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L’antisionisme radical en Israël 1/4

 

La gauche radicale israélienne mérite d’être étudiée de près. Assaf Sagiv écrit à son sujet : ‟Its arguments are not simply a hash of falsehoods and follies. On the contrary, they contain nuggets of truth and profound insights that merit careful attention.” Il faut donc se résoudre à affronter un certain radicalisme, d’autant plus qu’il compte dans ses rangs des intellectuels de valeur.

 

Assaf Sagiv entrevoit dans ce courant un Weltanschauung qui cultive le pessimisme plutôt que l’espoir, l’aliénation plutôt que l’engagement. Mais tout d’abord, nous dit-il, il faut se garder de confondre cette gauche radicale et le sionisme de gauche. Ils ne sont pas de même nature. Cette gauche radicale n’est pas du sionisme de gauche radicalisé. Cette gauche n’est pas homogène. Elle est constituée de petits groupes en profond désaccord les uns avec les autres. Elle est par ailleurs ultra-minoritaire, ce qui ne l’empêche pas d’exercer une influence considérable dans les cercles académiques et universitaires. Notons que la gauche sioniste n’a cessé de perdre des voix. En février 2009, elle a été pratiquement balayée de la Knesset. Le Parti travailliste qui bénéficiait d’une forte assise depuis des décennies ne décrocha que treize sièges, se plaçant ainsi en quatrième position. En Europe, ce relatif effacement du Parti travailliste mit en émoi un certain nombre d’hommes politiques parmi lesquels Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères, qui comme tant d’autres politiciens européens associaient la gauche et la paix, probablement par conformisme de génération.

 

La Knesset à Jérusalem, œuvre de Richard Kaufmann (1887-1953)

 

En Israël, le retrait des colombes n’inquiète guère. Les espérances suscitées par les accords d’Oslo, des espérances qui confinèrent au messianisme, ont été mises au placard. Je ne vais pas énumérer les violences et les refus que dût subir Israël suite à ces accords néfastes entre tous. Souvenons-nous simplement de l’emprise du Hamas sur Gaza et du refus radical des Palestiniens de reconnaître toute légitimité à l’État juif et de renoncer au ‟droit au retour.” Ehud Barak, pour ne citer que lui, s’efforça en tant que Premier ministre d’inviter les Palestiniens au dialogue, en vain. Il confia au journaliste Ari Shavit qu’il avait dû se rendre à l’évidence : Yasser Arafat ne voulait pas régler les problèmes qui remontaient à 1967 mais… à 1947. La gauche radicale israélienne s’est délitée face à ces violences engendrées par l’échec des accords d’Oslo mais, dans un même temps, son noyau doctrinal s’est durci.

 

L’échec de camp David, en juillet 2000, a fait comprendre à l’ensemble de la classe politique israélienne que l’origine du conflit israélo-palestinien avait peu à voir avec l’occupation (un mot sur lequel il y aurait beaucoup à dire et dont je fais ici usage par facilité) de la Judée-Samarie et de Gaza après la Guerre des Six Jours, que l’origine de ce conflit était antérieur à la fondation de l’État d’Israël et qu’il avait culminé avec la Guerre d’Indépendance de 1948. Ce n’est donc pas un arrangement de frontières (celles de 1967 par exemple) qui fera taire les revendications palestiniennes, pour ne pas dire arabes. Le conflit israélo-palestinien ne relève pas d’un simple problème cadastral. La propagande palestinienne répète que ‟l’Entité sioniste” est née du péché, de la spoliation de l’Autre, j’en passe et des meilleurs. La gauche radicale israélienne a repris cette narration, et sans réserve. Elle pense qu’Israël n’a qu’à tendre une main généreuse pour faire baisser la tension et que des problèmes apparemment insolubles trouveront ainsi une solution.

 

Dans ‟The Time of the Green Line : A Jewish Political Essay”, Yehouda Shenhav dénonce le ‟1967 paradigm” qui, selon lui, est ‟the primary mental block currently preventing Israelis from confronting the conflict and its historical roots.” L’auteur frappe le talon d’Achille de la gauche sioniste, cette gauche qui ‟still views the borders of June 4, 1967 as the imaginary boundaries of Israel. The post-1967 conquests and West Bank settlements are seen as a temporary situation, an accident in Israels’s political history.”

 

L’Israël légitime serait donc celle que délimite la Ligne Verte. Les accords d’Oslo se seraient élaborés sur ce concept (erroné) d’une ligne qui aurait séparé la terre ‟sans péché” (l’aire du Paradis perdu, Israël avant 1967) des territoires occupés où règnait la loi de la jungle. Pour Yehuda Shenhav, cette frontière n’est qu’une vue de l’esprit, une divagation qui persiste parce qu’elle profite à un secteur particulier de la société israélienne, un secteur que Yehuda Shenhav identifie de la manière suivante dans son ouvrage précédemment cité : ‟The liberal middle class and a silent majority of professionals : technocrats, civil servants, state attorney’s office employees, academics in the social sciences and humanities, foreign ministry officials, retired army generals, and journalists — the majority of Kadima, Labor and Meretz voters.” Bref, la bourgeoisie israélienne chercherait à préserver à n’importe quel prix le ‟Jewish colonial control between the Mediterranean and the Jordan River.” C’est pourquoi elle serait si prompte à dénoncer les implantations juives en Judée-Samarie, espérant du même coup alléger le poids d’une certaine mauvaise conscience. Et Yehouda Shenhav poursuit : ‟Liberal thought based on the Green Line premise has sanctioned and legitimized the racist reality of the so-called Jewish-democratic state model; it has denied the role ot the secular state and liberal elites in the obscene project of cleansing the land; and it has marked the settlers as the scapegoat through which the elites can regain their moral stature.”

 

L’article d’Assaf Sagiv, ‟The Sad State of Isreali Radicalism” (publié dans la revue ‟Azure”. Spring 5770 / 2010, n° 40), est décidément riche en propositions, en éléments d’analyse qui ouvrent des perspectives peu empruntées. Assaf Sagiv fait remarquer que toute tentative pour conférer une validité morale ou politique à la Ligne Verte n’a fait qu’alimenter le discours radical. Lorsque deux théoriciens radicaux particulièrement en vue se risquèrent à opérer une timide distinction entre les ‟territoires occupés” et l’ordre démocratique en Israël même (Israël délimitée par la Ligne Verte), ils furent tancés par leurs collègues, en particulier par le géographe Oren Yiftachel dans ‟One Book, One Regime : Reflections on Azoulay and Ophir.” Selon ces radicaux, vouloir différencier Israël des ‟territoires occupés” reviendrait à se faire le complice du sionisme : ‟Zionism (…) has subjected the entire Palestinian/Israeli realm to the control of a single regime, whose guiding principle was the Judaization of this space…” A single regime…

 

Le mot ‟occupation” voire ‟territoires occupés”, poursuit Oren Yiftachel, n’est qu’un paravent derrière lequel se masque une sordide réalité : un apartheid organisé par un régime juif qui se présente comme la seule démocratie au Moyen-Orient. Alors que la gauche sioniste est prête à défendre ce système, allant jusqu’à mettre en œuvre des compromis (concessions territoriales, désengagement unilatéral, etc.), la gauche radicale israélienne s’y refuse au nom d’une implacable rigueur morale et intellectuelle.

 

Un nombre croissant d’Israéliens comprend avec plus ou moins d’acuité que le conflit avec les Palestiniens ne remonte pas à 1967 et qu’en conséquence il ne se résoudra pas simplement en se repositionnant derrière la Ligne Verte. L’agressivité de cette gauche sioniste envers les ‟colons” (un mot que je mets entre parenthèses car il ne me satisfait pas et que son emploi relève d’une certaine propagande), son entêtement à vouloir faire porter par ce petit groupe toute la responsabilité des erreurs commises par Israël a une généalogie qu’il conviendrait d’étudier.

 

Les inquiétudes morales de la gauche israélienne procèdent non pas de 1967 mais de 1948, année de la fondation de l’État juif. C’est pourquoi son exigence d’un retrait total sur la Ligne Verte ne suffira pas à calmer ses inquiétudes. En revenir à 1948 et mettre fin à la Nakba (ce mot de propagande) suppose l’acceptation du ‟droit au retour” (‟right of return”), une proposition suicidaire pour Israël. La ‟logic of separation” ne peut remplacer la ‟logic of equation”. Ignorer les distinctions entre deux systèmes de gouvernement fort différents revient à s’engager sur une pente savonneuse. Fourrer Israël dans le même sac que les territoires occupés revient à ignorer qu’Israël, malgré ses imperfections, reste une démocratie. Le statut des Arabes israéliens est différent du statut des Arabes qui vivent de l’autre côté de la Ligne Verte. Présenter les uns et les autres comme soumis à un même régime d’oppression revient à balayer du revers de la main l’ensemble des libertés fondamentales dont bénéficient tous les citoyens israéliens. Cette ‟logic of equation” est séduisante par sa rigueur mais elle est dangereusement simpliste. Elle est l’un des principaux vecteurs du discours radical, tant en Israël que dans le monde.

 

 (à suivre)

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