Skip to content

Quelques considérations économiques – 3/6

Cet article m’a été en partie inspiré par Simone Wapler. Je me suis aperçu que nombre de mes vues rejoignaient les siennes alors que je suis nourri d’une expérience bien différente de la sienne.

Donc, un nouvel ordre monétaire se met en place, activé par la pandémie. On se souvient que lorsque les règles établies suite aux accords de Bretton Woods ont été poussées de côté de grands désordres s’en sont suivis. Avec les monnaies flottantes, les échanges marchandise contre marchandise ont cédé la place à des promesses de payer. Ainsi, au fil des ans la masse de crédit est devenue telle qu’il n’est plus possible de rembourser la dette. Pour l’heure, on repousse les échéances à l’aide de trucs. Ainsi, par exemple, une dette à cinq ans est « remboursée » par l’émission d’une dette à dix ans. On laisse croire (personne n’est dupe mais tout le monde fait comme si de rien n’était afin de permettre au système de survivre) que cette obligation sera remboursée tandis que la dette augmente sans trêve. La baisse des taux et l’argent « gratuit » permettent de maintenir la griserie – on s’enivre gratuitement, ou presque.

Mais que se passera-t-il lorsque les taux remonteront, même doucement, tout doucement ? La Banque centrale européenne (B.C.E.) rachète massivement les obligations des pays membres de l’Union européenne afin de maintenir des taux d’intérêt « historiquement bas » ; mais combien de temps va durer ce tour de passe-passe monétaire ? Ces taux permettent certes d’éviter la chute dans un puit très profond en nous faisant reculer d’un pas – ou d’un demi pas – de son bord, mais dans un même temps ils creusent plus encore le puit ; et lorsque nous y tomberons…

Parmi les lettres qui sont entrées dans le jargon économique (avec reprise en V, en U, en L, en W) il y a le K dont le graphisme illustre la dichotomie entre marchés financiers et activité économique, la branche supérieure de cette lettre représentant les marchés financiers, la branche inférieure représentant l’économie réelle. En effet, l’argent coule à flot (quantitative easing ou QE), les marchés boursiers sont dopés tandis que les P.I.B. chutent. Mais comme le font remarquer des économistes simplement attentifs, une grosse part (pour ne pas dire l’essentiel) de la richesse économique des pays les plus développés ne vient pas des entreprises cotées en bourse mais des P.M.E., parmi lesquelles des micros, petites et moyennes entreprises.

Puisqu’il a été question de la B.C.E., je me permets une parenthèse. Le Tribunal constitutionnel fédéral (Bundesverfassungsgericht ou BVerfG), basé à Karlsruhe, a demandé des explications à la B.C.E. avant de prendre acte de la décision gouvernementale. J’ai suivi de près ce débat en me rangeant instinctivement, pourrais-je dire, du côté de ce tribunal et en me posant immédiatement la question : s’agit-il d’un baroud d’honneur ou du signal donné à un soulèvement ? Il est encore trop tôt pour y répondre.

Je me suis rangé du côté de ce tribunal car, sans être un spécialiste de la question, j’ai aussitôt compris que la B.C.E. en prenait à son aise, en prenait de plus en plus à son aise, et avant même cette pandémie. Les lois fondamentales sont de plus en plus négligées, voire méprisées, et c’est aussi ce qui explique le Brexit. Le Tribunal constitutionnel fédéral a tenu à rappeler que la B.C.E. n’est pas über alles et, ce faisant, il est parfaitement dans son droit. Le Tribunal constitutionnel fédéral n’est cependant pas allé jusqu’à remettre en cause la légalité du P.S.P.P. (Public Sector Purchase Programme), soit le programme d’achats d’actifs publics de la B.C.E.

De fait le Tribunal constitutionnel fédéral aurait probablement aimé faire plus, mais il ne le pouvait pas. Il y a des années que le système européen de banques centrales finance les déficits des États en rachetant à tout-va leur dette publique sur le marché secondaire. Même si on évite de le dire officiellement, il y a bien monétarisation des dettes publiques dans la zone euro depuis 2015.

Ce « coup de gueule » du Tribunal constitutionnel fédéral était condamné sur le plan juridique. On peut donc y voir un baroud d’honneur, à moins que l’on accorde un sens plus franchement politique que juridique à son arrêt du 5 mai 2020. Il a eu le grand mérite de mettre les points sur les i en dressant la liste des perdants du P.S.P.P. : le quantitative easing (QE) mis en place dans la zone euro affecte presque tous les citoyens de ladite zone – et pas seulement les Allemands – en tant « qu’actionnaires, propriétaires, épargnants ou détenteurs de polices d’assurances », entraînant ainsi « des pertes considérables pour l’épargne privée ».

L’Allemagne n’oublie pas la politique menée par la Reichsbank dans les années 1920, une politique qui a conduit le pays dans le gouffre de l’hyperinflation. Et l’actuelle politique de la B.C.E., bien que menée dans un contexte très différent, réveille en elle de bien mauvais souvenirs – de fait des cauchemars – inscrits dans la mémoire collective de tout un pays. Voir l’inquiétude de l’économiste Thorsten Polleit et d’autres membres de la société civile.

Bref, on est en droit de se demander si la B.C.E. (en regard de ce que déclare Christine Lagarde) ne se contente pas de faire de la politique monétaire mais aussi de la politique économique. Ce n’est pas grave, dira-t-on, puisque c’est la B.C.E. qui paie – hier on disait : ce n’est pas grave puisque c’est l’État qui paie. Que cache ces tours de prestidigitation, ces magic tricks ? On a fait du quantitative easing, puis du prêt à taux zéro, puis du prêt à taux négatifs, puis des prêts en liquidités au niveau des banques européennes par la B.C.E. qui eux aussi sont à taux négatifs ; bref, on fait du financement monétaire des dépenses publiques. Et je vais reprendre une image à laquelle je fais volontiers appel : on se shoote au QE, au taux zéro, aux taux négatifs ; on est devenu des junkies du crédit. Fermer la parenthèse.)

Les pays qui appellent à un nouvel ordre monétaire sont des pays plutôt créditeurs. Ils se caractérisent par une dette publique sous contrôle, car détenue par des nationaux (voir le cas du Japon dont la dette à 240 % du P.I.B. est intégralement détenue par des Japonais), et une balance commerciale excédentaire. Parmi ces pays, la Chine. Les États-Unis pour leur part n’ont pas la moindre envie d’assister à la mise en place d’un nouvel ordre puisque le dollar reste malgré tout la monnaie de référence, l’étalon-dollar pourrait-on dire, ce qui leur permet d’exporter leur dette partout dans le monde et de s’endetter sans limite. Les pays créditeurs ont quant à eux tout intérêt à remettre de l’ordre dans le livre des comptes mondiaux qui semble à présent tenu par des poivrots et des junkies, des pays qui depuis la crise financière de 2008 ont assaini leurs finances ou, tout au moins, ne les ont pas laissées dériver.

Le F.M.I. invoque John Maynard Keynes, il est dominé par son ombre gigantesque. Il rappelle que les mesures budgétaires qu’il a prises « ont évité les effets de rétroaction macrofinanciers destructeurs que nous avons observés au cours de crises précédentes ». Soigner la dette par la dette est bien un étrange procédé. Il est vrai qu’en s’injectant consciencieusement du venin, on peut espérer renforcer ses défenses immunitaires… John Maynard Keynes est devenu probablement malgré lui un gourou post-mortem, fondateur d’une secte devenue toute-puissante. S’y opposer n’est pas sans danger. Lorsque les insinuations désobligeantes cessent, les injures se mettent à pleuvoir. Donc, selon le saint enseignement de John Maynard Keynes, il faut soigner la crise par une baisse des taux d’intérêt. Mais à présent les taux ont été tellement écrabouillés que l’on est passé en territoire négatif. On en est donc venu à créer du crédit sans la moindre contrepartie…

Ainsi que le suggère ironiquement Simone Wapler, le ton dramatique du F.M.I. et son appel urgent à un nouveau Bretton Woods ne cacheraient-ils pas le désir d’instaurer un ministère de l’Économie (planifiée) mondiale ? Parmi les voies que semble vouloir explorer le F.M.I., la fuite en avant sur le tapis volant de la dette (piloté par le F.M.I.), une dette supranationale (mutualisation à l’échelle planétaire) au service d’enjeux nécessairement planétaires et prémisses d’un gouvernement mondial.

Olivier Ypsilantis

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*