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Amie des Juifs / Ami des Juifs

 

Il existe quelques discrets témoignages sur la catégorie Amie des Juifs / Ami des Juifs, soit ces non-Juives et ces non-Juifs qui dès le 7 juin 1942 (date à partir de laquelle les Juifs sont dans l’obligation de porter l’étoile jaune) arborent cette étoile (de leur fabrication) en y ajoutant des inscriptions fantaisistes en réaction à l’infamie de la huitième ordonnance du 29 mai 1942. Ainsi, un certain Henri Muratet, dans un rapport de police du 8 juin 1942 : Faisons conduire au dépôt le nommé Muratet Henri, né le 24 octobre 1903 à Sauveterre, Aveyron, architecte demeurant 14 boulevard Barbès, à Paris 18ème. Le nommé Muratet a été arrêté le 7 juin courant à 11h35 devant le numéro 45 rue Clignancourt alors qu’il portait l’étoile jaune de David sur laquelle était inscrit le mot AUVERGNAT.

 

 Françoise Siefridt à sa sortie de Drancy. Elle porte encore le bandeau sur lequel il est précisé « Amie des Juifs ». Ci-joint, un lien AJPN :

http://www.ajpn.org/auteur-Francoise-Siefridt-7226.html

  

Le 7 juin 1942, Françoise Siefridt est arrêtée sur le boulevard Saint-Michel, à Paris ; elle arbore une étoile jaune de sa fabrication avec inscription fantaisiste, Papou en l’occurrence. Elle a dix-neuf ans, elle est catholique, membre de la J.E.C. (Jeunesse étudiante chrétienne), et elle est étudiante en hypokhâgne au lycée Fénelon. Internée avec une vingtaine de non-Juifs ayant eu la même idée, spontanément, sans se concerter, tous doivent porter au-dessus de leur étoile jaune un bandeau réglementaire de vingt centimètres sur quatre et pourvu de la mention Ami des Juifs ou Amie des Juifs.

Au cours de ses trois mois de détention (de juin à août 1942), au dépôt du commissariat du 5ème arrondissement, au camp des Tourelles (une ancienne caserne située 141 boulevard Mortier, Paris 20ème) puis au camp de Drancy, Françoise Siefridt tient un journal sur un cahier d’écolier, journal qui a été publié par les Éditions Robert Laffont, en 2010, sous le titre « J’ai voulu porter l’étoile jaune ». Ce livre est pourvu d’une préface de Jacques Duquesne et d’une postface de Cédric Gruat qui avait publié en 2005, avec Cécile Leblanc, aux Éditions Tirésias (collection Ces oubliés de l’histoire), « Amis des Juifs », sous-titré « Les résistants aux étoiles ».

Cédric Gruat, historien né en 1973, a travaillé comme documentaliste au Mémorial de la Shoah – Centre de Documentation Juive Contemporaine (C.D.J.C.). Il y a découvert des documents peu connus, notamment une liste de vingt non-Juifs internés en juin 1942 au camp des Tourelles et à celui de Drancy pour « port d’un insigne fantaisiste parodiant l’étoile des Juifs ». Des recherches complémentaires aux Archives de la Préfecture de Police de Paris lui ont permis de recueillir les noms de trente-six autres non-Juifs arrêtés entre le 6 et le 10 juin 1942 pour le même motif, un geste qui revenait à tourner en dérision la législation antisémite. D’autres Amis des Juifs furent arrêtés en province. On suppose par ailleurs qu’ils auraient été quelques centaines à se livrer à cet acte spontané tout en échappant à la surveillance des autorités, tant françaises qu’allemandes, en zone occupée.

 

Quelques insignes fantaisistes portés par les Amis des Juifs

 

Le port de l’étoile jaune a provoqué nombre de réactions de sympathie dans la population française, et rien de mieux pour s’en convaincre que de lire les rapports du SD à ce sujet. Ces réactions de sympathie se sont traduites de bien des façons, plus ou moins discrètes, des gestes individuels, spontanés, de petits gestes du quotidien : des sourires, des mots de réconfort, une place cédée dans les transports en commun, etc. Ceux qui décidèrent d’arborer une étoile jaune franchissaient le pas, et on ne peut qu’évoquer leur courage. Tous auraient pu être déportés et finir comme ceux dont ils étaient les amis : Drancy était l’antichambre d’Auschwitz.

Les Amis des Juifs viennent de milieux sociaux fort divers ; et on y trouve des femmes et des hommes d’âges divers. Les recherches à leur sujet laissent entendre que leur acte est spontané, individuel et ponctuel, que les Résistants (affiliés à un réseau et obéissant à des consignes) y sont minoritaires. Il est vrai que pour certains, minoritaires encore, ce geste va marquer leur entrée dans la Résistance.

Le plus intéressant document d’époque à ce sujet, le plus complet, est assurément le Journal tenu par Françoise Siefridt, du 7 juin 1942 (date de son arrestation) au 31 août de la même année (date à laquelle elle est libérée du camp de Drancy), soit quatre-vingt-six jours de détention. Signalons que presque tous les Amis des Juifs furent arrêtés en 1942, entre le 7 et le 10 juin, et relâchés entre le 30 août et le 1er septembre.

Cet écrit est un très précieux témoignage sur ce qui pourrait être qualifié de « fait divers » dans l’immensité de la Seconde Guerre mondiale. Son caractère factuel et sa pudeur confirment sa valeur. Pas de grands mots ou de considérations morales. Et ce « fait divers » est très peu connu du grand public, et pas si connu des historiens spécialistes de cette époque. J’en ai pris connaissance en lisant le livre d’André Kaspi, « Les Juifs pendant l’Occupation », paru en 1991. La préface de Jacques Duquesne (elle dépasse en longueur, et de loin, les pages écrites par Françoise Siefridt) n’est pas dénuée de qualités mais accuse une certaine lourdeur. Plus généralement, une préface qui dépasse en volume le texte qu’elle introduit pose déjà problème. On pourrait même y voir un manque de modestie (prendre prétexte de pour faire étalage de sa science) ou, plus simplement, de courtoisie. Mais ceci est une autre histoire. La postface de Cécric Gruat est quant à elle concise et discrète.

Amie des Juifs, Solange de Lipkowski (née en 1922) s’est confectionnée une étoile jaune sur laquelle elle a écrit bouddhiste. Elle témoigne : « Je me suis promenée avec, dans les rues de Paris. Ce qui me faisait très plaisir, c’est que quand je croisais des jeunes portant cette étoile et qu’ils me voyaient avec mon étoile, je surprenais de la joie dans leur regard et je me sentais réconfortée dans ma décision ». Étudiante en philosophie à l’École alsacienne, elle est arrêtée le 10 juin 1942, durement sermonnée et relâchée car âgée de moins de dix-huit ans. Tout au long de sa vie, elle se demandera si son geste n’avait pas attiré l’attention des Allemands sur sa famille et, ainsi, n’avait pas facilité l’arrestation de son père, mort en 1944 à Buchenwald.

Extrait du Journal de Françoise Siefridt : « Nous voilà à Drancy (…) Nous descendons. Des Juifs transportent nos paquets et nous accueillent chaleureusement. Le camp nous apparaît comme un entassement prodigieux de Juifs. A travers une fenêtre, j’aperçois un jeune homme à lunettes. Il a une allure d’étudiant. Il me montre au-dessus de son étoile un bandeau blanc sur sa poitrine. C’est un Ami des Juifs lui aussi. Nous nous faisons des signes qui veulent dire que nous sommes amis, puisqu’enfermés pour la même raison ».

Parmi les Amis des Juifs, Michel Reyssat, à peine plus âgé de dix-huit ans, arrêté le 9 juin 1942 à Paris pour avoir porté une étoile jaune fantaisiste avec l’inscription SWING. Alors qu’il sort de l’écrit du baccalauréat, Jean Vaillon (il habite à Dijon) se met une étoile jaune fantaisiste avec l’inscription ZAZOU. Il passera trois mois à Crépey, dans un camp forestier, près de Bligny-sur-Ouche.

Dans un précédent article j’ai évoqué le cas tragi-comique de ce médecin de Besançon, Maurice Baique, qui écrit au préfet du Doubs pour solliciter l’autorisation et l’honneur de porter l’étoile jaune. Sa lettre est transmise aux autorités allemandes qui l’arrêtent et l’envoient se faire examiner par un médecin allemand. Maurice Baigue est finalement reconduit chez lui.

Ci-joint, une présentation du livre de Cédric Gruat et de Cécile Leblanc, « Amis des Juifs – Les résistants aux étoiles » :

http://www.fondationresistance.org/pages/rech_doc/amis-des-juifs-les-resistants-aux-etoiles_cr_lecture54.htm

Ci-joint, un compte-rendu du livre de Françoise Siefridt, « J’ai voulu porter l’étoile jaune », de Michel Sender :

http://melisender.over-blog.com/article-j-ai-voulu-porter-l-etoile-jaune-de-francoise-siefridt-43525068.html

Un documentaire de 52 mn (2006), « Les Amis des Juifs » de Bernard Debord et Cédric Gruat est téléchargeable en ligne.

Olivier Ypsilantis

 

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