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Notes désordonnées. En lisant Léon Askénazi – 2/3

Je n’évoquerai que quelques maîtres de Léon Askénazi et brièvement : Jacob Gordin, le rav Abraham Isaac Kook, Rashi (de Troyes), Élie Benamozegh, André Néher et Edmond Fleg.

Jacob Gordin. Léon Askénazi rencontre Jacob Gordin dans un maquis des Éclaireurs israélites (E.I.). « Avant lui, nous étions habitués à considérer la science juive du point de vue des évidences de la conscience occidentale (…). Et subitement, un homme parlait de la culture générale du point de vue des évidences de la pensée juive ». C’était une réhabilitation, dans la mesure où les intellectuels juifs eux-mêmes dédaignaient les véhicules de la pensée juive comme le Midrash, le Zohar et le Talmud. La pensée de Jacob Gordin vit en Léon Askénazi.

Le rav Abraham Isaac Kook. Léon Askénazi rencontre le rav Abraham Isaac Kook à Jérusalem, une rencontre qui va l’hébraïser en une nuit, une mutation d’identité.

Rashi (de Troyes). La Bible est une parole qui a été dite au temps des Hébreux, en hébreu, aux Hébreux. Les Juifs d’aujourd’hui vivent dans un temps très postérieur au leur, un temps où la prophétie est à l’arrêt tandis que les Hébreux avaient une expérience immédiate de cette prophétie, par la parole des prophètes hébreux.

Aujourd’hui notre lecture de la Bible est secondarisée par des concepts théologiques, politiques, des images, des substituts (de notions théologiques). La révélation et la prophétie ont cessé il y a deux mille quatre cents ans / deux mille six cents ans, à la fin de l’époque du premier Temple. Elle ne s’acheva que lorsque commença l’histoire des Juifs, héritiers des Hébreux.

Il y a mille ans, du temps de Rashi, on prit conscience du risque que les Juifs n’arrivent plus à lire la Bible des Hébreux en hébreu. Des maîtres s’attachèrent alors à expliquer aux Juifs le sens hébreu de la Bible des Hébreux. Parmi ces maîtres, Raschi dont l’exégèse s’imposa très rapidement dans toutes les communautés juives du monde.

Le commentaire de Rashi est en hébreu mais en homme de son temps vivant en un lieu donné il prend appui sur l’ancien français champenois pour élucider les nuances que véhicule tel ou tel mot de l’hébreu biblique, ce qui oblige tous les Juifs du monde à apprendre l’ancien français champenois pour comprendre et Rashi et la Bible.

Rashi est né à Troyes en 1040. Il serait mort en 1105 dans cette même ville. Mais une tradition rapporte qu’il serait mort quelque part en se rendant en Eretz Israel. On sait avec certitude qu’au moins une centaine de rabbins de l’école des tossafistes (l’école de ses disciples directs) se sont installés avec leurs familles en Eretz Israel, à Saint-Jean d’Acre. Il s’agit de la première grande alya française.

Élie Benamozegh. Œuvre maîtresse d’Élie Benamozegh, « Israël et l’humanité » avec cette certitude discrète mais centrale que le dialogue d’Israël avec l’ensemble des religions, y compris les religions polythéistes et les spiritualités de l’Inde et de l’Extrême-Orient, pourrait redevenir possible grâce à la réhabilitation du discours kabbalistique – ce qui suppose qu’il faille court-circuiter l’Église et la Mosquée.

Élie Benamozegh juge que le fait qu’Israël n’ait pas (d’un certain point de vue) de langage pour parler à l’humanité tient pour l’essentiel à deux causes : 1. La prétention chrétienne d’un côté et musulmane de l’autre d’être le véritable noachisme. 2. Le fait qu’Israël ne dispose pas du langage permettant d’assurer le trait d’union entre la conviction monothéiste absolue de l’unité de Dieu (et pas seulement de Son unicité) et les polythéismes de l’humanité. La tradition juive est consciente d’être dépositaire d’un message particulier et cependant pourvu d’une signification universelle. Le judaïsme est une religion universelle et non pas une religion universaliste.

Une religion universelle veut s’imposer comme telle à tous les hommes quels qu’ils soient. Le Christianisme qui s’est présenté initialement comme une tentative noachique s’est voulu finalement, théologiquement et historiquement, comme une religion universelle. En tant que noachisme hypothétique, il avait un problème (insoluble) à résoudre, un problème qui apparut dès ses débuts : la place d’Israël. Le cas de l’Islam est sur cette question à placer en symétrie, il représente le pendant du Christianisme quant à la place d’Israël.

Le christianisme et l’islam se veulent religions universelles.

Une religion universaliste est une religion qui, dans sa conception du salut pour les hommes, propose à l’universel humain une place sans pour autant prétendre s’imposer comme telle à tous. Cette différence a été soulignée par le Grand Rabbin Meyer Jaïs, entre le judaïsme qui se définirait comme universaliste et le christianisme qui se définirait comme universel – c’est une clé pour comprendre l’enseignement d’Élie Benamozegh.

André Néher. Une des lignes de force de l’œuvre d’André Néher : le renouvellement de la signification de la notion de prophétie comme définissant l’essence même du judaïsme. André Néher a raccordé le monde juif à la prophétie hébraïque, un monde gagné aux évidences de la philosophie et imprégné de mystique chrétienne. André Néher s’est attelé à la tâche immense de rendre sensible au monde juif (après la Shoah et la refondation de l’État d’Israël) l’identité originelle, hébraïque, dans une langue (le français) imprégnée des catégories de la philosophie et de l’expérience de la mystique chrétienne.

Cette tension vers l’identité originelle par la prophétie hébraïque a été conduite par la tradition pharisienne et l’exposé concis des distances et des liens de l’existence juive avec la civilisation chrétienne. Réhabilitation de la tradition pharisienne par la redécouverte de l’identité du prophète – le maître par excellence de la tradition juive. Depuis la fin de la prophétie, les Juifs (et les Hébreux, soit les Juifs revenus chez eux, en Israël) ne sont plus prophètes mais fils de prophètes. Il convient de remonter la filiation et de la faire revivre en soi.

La thèse d’André Néher, « Amos, contribution à l’étude du prophétisme », est apparue comme un tournant dans la compréhension du phénomène de la prophétie. André Néher éclate le schéma classique. Il fait remarquer qu’il s’est écoulé plus de quatre siècles entre la fin de la prophétie hébraïque et la séparation du judaïsme et du christianisme. « Tout imprégnés des évidences des catégories de la culture occidentale, nous avions pris l’habitude de penser que le judaïsme s’était détaché de la tradition biblique représentée par le christianisme, et que le judaïsme des pharisiens était une hérésie ». Il y a bien un trou culturel et spirituel entre les derniers prophètes et les premiers évangélistes. Le schéma réel est qu’il y a d’abord eu le temps des Hébreux, puis celui du judaïsme de la Mishnah puis, à la fin du deuxième Temple (et non du premier Temple), bifurcation entre le judaïsme (porté par la tradition pharisienne) et le christianisme – qui a rompu avec les messages essentiels des prophètes hébreux.

Remarque essentielle : « Dans l’ambiance intellectuelle des analyses habituelles sur le problème du judaïsme dans laquelle André Néher a enseigné et renouvelé le sujet qu’il traitait, on s’était habitué à opposer Moïse à Abraham, la loi aux prophètes. Selon ce schéma, les pharisiens, c’est-à-dire les Juifs légalistes de la loi, avaient oublié le message des prophètes qui passait désormais par la tradition chrétienne. Nous devons à André Néher d’avoir relié Moïse et Abraham. »

L’œuvre d’André Néher permet de mettre au placard le cliché de l’opposition entre les sectateurs de Moïse (la loi, les légalistes) et les fidèles d’Abraham (le prophétisme, les grands idéaux). Couper Abraham de Moïse et Moïse d’Abraham, c’est fracturer l’unité de la Bible et en finir avec l’identité pharisienne afin de mieux s’emparer de l’héritage hébraïque. Tel était « le plan » du christianisme.

André Néher a placé en exergue deux thèmes essentiels de la prophétie hébraïque : 1. Le refus de l’aliénation. Le refus de l’idolâtrie et le refus de l’esclavage s’insèrent dans le refus de toute aliénation. 2. Le message central du prophète Amos : l’importance du lien entre l’éthique et la vie religieuse. L’essentiel de la spécificité de la prophétie hébraïque : l’éthique et la spiritualité ne sont pas seulement liées, elles sont une seule et même chose. La religion d’Israël n’est que la religion de la moralité, et sa moralité n’est autre chose que la moralité de la religion. C’est peut-être dans cette unité si difficile à réaliser au niveau de la pensée, de la connaissance et des contingences de la vie que l’humanité a pressenti un message de salut et d’espérance, une unité véhiculée par les échos des paroles des prophètes hébreux dont le message essentiel est que la vérité ne peut se trouver que là où l’éthique et le spirituel coïncident.

Les Grecs recherchaient la coïncidence entre le beau et le vrai, les prophètes hébreux y ont ajouté le bien. Lorsque les derniers prophètes se sont tus, les premiers philosophes ont commencé à parler.

Edmond Fleg. Edmond Fleg s’est préoccupé des querelles à l’intérieur de la communauté juive, des querelles véritables, celles où les idées s’affrontaient et où les hommes étaient affligés de s’affronter. Edmond Fleg a choisi de s’intéresser aux enfants d’Israël (comme dit la Bible) et aux enfants des enfants d’Israël. De son œuvre est né le mouvement des Éclaireurs israélites de France qui regroupe des individus venus de familles intellectuelles et spirituelles fort différentes et qui s’efforce de donner un exemple de fraternité. De « L’Enfant prophète » d’Edmond Fleg au mouvement des Éclaireurs israélites de France fondé par Robert Gamzon.

   Olivier Ypsilantis

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