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Le commandant Massoud, Christophe de Ponfilly, encore un mot.

 

Vallé du Bamiyan

Vallée du Bamiyan classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO

 

J’aurais aimé ne pas avoir à parler de moi, mais exclusivement du commandant Massoud et de Christophe de Ponfilly. Pourtant, quelque chose m’y pousse, car en parlant de moi, je parlerai encore d’eux.

 

Que connaissais-je de l’Afghanistan avant la mort du commandant Massoud ? Pas grand chose hormis ce que nous servaient les médias. L’Afghanistan ne fut longtemps pour moi qu’une terre de l’extrême. Dans ma bouche le nom Bactriane revenait plus souvent que le nom Afghanistan, Bactriane mais aussi Kalash, une ethnie à la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan dont les membres prétendent descendre d’Alexandre le Grand. La Bactriane avec sa capitale Bactres qui vit l’union d’Alexandre le Grand et de Roxane. Dans mes rêveries, je traçais un solide trait d’union entre ces lointaines régions et la Thessalie où vécurent certains de mes ancêtres. En effet, c’est dans cette vaste plaine fertile (la seule de Grèce) que Philippe II et son fils Alexandre avaient commencé à organiser leur puissance, notamment en constituant une cavalerie d’élite. Et n’oublions pas que Bucéphale était thessalien !

 

Que savais-je de l’Afghanistan ? Je pouvais parler de l’art de Hadda, cet art gréco-bouddhique que j’admirais dans les livres et au Musée Guimet, mais j’ignorais tout de l’Afghanistan contemporain. Pourtant, une figure s’était très vite imposée à moi : Ahmad Shah Massoud, plus volontiers appelé ‟Le commandant Massoud” ou ‟Le lion du Panjshir”. D’emblée, il me fut sympathique.

 

Au fil des années, la figure du commandant Massoud m’accompagna mais je ne me mis à étudier la réalité afghane que tardivement. Je la pressentais d’une complexité particulière, et à raison. Ce n’est pas tant cette complexité qui me rebutait (elle me stimulait plutôt) que l’impression de n’avoir pas d’intermédiaire fiable pour m’aider à l’approcher. La figure du commandant Massoud s’imposait à moi toujours plus mais, lorsque je quittai la France pour l’Andalousie, l’Afghanistan se fit plus lointain encore ; mes préoccupations me portaient ailleurs. Pourtant, instinctivement, je savais que le commandant Massoud disait vrai, qu’il nous fallait prendre en considération ses avertissements, ce que les Américains avaient délibérément choisi de ne pas faire.

 

Les années passèrent jusqu’à ce jour de septembre 2001 où j’appris sa mort, quelques jours après les attentats du 11 septembre. Il faisait très chaud à Cordoue et, pourquoi le cacher, je me suis efforcé de ne pas pleurer sans y parvenir. Sa mort m’ébranlait plus que les attentats contre le World Trade Center, des attentats d’une telle ampleur que je ne   pus en appréhender toute l’horreur. La mort simultanée de milliers d’hommes bouleverse moins que la mort d’un seul homme. Je compris alors l’importance qu’avait pris le commandant Massoud pour moi qui connaissais pourtant si mal son pays. J’avais souvent pensé à son combat ; il était comme une présence fraternelle ; il m’aidait à croire au monde et à ne pas désespérer de l’islam : je me disais qu’un croyant comme lui, lucide, honnête et courageux, suffisait à racheter tant de crimes et de malversations commis au nom de sa religion.

 

Des années après sa mort, au hasard du Web, j’ai découvert Christophe Péan de Ponfilly, cet aristocrate breton devenu un ami du commandant Massoud. J’ai appris que lui aussi était mort, et plutôt jeune, comme son ami : 1953-2001 pour l’un ; 1951-2006 pour l’autre. Curieusement, les circonstances de la mort de Christophe de Ponfilly n’étaient pas précisées. Mais je devinai ce que pouvait cacher cette discrétion : suicide. Je poussai mes recherches : il s’était bien suicidé d’une balle dans la tête, en forêt de Rambouillet. On avait retrouvé son corps quelques jours plus tard. Je le redis, je ne me mêlerai jamais d’expliquer un suicide mais il est certain que l’assassinat de son ami par deux Arabes, des Tunisiens en l’occurrence, l’avait déglingué.

 

J’ai lu son livre ‟Massoud l’Afghan”. C’était exactement ainsi que j’imaginais le commandant Massoud ! Je me suis alors interrogé. Pourquoi cet Afghan occupa-t-il d’emblée une telle place dans mes visions géopolitiques (moi qui ne suis nullement un géopoliticien) mais aussi dans ma sensibilité. Il ne m’était jamais arrivé de pleurer en apprenant la mort d’un responsable politique ou militaire, jamais ! Il m’était arrivé d’éprouver de la tristesse, mais pleurer ? Non, jamais ! La lecture du livre de Christophe de Ponfilly m’aura permis non seulement de préciser des impressions mais aussi de revivre tout ce que le nom Massoud avait suscité en moi, des sentiments proches de ceux de Christophe de Ponfilly, en plus diffus, certes.

 

Je regretterai toujours de ne pas avoir rencontré le commandant Massoud et Christophe de Ponfilly. Mon regret reste cependant atténué par le film et le livre ‟Massoud l’Afghan”, et par d’autres reportages du journaliste sur l’homme qui incarna une certaine idée de l’Afghanistan.

 

A picture of slain Afghan national hero Ahmad Shah Massoud is set along the road in Panjshir province

Le portrait de Ahmad Shah Massoud dans la vallée du Panjshir, surmonté de drapeaux noirs en signe de deuil.

 

L’assassinat du commandant Massoud puis les attentats du 11 septembre 2001 ébranlèrent Christophe de Ponfilly pour diverses raisons, dont l’une sur laquelle je n’ai pas assez insisté. Cet homme lucide ne fut guère écouté, ses nombreuses mises en garde au sujet de l’Afghanistan furent négligées. Après les attentats du 11 septembre, il devint d’un coup ‟l’expert de service”. Il détestait cette fonction. On ne jurait plus que par lui. ‟Lui qui s’était toujours battu pour que les chaînes de télévision parlent de la guerre d’Afghanistan, de ses implications géopolitiques, se retrouvait devant des journalistes ignorants qui faisaient mine, fonction oblige, de s’intéresser passagèrement à ce qu’il avait à décrire”, écrit son amie Isabelle Rabineau.

 

Le sentiment de n’avoir pas été écouté au bon moment l’a d’abord fait exploser de colère puis tout ce gâchis l’a abattu, non parce que son ego en souffrait — il se situait sur un autre plan, à une autre hauteur — mais parce que si sa voix avait été écoutée, bien des morts et bien des destructions auraient été évités.

 

Mes articles précédents qui rendent compte de ‟Massoud l’Afghan” peuvent laisser penser  que l’admiration de Christophe de Ponfilly était sans faille. Il n’en était rien. Je l’ai dit en passant, et j’insiste à présent : il admirait le commandant Massoud sans jamais cesser d’examiner scrupuleusement, à la loupe, ses actions militaires et politiques. A ce propos, il n’hésitait pas à lui poser des questions embarrassantes, sur ses alliances, sur l’entrée de ses moudjahidin dans Kaboul. On ne le dira jamais assez : Christophe de Ponfilly voulait comprendre. Et dans le panier de crabes afghan, avec ses violences inter-ethniques activées par des influences extérieures, le jeu était d’une extraordinaire complexité et toujours changeant. Je ne me serais pas donné la peine d’écrire ces articles si j’avais eu affaire à un simple panégyrique de celui qui fut surnommé ‟le lion du Pansjhir.”

 

Christophe de Ponfilly conclut sa postface à ‟Massoud l’Afghan” sur des mots auquel le suicide donne une tonalité particulière : ‟Ce monde m’écœure et me rend triste, comme cette tristesse d’avoir perdu un ami, un frère de courage et d’absolu dont je respectais le combat et que je n’oublierai jamais.” A mon tour de vous dire, Ahmad Shah Massoud et Christophe de Ponfilly, que je ne vous oublierai jamais.

 

Enfin, regardez très attentivement ce film (durée environ 30 mn), même si l’image n’est pas d’une grande qualité : on y montre des séquences du tournage de l’unique film de fiction de Christophe de Ponfilly, ‟L’étoile du soldat”, qui sortit dans les salles en novembre 2008, après son suicide donc :

http://www.dailymotion.com/video/xoxbc_massoud-et-christophe_news#.USvpVzfkPVo

 

 

6 thoughts on “Le commandant Massoud, Christophe de Ponfilly, encore un mot.”

  1. Je me souviens de l’annonce de la mort du commandant Massoud. Je ne le connaissais pas mais, je ne sais pourquoi, cela m’a inquiété. Et quelques jours après, c’était le 11 septembre.

  2. @hethlove
    Je ne sais si vous êtes afghan, mais je partage votre peine. Le Commandant Massoud manque à notre monde, et il lui manquera toujours plus. Rendons-lui hommage et n’oublions pas son message.

  3. J’ai entendu parler du Commandant Massoud la première fois en 2007 au travers du livre écrit par son épouse Sediqa “POUR L’AMOUR DE MASSOUD”. J’ai aimé cet homme, cet homme, cet époux et père de famille aimant, cette part intime du Commandant que son épouse a bien voulu partager avec nous. En creusant un peu plus, j’ai découvert l’homme de guerre et fin tacticien, admirative de cet homme de cet héros, le Lion de la vallée du Panshir orpheline de celui qui a lui tout seul en était la figure. Au travers des récits de Sediqa et Christophe de Pontifilly, je suis tombée amoureuse de l’Afghanistan ce pays aux paysages sauvages et poétiques. Je lis en ce moment une énième fois “MASSOUD L’AFGHAN” et le souvenir des ces deux hommes incompris est si présent. On ne peut parler de Christophe sans parler de Massoud, ils ont fait corps pendant si longtemps.

    1. Le Commandant Massoud est de plus en plus oublié. Il faut défendre sa mémoire, ce que vous faites, et je vous en remercie. Par ailleurs, l’amitié Christophe de Ponfilly / Ahmad Sah Massoud est un sujet fascinant. Peut-être irai-je un jour dans cette vallée qu’il a tant aimée et défendue. Merci encore.

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