Ils attendent donc que l’ennemi attaque mais ils ne peuvent attendre indéfiniment, à commencer par les Perses qui ne peuvent plus compter sur un ravitaillement régulier par la mer.

Les Grecs ont pris position sur les contreforts d’une hauteur qui fait face au camp perse. De ce camp, Mardonios lance sa cavalerie. Elle essuie des pertes et son chef, Masistius, est tué. Mais Mardonios est avisé, il n’engage pas le gros de ses forces, il ne s’agit que d’un mouvement préliminaire, Mardonios qui par ailleurs menace les points d’eau et les lignes de ravitaillement des Grecs. Pausanias choisit alors une autre position, il fait descendre son armée dans la plaine où un petit massif de collines la protégerait d’une attaque frontale de la cavalerie perse. Mardonios ne bouge pas. Il estime qu’en ajournant ainsi l’engagement, des dissentions vont apparaître chez les Grecs et que leurs rangs vont s’éclaircir. N’avait-il pas conçu toute une campagne de diplomatie et d’intrigues pour semer la zizanie chez l’ennemi ? Les jours passent, une dizaine de jours. Les Grecs qui commencent à manquer d’eau et de vivres ne peuvent attendre plus longtemps. Pausanias choisit enfin une autre position, plus proche de la première, là où il risque moins de manquer d’eau et où ses lignes de ravitaillement sont moins menacées. Ce vaste mouvement opéré de nuit sème le désordre dans les unités grecques qui perdent le contact les unes avec les autres, soit les Spartiates et Tégéens / les Athéniens / les autres alliés grecs. Lorsque le jour se lève, Mardonios prend note du désordre chez l’ennemi. Il pense alors qu’il va l’emporter sans peine ; il se trompe. Les Perses finissent par s’élancer mais se heurtent au gros des Spartiates qui coupés du reste de l’armée occupent une position surplombante qui les protège de la cavalerie adverse. Les Spartiates repoussent l’infanterie perse et tuent Mardonios ; et bien que manquant d’expérience dans l’attaque des positions fortifiées, ils attaquent le camp perse. Ils sont rejoints par d’autres unités grecques qui viennent d’écraser les alliés béotiens des Perses. Au soir du 27 août 479, le camp perse tombe et les Grecs massacrent tous les occupants qui n’ont pu s’en échapper. Un corps perse a déjà pris la route du nord vers l’Hellespont car les ordres de Mardonios lui déplaisent. La ville de Thèbes qui avait poussé la Béotie à la collaboration avec les Perses est promptement investie et ses responsables politiques exécutés. Les Grecs récupèrent un immense butin. Les pertes grecques ont été estimées de mille cinq cents à trois mille hommes ; celles des Perses à quarante mille hommes. Pausanias, neveu de Léonidas, refuse de venger l’affront fait à la dépouille de son oncle Léonidas sur celle de Mardonios ; il estime que cette conduite convient plus à un Barbare qu’à un Grec.

Pendant ce temps, les vaisseaux rescapés de la bataille de Salamine ont trouvé refuge sur la côte d’Anatolie, au cap Mycale où les Perses ont fortifié leur camp à l’intérieur duquel ils ont rangé leurs vaisseaux. Installés en face, sur l’île de Samos, les Grecs les observent. A l’annonce de la victoire de Platée, ces derniers franchissent le détroit et attaquent le camp perse. Ils se forment en deux ailes : l’aile droite avec les troupes d’Athènes et autres contingents, l’aile gauche avec les troupes de Sparte et autres contingents. L’aile droite avance sur un terrain plat droit en direction des Perses, tandis que l’aile gauche déborde les Perses en empruntant un relief plus accidenté. L’aile droite engage le combat la première. Les Perses finissent par rompre et s’enfuient vers leur camp. Les Grecs les y poursuivent. L’aile gauche arrive, attaque les Perses sur leur flanc et les met en déroute. Diodore de Sicile affirme que les Perses auraient eu quarante mille tués.

Les guerres médiques ont opposé un immense empire, l’Empire achéménide, à une poussière de très petites cités unies face au danger, une alliance qui se dissoudra au lendemain de leur victoire. Thémistocle est honoré par Athènes et Sparte ; il n’en sera pas moins ostracisé d’Athènes douze ans après la victoire de Salamine, ostracisé comme Cimon, Aristide et Périclès pour ne citer qu’eux. Il trouvera refuge en… Perse, accueilli par Xerxès 1er. Mais un jour, les hasards de la guerre le mettront en demeure de combattre ses compatriotes ; il refusera et se suicidera.

Les Grecs ont remporté des victoires tant navales que terrestres face à un ennemi très supérieur en nombre. La première grande bataille navale de l’histoire, Salamine, a été gagnée grâce à la technique navale grecque, supérieure à la perse, mais aussi grâce au sens tactique et stratégique de Thémistocle. On peut ajouter le patriotisme malgré la désunion ou les liens fragiles entre cités grecques et le fait que les Grecs savaient mieux que leurs ennemis pourquoi ils se battaient. En effet, ces soldats venus de lointaines provinces d’Asie ne défendaient pas leur patrie, ils n’étaient que les sujets d’un immense empire qui allait jusqu’aux portes de l’Inde. Les Grecs se battaient aussi pour un idéal de liberté représenté par la cité, le citoyen (liberté civique) et cette discipline consentie et non imposée. Les Grecs ne pouvaient imaginer les conséquences de cette victoire, une victoire à laquelle la civilisation occidentale est redevable. Que serait notre histoire aujourd’hui si les Perses l’avaient emporté, si les cités grecques (et Athènes en particulier) n’étaient pas devenues ce qu’elles sont devenues ? L’Athènes de Thémistocle préparait l’Athènes de Périclès car la victoire de Salamine a d’abord été une victoire athénienne – on peut le dire sans sous-estimer le rôle de Sparte. Les Athéniens avaient non seulement vaincu les Perses, ils avaient ouvert les voies maritimes en commençant par reléguer à l’arrière-plan les maîtres du commerce international d’alors, les Phéniciens par ailleurs alliés des Perses. Avec du recul on peut affirmer que la victoire de Salamine a été une victoire sur les Phéniciens pas moins importante que sur l’Empire achéménide.

Olivier Ypsilantis

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