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En compagnie de Georges Perec, encore – 2/4

J’ai devant moi un livre qui à sa manière a au moins un peu à voir avec « Je me souviens » de Georges Perec, ce livre : « Ces objets emblématiques que vous sauveriez (ou pas) avant de quitter la France » (2014) d’Ariel Wizman, par ailleurs auteur de « Ces objets insolites ou obsolètes que vous pensiez avoir oubliés » (2013).

J’ai feuilleté ce livre agréablement illustré et ai retenu les objets qui ont suscité en moi un « Je me souviens » :

Les albums d’Astérix. Je me souviens que mon père guettait leur parution, se précipitait au point de vente le plus proche et le soir même lisait l’album, dans son lit.

L’almanach du facteur. Je ne savais pas qu’il serait un jour l’un de mes plus sûrs repères dans mon souvenir d’une certaine France.

Les ampoules médicales. Je me souviens de la petite lime pour entailler ses pointes que l’on brisait ensuite d’un petit coup en les saisissant entre le pouce et l’index. J’ai toujours en tête le petit bruit sec que faisait le verre en se brisant.

Je me souviens des bas Dim ; et ce n’est que récemment que j’ai appris qu’à l’origine on disait bas Dimanche, autrement dit que Dim est la première syllabe du septième jour de la semaine. Je me souviens de la charmante publicité Publicis de Chico Bialas, Dim-Up de Dim, avec cet air inoubliable qui l’accompagnait – tout au moins ne l’ai-je pas oublié et puis-je le chantonner à volonté. Je me souviens de certaines photographies de ce photographe allemand, de leur érotisme rieur.

Je me souviens du Bibendum, bien sûr, le Bonhomme Michelin conçu par O’Galop (Marius Rossillon) à partir d’une idée d’André et Édouard Michelin. Je me souviens que Bibendum était très présent au Vietnam, à Saigon surtout, comme l’étaient Tintin et la baguette.

Je me souviens de la Blédine, j’en raffolais : et aujourd’hui encore, il m’arrive d’en acheter pour ma propre consommation ou de me servir dans l’assiette du bébé que je fais manger.

Je me souviens du bloc Rhodia, je m’en souviens d’autant mieux qu’il est de ces rares produits qui n’ont pas changé. A présent, je me sers d’autres carnets pour écrire mais je ne puis en voir un sans me souvenir que j’ai commencé à prendre des notes en voyage sur « la marque aux deux sapins », née en 1934 dans le couloir rhodanien, d’où ce nom qui au début m’a porté par mégarde vers une île grecque, Rhodes.

La bolée personnalisée. Souvenir de l’île d’Yeu. Je me souviens que petit garçon j’avais ma bolée avec mon nom joliment calligraphié. Au fond, une vue du Vieux Château.

Les boules Quiès. Je ne les ai jamais utilisées mais elles étaient sur la table de nuit de ma grand-mère et, surtout, un ami mort trop jeune les emportait partout avec lui.

Les Anis de Flavigny (sa petite scène pastorale) me disent ma mère ; et le Cachou Lajaunie me dit sa mère.

Les cartes en tout genre… Je me souviens de ma première carte, une Carte d’Identité Familles Nombreuses (nous étions quatre enfants et la famille nombreuse commençait à trois enfants). Je me souviens que le pourcentage de réduction accordé était imprimé au tampon, en gros chiffres bleuâtres et évidés.

Je me souviens du cendrier Ricard. Je le revois dans les bars et les cafés de France, leur jaune intense, leur forme faussement triangulaire, faussement car chaque angle de ce triangle était coupé pour offrir un support à une cigarette – de fait il s’agissait d’un hexagone (avec trois côtés longs et trois côtés courts alternés) qui cherchait à se faire passer pour un triangle équilatéral.

La chaise Mullca 510 ne m’invite pas nécessairement à d’agréables souvenirs puisqu’elle me reconduit sur le chemin de l’école.

La cocotte-minute SEB. Je me souviens du bruit très caractéristique que faisait son système de fermeture avant qu’il ne soit bien serré. Je revois chaque détail de cet objet particulièrement pratique que l’on trouvait dans les cuisines des familles aisées comme des familles modestes. J’imagine Georges Perec décrivant cet objet.

Lorsque le couteau à viande électrique fit son apparition chez nous, j’en admirai l’ingéniosité, et pourtant rien de bien extraordinaire avec ces deux lames qui allaient et venaient l’une contre l’autre. Des années après, je me souviendrai de ce couteau en observant un taille-haie électrique en action.

L’Économe. Je revois la femme de ménage épluchant les pommes de terre, ses mains, la forme de ses ongles. Je me souviens qu’elle s’appelait Émilienne et habitait un petit appartement dans un coin du XIVe arrondissement, derrière la partie la plus fréquentée de Montparnasse. Ainsi, ce couteau me remet aussitôt en mémoire Émilienne et son quartier.

Je me souviens des verres décorés de la moutarde Amora, de certains de ces verres, en particulier ceux montrant des scènes des aventures d’Astérix le Gaulois.

Le guide Michelin. Le rouge à couverture rigide. Je l’ai vu un peu partout mais sans jamais le consulter n’ayant aucune attirance pour les restaurants étoilés. Par contre, j’ai beaucoup consulté le Guide Vert Michelin au cours de certains voyages. Ainsi m’a-t-il accompagné au cours de mes premiers voyages en Grèce.

Le Bled, le Bescherelle, souvenirs scolaires comme avec la chaise Mullca 510 ; et les Annales Vuibert pour les révisions d’été.

Je me souviens des Malabar et des Carambar. Je me souviens des décalcomanies Malabar que l’on s’appliquait généralement sur le dessus de la main ou sur le bras. Je me souviens des blagues Carambar, mais je ne me souviens d’aucunes d’entre elles.

Les moulins à café Peugeot. Je n’ai jamais vu personne s’en servir mais ils étaient bien présents dans les cuisines françaises. On ne s’en séparait pas facilement ; on les regardait avec tendresse ; après avoir cessé de servir, ils devenaient décoratifs ; et les enfants jouaient avec, ils aimaient leur longue manivelle et leur petit tiroir.

Lorsque je vois un Opinel me viennent aussitôt des souvenirs estivaux, des souvenirs de voile et d’école de voile, d’équipières dont j’étais discrètement amoureux.

Le Papier d’Arménie, un « Je me souviens » porté par deux vecteurs pareillement prégnants : olfactif et visuel. Olfactif bien sûr mais aussi visuel avec ce carnet triple Papier d’Arménie constitué de trente-six bandelettes de papier brun prédécoupées, soit douze feuilles à diviser en trois bandes, avec la mention légale Papier d’Arménie et l’élégante signature Auguste Ponsot sur chaque bandelette.

On n’a jamais fumé de Gauloise chez moi (mon père fumait la pipe) mais je ne puis voir un paquet avec le casque gaulois sans que toute une France ne me revienne. A ce propos, je me souviens de Marcel Jacno, plus simplement de Jacno.

Je me souviens de Tefal (T-Plus) : Plus c’est dur, plus ça dure.

Je me souviens que le presse-ail me fit penser à un instrument de torture miniaturisé de l’Inquisition. Je me souviens du presse-purée manuel, une chose à trois pattes rétractables (comme des pattes de crabe). Je me souviens de sa manivelle à deux coudes et terminée par une boule qui me faisait penser à des leviers de commande de changement de vitesses de certaines voitures (à la 2 CV Citroën pour la boule). Je me souviens que ce presse-purée possédait un jeu de râpes. J’imagine Georges Perec travaillant à une description exhaustive de cet appareil aussi simple qu’astucieux.

Je me souviens de l’apparition du rasoir jetable Bic (en 1975, je l’ai vérifié car je ne m’en souvenais pas), un rasoir à une lame avec une tête blanche et un manche orange. Je n’ai jamais fumé mais je me souviens de l’apparition du briquet jetable à flamme réglable Bic (né lui aussi dans les années 1970). Je me souviens surtout du stylo-bille Bic Cristal et accessoirement du stylo-bille Bic 4 couleurs, des stylos-billes nés avant le rasoir et le briquet en question. Et, bien sûr, je me souviens du Baron (Marcel) Bich.

Je me souviens de la mode des ronds de serviette en bois avec les prénoms pyrogravés des membres de la famille. Je ne les aimais guère et cette idée m’a toujours paru saugrenue. Il est vrai qu’avec le temps on leur trouve un certain charme quand on les découvre dans les tiroirs d’une maison de famille alors que leurs propriétaires sont décédés ou ont quitté la maison (de leur enfance) depuis longtemps.

Je me souviens des tabourets en formica dans les cuisines françaises, tant dans les milieux bourgeois que populaires. Ma mémoire les voit plutôt carrés (mais il y en avait des ronds) et vert pâle (mais il y en avait d’autres couleurs), avec de légères modulations et un jonc noir, avec pieds métalliques chromés terminés par des embouts en caoutchouc noir. Une fois encore, j’imagine Georges Perec travaillant à une typologie de ces tabourets vintage.

Je me souviens qu’un ami de mes parents avait un tire-bouchon avec un manche en cep de vigne. Je le regardais avec amusement et je finis par lui trouver quelque chose de conceptuel.

Je me souviens des verres Duralex et je ne les oublierai pas : on les trouve partout dans le monde, y compris dans les régions les plus reculées. Ils se sont vendus à des centaines de millions d’exemplaires et le Made in France se laisse lire au fond de ces verres.

Et pour finir, dix « Je me souviens » de Georges Perec :

Je me souviens des vieux numéros de L’Illustration. (Je m’en souviens aussi.)

Je me souviens des aiguilles en acier, et des aiguilles en bambou, que l’on aiguisait sur un frottoir après chaque disque.

Je me souviens qu’au Monopoly, l’avenue de Breteuil est verte, l’avenue Henri-Martin rouge, et l’avenue Mozart orange. (Je m’en souviens aussi.)

Je me souviens des autobus à plate-forme : quand on voulait descendre au prochain arrêt, il fallait appuyer sur une sonnette, mais ni trop près de l’arrêt précédent, ni trop près de l’arrêt en question. (Je m’en souviens aussi ; mais ce souvenir me semble si lointain et improbable que je me demande si ce n’est pas un souvenir cinématographique. Pourtant, j’ai dû en voir car, après vérification par un document INA, le dernier de ces autobus a quitté définitivement le service en 1971.)

Je me souviens de l’époque où il fallait plusieurs mois et jusqu’à plus d’une année d’attente pour avoir une nouvelle voiture. (Je crois m’en souvenir. Mais ce dont je me souviens avec certitude, c’est le temps qu’il fallait attendre dans les années 1970 pour faire installer le téléphone chez soi.)

Je me souviens que les coureurs cyclistes avaient une chambre à air de secours roulée en huit autour de leurs épaules.

Je me souviens des trous dans les tickets de métro. (Je m’en souviens aussi.)

Je me souviens que la première ligne équipée de métros sur pneus fut la ligne Châtelet-Lilas. (Je m’en souviens aussi.)

Je me souviens des tables de logarithmes de Bouvard et Ratinet. (Je m’en souviens aussi.)

Je me souviens des publicités peintes sur les maisons. (Je m’en souviens aussi, mais elles avaient probablement été peintes avant ma naissance et le temps achevait de les effacer.)

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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