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Virginia Woolf et le voyage

A Virginia Woolf, en souvenir de ces belles heures passées à la lire.

 

Virginia Woolf n’est pas une travel writer. Elle n’a jamais écrit de livre de voyage comme tant de ses coreligionnaires. Elle n’a écrit que quelques pages de travel essays pour des magazines. Dans sa correspondance et son journal, elle évite délibérément le genre travel reportage car elle se méfie de ce qu’elle désigne comme une tentation néfaste, soit le « descriptive writing ». Elle juge que ce qui se présente à l’observateur est trop dense et trop complexe et que « what one records is really the state of one’s own mind ». Elle reconnaît que les plus grands maîtres du genre (parmi lesquels Lawrence Sterne, que j’ai cité à propos d’Ernst Jünger) parviennent à garder un équilibre entre le descriptif et le compte-rendu de leur état d’âme mais que le genre ne la séduit guère.

Lorsque Virginia Woolf se laisse aller à la description, elle se reprend sans tarder et se moque d’elle-même. Elle célèbre la volonté d’Alexander William Kinglake et ce qu’elle considère être un chef-d’œuvre du travel writing, soit « Eöthen », un écrit libre de références géographiques, historiques, d’informations diverses (genre guide touristique), de digressions politiques, etc. Virginia Woolf ne veut en aucun cas être assimilée à une touriste – une bien triste figure selon elle. Mais que dirait à l’heure du tourisme de masse cette femme qui écrivait en 1939 (de Bretagne) : « Travellers are the greatest bores out » ?

 

Virginia Woolf (1882-1941) par Julia Margaret Cameron, le plus beau portrait de cette écrivaine.

 

Virginia Woolf voyage pourtant mais elle se garde de mentionner ce qui rend célèbre tel ou tel lieu visité. Il y a néanmoins dans son journal et sa correspondance des éclats descriptifs de ses voyages (je passe sur la liste) qui sont comme autant d’eaux-fortes ou de haïkus, soit une densité et une précision qui transportent le lecteur. Ces éclats descriptifs ont été rassemblés et classés par Jan Morris dans « Travels with Virginia Woolf ».

Lorsque Virginia Woolf se laisse aller à la description, elle s’efforce de ne pas faire usage de l’adjectif ou, tout au moins, d’en faire un usage aussi limité que possible, une tendance qui s’accentue avec l’âge.

Virginia Woolf n’a pas écrit de récits de voyage ; pourtant peu d’écrivains ont eu un tel sens des lieux, de leur spécificité et de leur ambiance. Dans ses œuvres de fiction, les lieux infusent dans les personnages et inversement. « Mrs Dalloway » est un portrait de Londres comme « Ulysses » est un portrait de Dublin. Et que dire de « To the Lighthouse » qui nous conduit vers St Ives Bay en Cornouaille, avec le phare de Godrevy sur l’île de Godrevy ? Les lieux sont essentiels dans les romans de Virginia Woolf, ils ne sont en rien de simples décors. « A Room of One’s Own », livre à caractère polémique, s’ouvre sur une minutieuse description de la ville de Cambridge.

Virginia Woolf est profondément attachée aux lieux, à commencer par les lieux de son enfance. Lorsqu’elle voyage, elle a vite le homesickness. La Cornouaille où la famille Stephen (sa famille) louait une maison de vacances restera l’une de ses sources d’inspiration. Au cours de ses voyages, elle compare volontiers certains lieux visités à la Cornouille ; ainsi des falaises de Penwith qu’elle compare à la côte de Grèce et Athènes qui lui évoque explicitement St Ives.

Virginia Woolf est soucieuse de confort dans le voyage et elle rend compte dans le détail des désagréments qu’elle doit y endurer. L’aviation en est à ses débuts et très peu de touristes utilisent alors ce mode de transport.

Comme tous les membres du Bloomsbury Group dont elle est un membre éminent, Virginia Woolf est pour bien des raisons extrêmement anglaise. De par ses origines, elle appartient à une haute bourgeoisie alors à son apogée, avec le British Empire. Elle est héritière de l’époque victorienne et se souvient du Diamond Jubilee de Queen Victoria. Elle a un comportement conventionnel envers l’étranger et les classes sociales inférieures à la sienne. Elle affirme ses préjugés sans s’embarrasser, comme en témoigne le lexique dont elle fait à l’occasion usage lorsqu’elle voyage.

Virginia Woolf est un pur produit de son temps, de son pays, de son milieu. Peu douée pour les langues étrangères, il lui arrive toutefois d’être embarrassée par cette limitation. Elle ne voyage que rarement seule. Elle loge dans de bons hôtels (où elle s’attarde volontiers dans les lounges) où chez des compatriotes expatriés.

L’idée du voyage ne lui déplaît pas. Elle n’a probablement jamais pris l’avion. Elle n’aime pas naviguer mais aime observer du rivage la mer, l’océan et les bateaux qui passent.

Le couple achète sa première voiture en 1927. Elle ne conduit pas mais elle aime voyager en voiture, la voiture qu’elle célèbre volontiers dans ses écrits. Elle célèbre sa voiture qui la fait se sentir « rich, conservative, patriotic, religious and humbuggish ». Les voyages dont elle retire le plus de plaisir sont probablement ceux qu’elle fait en voiture et en France, en compagnie de son époux Leonard. « This is the way to live » écrit-elle d’Orange en 1928, « Driving all day; an hour or two for lunch; a few churches perhaps to be seen; one’s inn at night; wine; dinner; bed; off again… » Mais elle est heureuse de rentrer chez elle.

« What I like… about motoring is the sense it gives one of lighting accidentally, like a voyager who touches another planet with the tip oh his toe, upon scenes which would have gone on, have always gone on, will go on, unrecorded, save for this chance glimpse. »

Comme nombre de Britanniques, elle aimerait plus de soleil, soit plus de chaleur et plus de lumière. Elle écrit dans une lettre à Gerald Brenan en 1922 que ses yeux sont « grey with England ». Elle songe à s’expatrier et prospecte en compagnie de son époux. Le couple pense à la Toscane, Avallon, Rome, l’Espagne, County Cork et même la Crète pour y transférer la Hogarth Press. Mais ces recherches sont faites sans grande conviction semble-t-il et aucune n’aboutit.

Comme de nombreux compatriotes, Virginia Woolf espère également trouver à l’étranger une nourriture plus savoureuse et plus variée. Et de l’alcool aussi, du vin surtout/ Elle écrit de France en 1928 : « Suppose one had wine every day, at every meal – what an enchanted world! »

Pourquoi le moindre passage de son « Dairy » (dont je n’ai lu que des passages, notamment ceux retenus par Leonard Woolf dans « A Writer’ Dairy ») me retient-il à ce point ? Probablement parce que l’écriture de Virginia Woolf ne laisse que très rarement place à la description, qu’elle rend presqu’exclusivement compte de l’effet produit par un lieu donné sur une sensibilité particulière, la sienne, une sensibilité d’une étourdissante finesse.

En 1929, elle écrit dans le Sussex : « I had that curious feeling of being very young, travelling abroad, and seeing the leaves from a train window, in Italy – I can get the feeling right now. All was adventure and excitement. »

Olivier Ypsilantis

1 thought on “Virginia Woolf et le voyage”

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