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Carnet 20

 

‟Il (Emmanuel Levinas) répondit qu’il ne savait pas si la résurrection de l’État d’Israël représentait une étape dans le processus global de rédemption mais qu’il voyait dans l’existence de cet État une dimension de rédemption individuelle. L’indépendance politique ayant rendu aux juifs une fierté et, surtout, le goût d’étudier, de rendre à nouveau leurs écrits porteurs de vie pour la société. Or seule l’étude permet de découvrir, ou de redécouvrir, le lien intrinsèque entre justice et ritualisme et, dès lors, de rompre avec les prestiges d’une politique de la pure immanence.

Telle serait donc ‟l’heure du chef-d’œuvre”, celle de la possibilité de réaliser une politique attentive à la justice sans pour autant donner congé à l’orientation vers la transcendance qui commande cette justice. Or, pour un juif, cette orientation demande de savoir appliquer aux grands livres du judaïsme, ‟non pas une pensée émue, mais une pensée exigeante”, la seule capable de nouer un véritable dialogue avec la civilisation occidentale, si toutefois celle-ci y consent. Ce qui n’est pas certain puisque cette civilisation, qui se dit parfois ‟judéo-chrétienne” pour mieux occulter sa source hébraïque, ou pour mieux prétendre l’avoir une fois pour toutes dépassée, repousse avec violence l’idée que le judaïsme soit une pensée vivante. Les thèses de Hegel, et de tant d’autres philosophes, anciens et modernes, soulignent ainsi le caractère caduc du judaïsme et, au mieux, sa ‟relève” par le christianisme et la philosophie. L’idée que la Torah, lue à la lumière de la tradition orale d’Israël et transmise dans un langage compréhensible au grand nombre, puisse constituer une source du sensé indispensable à l’humain comme tel, et pas seulement à la singularité obstinée d’un peuple, suscitant l’agacement, voire le mépris et parfois même la haine. Sur le plan politique, la renaissance de l’État d’Israël, sur une terre si contestée, n’échappe pas non plus à la condamnation, condamnation qui n’a, à l’évidence, rien à voir avec des désaccords éventuels sur les lignes et les choix politiques menés par tel ou tel gouvernement de ce pays. Comme si le peuple juif n’avait pas droit à une présence politique dans l’histoire.” Catherine Chalier, ‟L’utopie de l’humain” (Chez Albin Michel, collection ‟Présences du Judaïsme”).

 

Emmanuel LevinasEmmanuel Levinas (1906-1995)

 

Ce qui se passe aujourd’hui en Irak m’évoque une ‟vieille histoire”, un peu oubliée. Il y a quelques décennies, le Commandant Ahmed Shah Massoud ne cessait d’alerter l’Occident sur le danger que représentaient les Taliban, en vain. Il fut assassiné le 9 septembre 2001 et le World Trade Center fut détruit le surlendemain. Ces deux attentats sont liés ; l’un ne s’explique pas sans l’autre. Aujourd’hui, les Kurdes tiennent en Irak le rôle qu’avaient tenu en Afghanistan le Commandant Ahmed Shah Massoud et ses hommes de la vallée du Pandjchir. Les Kurdes sont l’un des pivots des immenses bouleversements en cours dans le Proche-Orient et le Moyen-Orient. Les Occidentaux l’ont enfin compris. Ils sont toutefois emberlificotés avec des pays qui soutiennent les pires tendances de l’Islam et qui sont leurs principaux fournisseurs en pétrole.

 

Commandant MassoudCommandant Ahmed Shah Massoud (1953-2001)

 

Il y a de nombreuses femmes dans les rangs des Peshmerga, ce n’est pas un détail :

https://www.youtube.com/watch?v=Ac_PMMIUvCM

Un peuple qui accorde aux femmes un statut de combattant et les respecte comme tel n’est pas n’importe quel peuple. Au-delà de l’armement vieillot que montrent ces images, une culture se lit en filigrane :

http://www.jerusalemplus.com/1er-allie-disrael-au-m-o-le-kurdistan-independant/

On a démoli l’Irak, démoli ses structures politiques, économiques et sociales en vue de tout remodeler de loin, artificiellement, suivant des plans concoctés par des apprentis sorciers. Je ne suis pas un ami de Saddam Hussein mais, je le répète, que reste-t-il à un pays de tradition musulmane lorsqu’on détruit ses structures étatiques ? Il reste l’islam… Nous ressemblons décidément de plus en plus à Mickey apprenti sorcier : les balais se multiplient à chaque coup et se dressent devant celui qui les frappe, comme dans ‟Walt Disney’s Fantasia movie. The Sorcerer’s Apprentice.”

Pour l’heure, il me semble que nous assistons à l’effondrement de l’islam ou, plus exactement, à l’effondrement de son noyau historique — le monde arabe —, effondrement gravitationnel, une image que je reprends souvent : ce phénomène astrophysique a été observé et peut être encore observé dans l’histoire des sociétés humaines.

Je le redis, l’islam est un monolithe mais parcouru de longues et profondes fractures. Et dans ces fractures, je vois des éclats de lumière. La pensée de Rabbi Isaac Louria (sa merveilleuse théorie des « Vases brisés ») a activé certaines de mes intuitions. N’y aurait-il pas dans l’islam des éclats de lumière — rien que des éclats mais des éclats tout de même ?

 

KurdistanVerra-t-on le début d’un Grand Kurdistan avec la partie syrienne et la partie irakienne, en attendant le gros morceau, la partie turque ? Quant à la partie iranienne, rien ne presse. L’attaque contre le monde turc et arabe est prioritaire.  

 

‟Le Coran c’est la Samaritaine ; on y trouve tout et son contraire” me disait un ami. Je me fais souvent cette réflexion. Mais je n’insisterai pas. Il me semble qu’au point où nous en sommes, le seul moyen de ne pas se laisser envahir par une rage destructrice est de se recentrer sur des individus mais aussi des peuples. C’est ce que fait Douglas Kear Murray, un homme à la parole dérangeante et incisive, le contraire du démagogue:

– L’individu pourrait avoir pour nom Ahmed Shah Massoud, le Commandant Massoud, celui qui s’efforça d’attirer l’attention du monde sur le danger que représentaient les Taliban. Personne n’a mieux parlé de lui que son ami Christophe de Ponfilly. Écoutez-le :

http://www.dailymotion.com/video/x9e2r7_ahmad-shah-massoud-entretien-avec-c_news

– Le peuple pourrait avoir pour nom les Kurdes, des musulmans (mais des Kurdes avant tout), un peuple en première ligne dans la lutte contre l’EI, un peuple qu’il faut aider massivement comme il aurait fallu aider le Commandant Massoud, assassiné deux jours avant les attentats contre les Twin Towers. Le Commandant Massoud et les Kurdes — des Musulmans — m’empêchent de désespérer de l’islam.

Les manifestations contre Israël mobilisent dans les rues de France des dizaines de milliers de manifestants tandis que la manifestation contre l’État islamique en a mobilisé à peine une centaine. Rien d’étonnant. La haine militante contre Israël repose sur une hostilité partagée à des degrés divers par le plus grand nombre — la majorité silencieuse. Il faut le dire et le redire, cette hostilité militante ne pourrait prospérer si elle ne bénéficiait d’un climat qui la favorise. Cette hostilité a une généalogie aux racines très profondes.

Et les équivalences vont bon train. On connaissait Nakba / Shoah, Gaza / Auschwitz. J’ai récemment appris que ceux qui aident Israël pratiquent le djihadisme israélien. Cette volonté de tout brouiller par des glissements, des interversions et autres figures de style n’annonce rien de bon. Elle prépare les esprits à l’esclavage puisque tout ce vaut, s’équivaut, s’annule et que…  l’esclavage c’est la liberté !

Je crois au plus profond de moi-même en une amitié retrouvée entre Israël et l’Iran. Et je ne fais part que d’une intuition ; je ne lis pas dans les boules de cristal. Les Kurdes, discrets alliés d’Israël, sont musulmans mais… cousins des Perses par les Mèdes. Les Druzes sont en Israël les meilleurs alliés du pays, bien présents au plus haut niveau de Tsahal et dans ses unités combattantes. Les Druzes sont arabes mais… leur religion procède de l’Iran. Et les bahaïstes ? Ils ont leur siège à Haifa et eux aussi procèdent de l’Iran. Je le redis, l’avenir du monde tient à l’amitié retrouvée entre Perses et Hébreux.

 
 Fondateur du Bahaïsme

Mīrzā Ḥusayn-ʿAlī Nūrī (1817-1892), fondateur du bahaïsme.

 

Je ne parle qu’en mon nom. D’une manière générale, il est préférable de s’abstenir de toucher au socle de l’Autre (par la caricature et autres moqueries), sous peine de recevoir tout l’édifice sur la tête, bêtement. Par exemple, on peut se moquer de l’Église, de telle ou telle de ses pratiques, de tel ou tel de ses membres tout en respectant Jésus-Christ, que l’on soit croyant ou non. Dans un autre ordre d’idée, on peut critiquer et sans concession tel ou tel rabbin pour ses idées sans jamais tourner en dérision la magen David. De même, on peut tourner en dérision tel ou tel grand seigneur sans cracher sur les armories et la devise de sa famille. J’ai toujours souffert de voir se moquer d’un nom aussi ‟ridicule” soit-il. On ne se moque jamais d’un nom car il entre dans la composition du socle de l’individu. A ce propos, la déshumanisation de l’homme ne commence-t-elle pas par la suppression de son nom.

Le monde musulman est immense. Et au sein de ce monde, les tentatives d’interprétations du  Coran n’ont pas manquées. Il est vrai qu’elles ont souvent été punies, et durement. Ces tentatives sont toujours à l’œuvre. Je le répète inlassablement, le monde musulman n’est pas un monolithe. Plus exactement, c’est un monolithe parcouru de profondes fractures.

L’Iran souffre d’un sentiment d’encerclement, un sentiment qui est à la base de tous les paroxysmes. Mettez fin à ce sentiment (ne me demandez pas comment !) et une porte immense s’ouvre, et pour eux et pour nous.

La moquerie et la critique doivent de préférence être opérées de l’intérieur, par les intéressés : que des Juifs se moquent des Juifs, des Musulmans des Musulmans, des Chrétiens des Chrétiens et ainsi de suite. Les plus profondes (et fécondes) critiques de l’Islam viennent des Musulmans eux-mêmes, des Musulmans qui méritent un respect tout particulier car, ce faisant, ils risquent leur vie. L’humour juif est un régal d’abord parce qu’il est réflexif : des Juifs se moquent des Juifs. Lorsque des non-Juifs se moquent des Juifs, on a généralement droit à de la grossièreté.

 

Olivier Ypsilantis 

 

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