Skip to content

Francisco Roãlo Preto, une figure oubliée de la vie politique portugaise.

 

Francisco Roãlo Preto (1894-1977) est une personnalité du monde politique portugais dont j’ignorais jusqu’au nom il y a peu, un nom que j’ai découvert en fouinant chez un bouquiniste portugais de Lisbonne, un alfarrabista, dans une pile de journaux jaunis, très précisément le numéro du 28 février 1935 de Fadrique (semanário literário) où ce nom figure en gros titre et en première page.

Quelques notes biographiques. Francisco Roãlo Preto est encore lycéen lorsqu’il s’engage dans les troupes de Henrique Mitchell de Paiva Couceiro (1861-1944), en 1911-1912, qui conduit plusieurs incursions monarchiques à partir de la Galice espagnole contre la Première République Portugaise. Réfugié en Belgique, il devient secrétaire de la revue Alma Portuguesa où Luís de Almeida Braga élabore l’expression « Integralismo Lusitano ». A Louvain, au Liceu Português, il reprend ses études interrompues puis il fréquente l’université de cette ville où il obtient sa licence en Sciences sociales. Départ pour Toulouse où il étudie le Droit jusqu’en 1917. Séjour à Paris ; il y fait la connaissance de représentants du nationalisme français : Maurice Barrès le Républicain, Charles Maurras, Léon Daudet et Jacques Bainville les Monarchistes.

 

Francisco Roãlo Preto (1893-1977)

 

Fin 1917, Francisco Roãlo Preto assume d’importantes responsabilités dans l’équipe du journal du soir intégriste A Monarquia. Il s’active contre la République dans les années 1920. Son rôle dans la chute du régime républicain (28 mai 1926) n’est pas des moindres. Il collabore étroitement avec le général Manuel de Oliveira Gomes de Costa en rédigeant notamment le Manifeste en douze points, distribué ou placardé sur les murs de Braga (une ville au nord de Porto) d’où est parti le coup d’État. Ce gouvernement dure peu ; il est remplacé par celui d’Óscar Carmona qui nommera Salazar ministre des Finances, un poste à partir duquel ce dernier poursuivra son ascension avec l’appui constant d’Óscar Carmona, très impressionné par les compétences de son ministre, un appui qui conduira à la création de l’Estado Novo en 1933.

Francisco Roãlo Preto est surtout connu pour avoir organisé le « Movimento Nacional-Sindicalista » (M.N.S.) en février 1932, un mouvement qui commença sans tarder à défier un salazarisme encore en formation. Sous sa direction donc, et sous celle d’Alberto de Monsaraz (1889-1959), ce mouvement populaire va secouer la vie politique du pays. Par le biais du journal Revolução, Francisco Roãlo Preto, un homme extraordinairement persuasif, se présente comme le chef charismatique du mouvement et mobilise un grand nombre de jeunes, notamment chez les étudiants. Il fait adopter le salut romain (fasciste) avec démonstrations martiales et uniformes (Camisa azul et Cruz de Cristo en brassard). A noter que la militarisation des mouvements politiques est alors en vogue notamment chez les communismes. Considérant ces apparences, des historiographes ont jugé un peu hâtivement que la « fase nacional-sindicalista » de Francisco Roãlo Preto constituait une dérive fasciste. Il convient de nuancer. Ainsi, dans une entrevue à United Press, Francisco Roãlo Preto se démarque et avec insistance du fascisme et du nazisme, des « totalitarismos divinizadores do Estado cesarista » selon ses propres mots ; et il affirme la filiation chrétienne de son mouvement. Pour lui, sa doctrine de type communautaire et personnaliste (« Política de Personalidade ») est inchangeable.

De nombreux liens souvent très imposants sur l’Integralismo Lusitano sont consultables en ligne. Il s’agit d’un mouvement très oublié qui s’inscrit pourtant dans un contexte européen et sans lequel le régime de Salazar, d’une exceptionnelle longévité, est inexplicable.

Le nacional-sindicalismo organisé par Francisco Roãlo Preto ne se présente pas comme ouvertement monarchiste dans Revolução (Diario nacional-sindicalista da tarde), le journal de son mouvement (qui paraît du 15 février 1932 au 23 septembre 1933, soit un total de 418 numéros), mais il est vrai que dans son livre intitulé « Para além do comunismo » (publié en 1932), le Chef (apelo ao Chefe) est clairement identifié comme le Roi.

Salazar qui se réclame des traditions chrétiennes et prend volontiers un ton didactique (je me suis mis à lire des discours de Salazar, publiés en fascicules et dégotés chez un étrange bouquiniste), très chaire universitaire (Salazar et son successeur Marcelo Caetano sont des cérébraux, que l’on est bien sûr libre de détester), auteur d’une œuvre écrite considérable, va se révéler plus proche du fascisme et, ainsi, être plus à même d’enrôler une jeunesse à la recherche d’un idéal. En novembre 1933, alors que son mouvement doit faire profil bas, Salazar parvient à capter en sa faveur une partie significative de la jeunesse du Nacional-Sindicalismo. La scission au sein du Nacional-Sindicalismo s’opère précisément lorsque Francisco Roãlo Preto et Alberto de Monsaraz décident de défier le modèle du Partido Único, d’essence fasciste, et de défendre l’indépendance du Nacional-Sindicalismo. En juin 1934, une délégation envoyée auprès du Président de la République pose une fois de plus la question. Parmi les revendications portées par cette délégation, la constitution d’un Gouvernement national regroupant toutes les tendances politiques. Mais le régime de Salazar, proche par certains aspects du régime fasciste de Mussolini, est déjà maître de la situation. Francisco Roãlo Preto est fait prisonnier puis expulsé vers l’Espagne. Peu après, une note officieuse du Gouvernement invite le Nacional-Sindicalismo à intégrer le mouvement d’União Nacional de Salazar, une manière à peine voilée de signer sa disparition.

 

 

Exilé en Espagne, Francisco Roãlo Preto réside près d’un mois chez José Antonio Primo de Rivera avec lequel il aurait participé à la rédaction des « 27 Pontos » relatifs au programme de la Falange. De retour au Portugal, il se met en tête de réorganiser et de propulser le Nacional-Sindicalismo. Une fois encore, il doit prendre le chemin de l’exil, suite à son appui au général José Norton de Matos contre le régime de Salazar. Condamné à rester en Espagne, il participe à la guerre Civile (1936-1939) avec la Falange. Il rapporte de cette période de sa vie un livre, « Revolução Espanhola ».

Son charisme inquiète Salazar qui a en tête de le récupérer et, ainsi, de le neutraliser. C’est mal le connaître. Salazar lui propose successivement de hauts postes dans l’appareil de l’Estado Novo. Il repousse toutes ces offres et sans hésiter.

Après la Seconde Guerre mondiale, il est de retour au Portugal où il reprend ses activités politiques en apportant son soutien au Movimento de Unidade Democrática (M.U.D.). Il soutient la candidature à la présidence de la République de l’amiral Manuel Quintão Meireles en 1951 contre le candidat officiel, Francisco Craveiro Lopes, puis celle du général Humberto Delgado en 1958. Bref, il ne manque pas une occasion de s’opposer à l’Estado Novo. En 1970, il est l’un des fondateurs de la collection Biblioteca do Pensamento Político. Il intègre « Convergência Monárquica », une organisation qui réunit « Movimento Popular Monárquico » de Gonçalo Ribeiro Telles et « Renovação Portuguesa » de Henrique Barrilaro Ruas ainsi qu’une fraction de la « Liga Popular Monárquica » de João Vaz de Serra e Moura. Il participe aux élections de 1969 avec « Comissões Eleitorais Monárquicas » (ce sont les seules élections sous la présidence de Marcelo Caetano) sur la liste desquelles il se présente comme candidat à l’Assembleia Nacional. En 1974, il assume la Presidência do Directório e do Congreso du « Partido Popular Monárquico » (P.P.M.) fondé le 23 mai 1974, soit un mois après la Revolução dos Cravos (25 avril 1974).

Le 10 février 1994, le socialiste Mário Soares, alors président de la République, le décore à titre posthume de la Grã-Cruz da Ordem do Infante D. Henrique pour son « entranhado amor pela liberdade ».

Parmi les études les plus poussées consacrées à Francisco Roãlo Preto, celles de l’universitaire António Costa Pinto dont je mets en lien une notice biographique avec la liste (impressionnante) de ses travaux :

https://www.ics.ulisboa.pt/pessoa/antonio-costa-pinto

Parmi ses études : « Os Camisas Azuis e Salazar. Roãlo Preto e o fascismo em Portugal », récemment republiée sous le titre « Os Camisas Azuis: ideologia, elites e movimentos fascistas em Portugal (1914-1945) » qui reprend l’essentiel de cette première étude en y incorporant des matériaux récemment publiés.

 

António de Oliveira Salazar (1889-1970)

 

António Costa Pinto place la figure de Francisco Roãlo Preto dans un vaste contexte, contexte qu’il expose notamment dans « O Salazarismo e o Fascismo europeu: problemas de interpretação nas ciências sociais ». Il analyse le mouvement des Camisas Azuis, de ses origines au sein de Integralismo Lusitano à son déclin au milieu des années 1940. Il développe sa thèse initiale selon laquelle Integralismo Lusitano et Nacional-Sindicalismo sont des mouvements composés d’intellectuels à l’origine d’un corpus doctrinaire largement influencé par d’autres mouvements européens, à commencer par l’Action Française, mais aussi par le fascisme et le catholicisme conservateur.

Brièvement. Ces mouvements s’opposent à la sécularisation de la société portugaise. Rappelons que la République a été établie pour la première fois dans le pays en 1910. Le journal Integralismo Lusitano est fondé par de jeunes monarchistes à la veille de la Première Guerre mondiale. Ils dénoncent non seulement la République mais aussi le libéralisme et le rationalisme. Mais le champ exclusivement intellectuel s’avérant vite restrictif, Integralismo Lusitano devient un mouvement politique avec un programme défini. Il se présente comme d’essence révolutionnaire (de droite radicale) et cherche à consolider ses positions en profitant des crises que traverse la Première République. Mais c’est dans les années 1920, suite aux expériences proto-corporatistes de Sidónio Pais (quatrième président de la République portugaise, resté célèbre pour son autoritarisme) et au désastreux engagement portugais dans la Grande Guerre, que des organisations commencent à penser la fin de la République, parmi lesquels Nacionalismo Lusitano aminé par D. Nuno Álvares Pereira. La montée des mouvements anti-démocratiques en Europe (à commencer par l’Italie) confirme la droite radicale portugaise dans ses objectifs. Pourtant, la fin de la République, en 1926, n’est pas le fait de cette droite mais de l’armée, une armée qui s’est politisée après le désastre de la Grande Guerre (voir la terrible bataille de la Lys, du 9 avril 1918) et la brève dictature de Sidónio Pais. Il faut insister sur ce point.

Mussolini n’est pas explicable sans la Grande Guerre. Idem avec le Nacional-Sindicalismo et son leader charismatique, Francisco Roãlo Preto, le plus jeune des leaders de la Junta Central do Integralismo Lusitano à ses débuts. Le Nacional-Sindicalismo est né de la nécessité de réactiver l’Integralismo Lusitano (sa tendance à l’intellectualisme ne touche guère qu’une partie du groupe réduit des universitaires) mais aussi du refus de Salazar d’accepter un mouvement radical dans son gouvernement. Et à ce sujet je pourrais en revenir à Franco et à ses manœuvres pour neutraliser la Falange, lui couper les griffes pourrait-on dire.

 

 

L’influence du fascisme italien est sensible dans les écrits du Nacional-Sindicalismo comme elle l’est dans ceux de la F.E.T.-J.O.N.S. (Falange Española Tradicionalista y de las Juntas de Ofensiva Nacional Sindicalista) et de la A.I.B. (Ação Integrista Brasileira) de Plínio Salgado. La structure du Nacional-Sindicalismo est verticale avec « O Chefe » au somment de l’édifice, une structure que l’on retrouve dans « Le Faisceau » de Georges Valois. Son assise est essentiellement constituée de membres de la classe moyenne et urbaine, intellectuels, étudiants mais aussi jeunes officiers anti-républicains. Ainsi, lorsque Salazar passe de la Ditadura Nacional, 1928-1933 (qui avait été précédée de la dictature militaire, 1926-1928), à l’Estado Novo, 1933-1974, il crée la União Nacional de manière à y fondre (et y neutraliser) les divers groupes d’extrême-droite, un processus qui, relisons-le, se répétera en Espagne, avec Franco, mais d’une manière plus dramatique, considérant la Guerre Civile et ses séquelles. Fusion autoritaire et neutralisation des extrêmes-droites, interdiction des partis républicains, seule subsiste la União Nacional, un « non parti » selon les mots de Salazar, la União Nacional qui est simple structure institutionnelle, capable donc de se passer d’une large assise populaire, contrairement aux autres partis fascistes.

Le Nacional-Sindicalismo n’est pas achevé mais tenu en laisse. Ainsi ses membres participent-ils à la vie locale et provinciale à partir de ses structures subsistantes, non sans tension il est vrai. La contradiction n’est qu’apparente : le régime de Salazar a toujours en tête de coopter les élites locales afin de se les allier progressivement.

Divers facteurs, dont la tension entre l’Église catholique et le Nacional-Sindicalismo, vont permettre à Salazar d’isoler plus encore ce dernier par le biais de la législation corporatiste et par une série de mesures répressives destinées à renforcer l’emprise de la União Nacional.

Ces deux études d’António Costa Pinto aident grandement à la connaissance de l’Estado Novo, une particularité portugaise. Né à l’ère des fascismes, il en a des traits tout en tant plutôt conservateur (le fascisme authentique étant révolutionnaire) et en s’appuyant sur les élites nationales et l’Église catholique plutôt que sur les masses.

Je ne puis m’empêcher de faire remarquer que nombre d’hommes politiques d’alors, et peu importe leur appartenance politique, écrivaient énormément, ne cessaient d’écrire. Comment ces hommes d’action, toujours en déplacement, toujours en réunion, rarement seuls dans le silence de leur bureau ou d’une bibliothèque, trouvaient-ils le temps d’écrire ? Cette question me passionne depuis longtemps et je n’ai toujours pas de réponse précise à lui apporter.

Ci-joint, un article et un reportage de la RTP (Rádio e Televisão de Portugal) à caractère synthétique. Ils constituent une bonne introduction au parcours d’un homme complexe (en rien un simple fasciste, terme générique qui trop souvent cherche à refuser une certaine complexité ou à écraser l’ennemi), assez proche de l’Espagnol Dionisio Ridruejo, un homme pour lequel j’ai un attachement particulier ainsi que je l’ai écrit dans divers articles :

http://ensina.rtp.pt/artigo/rolao-preto-o-lider-dos-camisas-azuis/

Ci-joint, une entrevue avec Francisco Roãlo Preto, en 1975 :

https://www.youtube.com/watch?v=dSTPDEvzKYI

Ci-joint, une séquence, « Roãlo Preto e o Fascismo », d’une série d’entrevues avec le Prof. António José de Brito (1927-2013) placées sous le titre « Direitas radicais en Portugal ». Il y est question de Francisco Roãlo Preto. Je conseille aux lusophones de suivre l’ensemble de ces entrevues. Elles affinent une vision historique souvent bien trop simple et malheureusement partagée par la majorité. Il va sans dire que si ces entrevues sont fort instructives, car faites à partir d’une analyse interne, je ne partage pas la sensibilité politique de celui qui fut l’un des plus brillants intellectuels portugais de sa génération :

https://www.youtube.com/watch?v=QIiSpRC9e_4

Olivier Ypsilantis

 

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*