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Des jours lisboètes – 1/3

27 décembre 2015 A un carrefour, non loin de chez moi, le marquage au sol (lignes continues et lignes discontinues ainsi que flèches directionnelles) est en pavé blanc incrusté dans le pavé gris de la chaussée. Une publicité pour vins : Uma família de puros sangues alentejanos. Au fronton d’un bâtiments sobre aux proportions harmonieuses, on peut lire Comissão Reguladora do Comércio de Bacalhau. Belles réhabilitations et surélévations (un travail d’architecte particulièrement délicat) harmonieuses. Dans ses travaux de restauration, le Portugais semble moins radical que l’Espagnol. Sur des pignons, des fresques font appel à la technique de la taille d’épargne (voir xylographie et linogravure). A ce propos, connaissez-vous les œuvres du street-artist portugais Alexandre Farto (Vhils), Scratching the Surface ?

Le pont du 25 avril et ses deux portiques à haubans. Sur ses bases en béton, des dauphins bondissants ont été peints.

Museu de la Marinha, installé dans la partie ouest du Mosteiro dos Jerónimos. La pureté monacale des salles. Je pense à Juan de Herrera. Des maquettes encore et encore. Un travail et une ingéniosité à couper le souffle ; et quelle complexité ! Et pensons qu’une salve pouvait d’un coup raser ces mats et ces cordages dont la fabrication et la mise en place avaient nécessité tant d’efforts. Devant certaines maquettes, je me prends à imaginer la vie des matelots qui devaient monter à des hauteurs considérables pour ferler des voiles immenses puis les attacher au moyen de rabans. Combien de marins sont tombés à l’eau sans pouvoir être récupérés ? La vie effrayante de souffrances et de fatigue à bord de ces navires.

Le musée s’ouvre sur une vaste carte qui montre comment la prise de Ceuta (aujourd’hui espagnole), le 21 août 1415, fut la première étape vers la conquête de l’Atlantique et ouvrit les routes du monde aux explorateurs portugais. La maquette de caravela redonda (square-rigged caravel) en partie construite à partir de la description qu’en fit le père Fernando de Olivera dans son ouvrage « A arte da guerra no mar » (imprimé en 1555). Un portrait de Gil Eanes. Un reliquaire indo-portugais contenant une côte de Vasco de Gama. Le « Madre de Deus » capturé par les Anglais (en 1592) qui furent tellement impressionnés par ses dimensions qu’ils l’exposèrent à Dartmouth pour l’émerveillement de la population. Dans une vitrine, the remains of a pepper wreck, « Nossa Senhora dos Mártires », naufragé en 1606 et fouillé entre 1996 et 2001. Une grande représentation peinte de la bataille navale du Cabo de São Vicente, le 5 juillet 1833. Une maquette du croiseur « Adamastor ». C’est à bord de ce navire que partit le signal de la révolution (le 4 octobre 1910) qui conduisit à l’instauration de la première République. Ce même croiseur fut engagé contre les Allemands, en 1916, sur la rivière Rovuma, au nord du Mozambique. Des fac-similés du journal de Roberto Ivens. Au mur, une vaste carte de l’Afrique avec les expéditions Roberto Ivens – Hermenegildo Capelo, celle de 1877-1880 puis celle de 1884-1885. Le très riche patrimoine portugais des bateaux de pêche (côtière, fluviale et au long cours) dont les plus connus (les plus reproduits dans les publications à l’usage du tourisme), ceux de Nazaré, ces lourdes barques à la proue très relevée, très colorée. La muleta do Seixal et son étrange voilure. Parmi les meilleures embarcations pour trafic fluvial, la fragata do Tejo. L’« Argus » et la pêche à la morue à Terre-Neuve. Dans un pavillon à part, des pièces maîtresses de l’histoire du Portugal dont l’hydravion « Santa Cruz » à bord duquel Gago Coutinho et Sacadura Cabral réalisèrent la première traversée de l’Atlantique Sud en 1922.

Ciel gris, air tiède et frais, le cri des mouettes. Une longue file d’attente devant la plus célèbre pâtisserie de Lisboa, fondée en 1837, Pastéis de Belém.

28 décembre 2015 Ciel gris, humide et souffles tièdes venus du large. Le cri des mouettes. La chambre blanche. Je détaille les moulures du plafond avant de me lever. Thé dans la cuisine au marbre rose et finement moucheté. Les arbres des jardins ont été taillés, un peu sévèrement me semble-t-il. Travaillé à la mise au propre de manuscrits affreusement embrouillés. Commencé la lecture de « Os Lusíadas » de Luís de Camões (disponible en ligne et en PDF). Le passage du tramway qui ferraille rythme le temps, comme le font les cloches du monastère à côté de chez moi, en Espagne.

J’entre dans une église. On y célèbre l’office. Une vingtaine d’assistants. Le célébrant est noir, revêtu d’une chasuble d’un rouge profond. Le rapport entre cette peau et cette étoffe est du plus bel effet. Un discret graffiti sur un mur du Chiado, amotecomoteamo. Le simple fait d’accoler des mots entre eux produit un dépaysement, précieux et délicieux, envers le langage le plus familier. Mais le dépaysement n’est-il pas toujours précieux et délicieux ? On pense au célèbre Doukipudonktan qui ouvre « Zazie dans le métro » de Raymond Queneau. La belle Livraria Ferin (depuis 1840), rua Nova do Almada. Et toujours ces caresses tièdes venues du large.

Des salons de coiffure me replacent dans mon enfance aussi sûrement que la madeleine et la grive (de Montboissier) replacèrent Proust et Chateaubriand dans la leur. Dans le Chiado, des salons de coiffure (baber-shops) branchés ont installé des fauteuils de coiffure années 1950 ou 1960 mais dans un environnement très design. Il semble que ce soit le dernier chic.

Le groupe en bronze d’António Teixeira Lopes en hommage à José Maria de Eça de Queirós (1845-1900) sur Praça Barão da Quintela, à quelques pas de la Praça Luís de Camões. Beau groupe de 1903 où le poète en costume soutient une belle jeune femme bras ouverts qui, légèrement renversée, le considère avec un sourire amoureux, la tunique amplement dégrafée jusqu’à la ceinture. A la base de ce groupe, gravés, ces mots de l’écrivain : Sobre a nudez forte da verdade, o manto diáphano da fantasia (en épigraphe à « A Relíquia »).

Retour sur Praça do Carmo, devant le quartier général de la Garda Nacional Republicana (GNR), un corps fondé en 1911. Devant l’entrée de la caserne, une belle femme en faction, la chevelure ramenée en un petit chignon juste sous le casque. Dans l’exposition dédiée à l’histoire de la GNR, quelques images montrent les événements du 25 avril (1974) sur cette place. Ao fim da tarde ocorre a queda do regime no Quartel do Carmo. Le soir, écouté la radio en m’efforçant de suivre des informations en portugais tout en buvant un vinho regional alentejano. L’Alentejo !

29 décembre 2015 Pastelaria lusitana. Les librairies de Lisboa, de véritables antres, des librairies comme je les aime, sorte de cabinet d’alchimiste auquel il ne manque que les cornues et les alambics. La perspective de la rua da Bica de Duarte Belo vue de la rua do Loreto. O melhor pastel de nata. Les pigeons chient sur les monarques, Pedro IV en l’occurrence mais aussi João I qui, lui, est protégé par un casque. Casa de sorteLoterias. Ourivesaria (orfèvrerie). Déjeuner dans un petit restaurant proche de la Praça da Figueira. Le serveur par ailleurs affable à de faux airs de José Saramago, ce qui m’est désagréable. José Saramago, antisémite de la pire espèce et auteur d’un salmigondis. Pensao Nova Goa. Sur le verre de la porte, trois lettres dorées avec le P et le N pris dans le G. Des possibilités de la technique du collage en écriture, voir « Berlin Alexanderplatz » d’Alfred Döblin. Plaça da Alegria, un square avec un buste d’Alfredo Keil (1850-1907), excellent peintre et musicien, surtout connu pour avoir composé l’air de « A Portuguesa », l’hymne national portugais.

Igreja de Santa Catarina. Le parfum des vieilles églises. Les ors assourdis. Partout les colonnes salomoniques du Baroque, dans l’autel central et les autels latéraux. Le buffet d’orgue (sur le côté droit en entrant) d’une richesse presque — franchement ? — outrancière. Dans cet extraordinaire ensemble baroque inauguré en 1680, on peut déceler des traces de maniérisme, de baroque (avec tendance nationale et joanine) et de rococo.

Olivier Ypsilantis

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