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Flânerie en art – 1/2

 

J’ai retrouvé avec plaisir Niki de Saint Phalle, à côté du Centre national d’art et de culture Georges Pompidou (CNAC), dans un arrangement sur un plan d’eau avec ses sculptures animées par d’astucieux mécanismes conçus par son compagnon, Jean Tinguely. Elle avait accompagné mon enfance et ma jeunesse avec ses Nanas. Ses dripping m’ont amusé, avec ses tirs au pistolet sur des poches de peinture disposées contre la toile…

J’ai découvert l’œuvre de l’Américain Winslow Homer (1836-1910) il y a peu, en feuilletant une revue d’art, le n° 50 de Album letras-artes. Le meilleur de cette œuvre est constitué d’aquarelles, une technique qu’il se met à pratiquer à l’âge de trente-sept ans et jusqu’à sa mort. En 1883, il quitte la ville pour s’installer à Prouts Neck (Maine) dans une maison au milieu de la nature. L’eau devient alors l’élément principal de ses aquarelles, l’eau lisse et sombre des lacs du Maine autant que l’eau tumultueuse et claire des rapides. En feuilletant cette revue, j’ai longuement contemplé des palmiers dessinés à l’aquarelle en 1898, à Nassau, des palmiers auxquels le vent donne une belle énergie.

 

Winslow HomerUne aquarelle de Winslow Homer.

 

L’élégance et la fécondité de Carlos Sáenz de Tejada (1897-1958), un artiste dont on ne parle pas assez, probablement pour des raisons politiques… Idem pour José María Sert qui m’avait époustouflé au début des années 1980, lorsqu’étudiant je m’étais rendu à Vich, sac au dos, José María Sert que le grand public n’a découvert qu’en 2012, avec la rétrospective parisienne, au Petit Palais.

Ramón Gaya (né à Murcia en 1910) : « Mi fija pasión, o mejor dicho, mi compenetración absoluta con la obra, el silencio, el gesto, el ademán de Velázquez, es ya tan involuntaria, casi tan secreta que muchas veces hasta la olvido ». L’influence de Velázquez transparaît dans nombre de ses œuvres, Velázquez auquel il a multiplié les hommages dans des compositions à caractère intimiste où se devine généralement une ébauche inspirée de celui-ci et placée comme élément d’une nature morte. Dans mes œuvres préférées, une autre influence ou, plus exactement, une autre ambiance se laisse deviner, proche de celle des peintures et des gravures de l’Américain James Abbott McNeill Whistler (1834-1903), l’un des artistes qui m’est le plus intime.

J’ai beaucoup d’amis chez Arnold Böcklin, parmi lesquels des créatures marines girondes et rieuses. Arnold Böcklin, l’artiste qui évoque le plus merveilleusement la mer et ses rivages, alors que cet artiste est… suisse ! Avec lui, la mort elle-même devient amicale. Pensez à sa série peinte entre 1880 et 1886, « Die Toteninsel », à ce mort qui glisse sur une barque et que veille une haute silhouette enveloppée dans une étoffe blanche.

L’art espagnol célèbre le cinquantenaire de la première performance du Grupo Zaj (le 19 novembre 1964) fondé par Walter Marchetti, Juan Hidalgo et Ramón Barce auxquels se joindra Esther Ferrer. A l’occasion de ce cinquantenaire, j’ai lu un certain nombre d’articles dans la presse espagnole et je me suis souvenu de mon plaisir à découvrir l’art de la performance à l’occasion de cours théoriques dans un amphithéâtre de l’École des Beaux-Arts de Paris, avec Michel Faré. Je ne puis entendre Happening, Performance et Fluxus sans que ne me revienne l’agitation de ce passionné, sur l’estrade et dans les travées de cet amphi. Fluxus et Zaj, deux mouvements stimulés par les recherches de John Cage. Walter Marchetti et ses installations diverses évoquant par leurs formes un piano à queue, notamment le n° 211 de la série Musica da camera et son arrangement de rouleaux de papier hygiénique. Et puisqu’il est question de Zaj, évoquons le Grup de Treball (1973-1976), des Catalans.

Ces heures ivres passées à étudier l’art irlandais (celte) sous l’ample voûte de la Main Lecture Room (National Library of Ireland) : grincements du parquet, odeur des boiseries et du vieux papier, minces ouvertures avec arc en plein-cintre et la verrière par lesquelles filtrait une lumière atlantique. Ces heures ivres passées à rêver des influences assimilées par cet art, influences qui me portèrent vers les Perses sassanides, les Sythes, les Daces et les Sarmates, pour ne citer qu’eux. Ces heures ivres passées à suivre les entrelacs de cet art, Book of Durrows, Book of Kells, lettrines fabuleuses, enluminures ciselées… Je me souviens de ces matins où, longeant Emmet Road, je me dirigeais vers Kildare Street, vers ce bel ensemble de Thomas Newenham Deane. Je me souviens surtout de cieux aux puissantes éclaircies, d’averses lumineuses et résolument transversales. Mon émerveillement ne s’arrêta pas à ces livres enluminés, il s’étendit aux high crosses et aux duns en pierres sèches. L’Irlande ! Ci-joint, une courte vidéo montre cette Main Lecture Room :

https://www.youtube.com/watch?v=L_5YpWjksXo

 

Book of KellsThe Book of Kells

 

Mon émerveillement d’adolescent devant ‟La Vierge au long cou” de Francesco Mazzola plus connu comme Le Parmesan. Ce n’est pas tant le visage de cette femme qui me séduisit que l’allongement de son anatomie, un allongement qui m’apparût comme la marque suprême de l’élégance et d’un érotisme doux et discret. Et puisque j’en suis au maniérisme, j’en reviens une fois encore à ce portrait dont la froideur me troubla, Lucrezia Panciatichi de Bronzino, un portrait lisse comme de l’émail. Cette froideur représenta le comble de l’érotisme pour l’adolescent que j’étais. Il me semble que c’est par certaines œuvres du maniérisme que j’ai quitté l’enfance pour l’adolescence.

Le Tudor Style se situe entre les dernières œuvres du gothique perpendiculaire et les premières œuvres d’Inigo Jones, l’initiateur d’une variété britannique d’architecture Renaissance. Le Tudor Style est hybride, difficile à définir. C’est une sorte de désordre avant l’ordre imposé par Inigo Jones et Christopher Wren. Dans ma mémoire, le Tudor Style, c’est d’abord l’ample et sobre façade d’une demeure aristocratique, une façade qui n’est que fenêtres : Hardwick Hall m’apparut comme une demeure idéale.

 

 Hardwick HallHardwick Hall conçu par Robert Smythson au XVIe siècle

 

Une performance émouvante entre toutes, « L’enterrement du tableau-piège » de Daniel Spoerri (Daniel Isaak Feinstein) :

http://www.universcience.tv/video-fouille-archeologique-du-dejeuner-sous-l-herbe-de-daniel-spoerri-1745.html

Le rococo allemand est organique et homogène. C’est un art total. Rien n’y semble rapporté ; tout semble procéder d’un même centre pour se propager en lignes et en volumes concaves et convexes diversement affirmés. Art total avec l’intérieur de l’église de Wies des frères Johann Baptist et Dominikus Zimmermann.

 

Baroque church, Wieskirche, GermanyIntérieur de l’église de Wies 

 

Ivan Puni (Jean Pougny) : « Les tableautins de Raphaël ne peuvent inspirer à ceux qui les regardent qu’une infinie pitié (…). L’expression suprême de la beauté est un tiroir avec une boule blanche à l’intérieur », une déclaration qui ne peut qu’évoquer ces mots de Lautréamont, beaucoup plus connus : « Beau (…) comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! »

Parmi les demeures idéales, celles d’Andrea Palladio, en particulier sa villa Rotonda à la parfaite symétrie en croix. La symétrie, l’une de mes obsessions en architecture. Voir la villa néo-palladienne de Thomas Jefferson à Monticello (Virginie) dont le plan a été dessiné par ce dernier.

 

Maison de Thomas Jefferson à Monticello La demeure néo-palladienne de Thomas Jefferson à Monticello (Virginie)

 

Parmi les peintures reproduites dans mes livres d’écolier et qui m’ont le plus marqué, « La Guerre » de Marcel Gromaire et « Jour de lenteur » d’Yves Tanguy. Ces deux modestes reproductions m’incitèrent à étudier avec avidité la vie et l’œuvre de ces deux artistes. Une carte postale figura longtemps sur mon bureau d’enfant : sans doute le plus beau nu de Marcel Gromaire, « Étude de nu au manteau », une huile sur toile de 1929. L’original est visible au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Son érotisme hiératique.

 

ETUDE DE NU AU MANTEAU« Étude de nu au manteau » (1929), Marcel Gromaire.

 

Parmi les livres d’histoire de l’art les plus denses et les plus inspirés, je signale une fois encore à mes lecteurs « Renaissance et Baroque » de Heinrich Wölfflin.

El Greco, le peintre espagnol qui habita le plus sûrement ma jeunesse. Une visite à Toledo et la lecture du livre de Maurice Barrès, « Greco ou le secret de Tolède », confirmèrent mon émerveillement. Ces femmes au visage en amande (Vierges ou Véronique) n’auraient-elles pas eu pour modèle sa femme — ou sa maîtresse —, Jeronima de las Cuevas ? Ces visages doux et allongés me désignent par-delà le temps Jeanne Hébuterne, la compagne de Modigliani. Je suis resté médusé devant « El Entierro del Conde de Orgaz » et, dans la chaleur ocre d’un mois d’août, j’ai détaillé cette immense peinture à l’architecture si puissante et si étrange. J’ai vu tant dans la partie haute que dans la partie basse deux coquillages légèrement entrouverts, riches de leurs replis nacrés et pris dans un mouvement marin : en bas, le comte d’Orgaz (au centre), avec sur les côtés saint Étienne et saint Augustin ; en haut, Jésus (au centre), avec sur les côtés la Vierge et Jean-Baptiste.

 

 Olivier Ypsilantis

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