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La Villa Emma / La Maison d’Izieu

Soixante-treize enfants juifs, réfugiés d’Allemagne, d’Autriche et de Yougoslavie ont été accueillis, à partir de juillet 1942, dans une villa, la Villa Emma, à Nonantola, une agglomération de quelque dix mille habitants. Nonantola est situé en Émilie-Romagne, à peu de distance de Bologna et de Modena. La Villa Emma a été construite en 1898 par Carlo Sacerdoti, un propriétaire terrien juif. C’est une bâtisse à un étage, presque sévère. La façade principale s’orne d’une double loggia.

 

Villa Emma, la façade principale.

Villa Emma, la façade sud, sa colonnade et sa terrasse.

 

Lorsque les troupes allemandes arrivent à Nonantela, le 9 septembre 1943, le médecin Giuseppe Moreali et le prêtre Don Arrigo Beccari cachent une trentaine de garçons et de filles de la Villa Emma dans le séminaire qui jouxte l’église abbatiale de Nonantola, chez les religieuses ou dans des familles des environs. C’est tout un réseau qui participe à leur sauvetage, dans un rayon de trois à quatre kilomètres autour de la Villa Emma. Tous les enfants parviendront à gagner la Suisse fin 1943 ; la plupart émigreront en Palestine dès la fin de la guerre. Giuseppe Moreali et Don Arrigo Beccari, seront honorés de la Médaille des Justes par l’Institut Yad Vashem. Il est peu d’exemples de solidarité aussi spontanée ayant impliqué autant d’individus, y compris en Italie où les Juifs bénéficièrent de plus de protection que dans bien d’autres pays. Et au moment où j’écris ces lignes, un exemple de solidarité massive s’impose à moi : le Chambon-sur-Lignon :

http://www.akadem.org/photos/contextuels/3906_Doc2_Chambon.pdf

 

Après la guerre, l’histoire de la Villa Emma tombe dans un relatif oubli. Ce n’est qu’au début des années 1960 que des historiens s’intéressent à son histoire, sans pour autant mener une réflexion spécifique. A la fin des années 1980, le roman de Giuseppe Pederiali, « I ragazzi di Villa Emma » (Les enfants de la Villa Emma), destiné à un public scolaire, divulgue cette histoire. Mais ce n’est qu’au début de la décennie suivante que le maire de Nonantola, Stefano Vaccari, comprend l’importance de ce qui s’est passé dans sa commune en 1942-1943. Souhaitant que soit entreprise une recherche systématique, il charge l’historien allemand Klaus Voigt d’en être le maître d’œuvre. Ce dernier va multiplier ses voyages d’étude, en Italie, Israël, Suisse, Allemagne, Autriche et États-Unis pour rassembler documents et témoignages oraux. En 1995, les contacts s’affinent : le maire de Nonantola rencontre des ex-pensionnaires de la Villa Emma résidant à Jérusalem, Klaus Voigt rencontre Josef Indig, membre d’un kibboutz, qui avait été l’adjoint du directeur de la Villa Emma, Umberto Jacchia.

 

En 2002 est publié « Villa Emma. Enfants juifs en fuite 1940-1945 », en italien et en allemand par Klaus Voigt qui retrouva dans les Archives fédérales suisses, à Berne, les photographies d’identité de tous les enfants de la Villa Emma réfugiés en Suisse. Ainsi, chaque nom inscrit sur les listes des Archives historiques de Nonantola retrouva un visage.

 

Le beau catalogue que j’ai devant moi est intitulé « I ragazzi ebrei di Villa Emma a Nonantola / Les enfants juifs de la Villa Emma à Nonantola ». Ce catalogue riche en documents reproduit le visage de chacun des enfants. Il a été édité par la Maison d’Izieu, dans l’Isère, autre refuge pour enfants juifs, d’avril 1943 à avril 1944.

 

La Maison d’Izieu, une grande maison fin XIXème siècle de laquelle on aperçoit, par temps clair, le massif de la Chartreuse. L’élément le plus marquant de la Maison d’Izieu est l’harmonieuse et imposante fontaine où les enfants faisaient leur toilette, lorsque le temps le permettait.

 

La Maison d’Izieu, vue générale.

 

La colonie d’Izieu connut un tout autre destin que celle de Nonantola.

Le 8 septembre 1943, l’Italie de Mussolini capitule. Dès le lendemain, les Allemands envahissent la zone d’occupation italienne, une zone qui, depuis novembre 1942, était un refuge pour les Juifs. On se souvient, par exemple, qu’en février 1943, à Annecy et Grenoble, l’armée italienne avait obtenu par la menace que la gendarmerie française relâche des Juifs qu’elle s’apprêtait à livrer aux Allemands.

Le 6 avril 1944, premier jour des vacances de Pâques, vers 8h30, alors que les enfants prennent leur petit-déjeuner, deux camions et une voiture s’arrêtent devant la maison. En sortent trois hommes en civil dont deux officiers de la Gestapo de Lyon et une quinzaine de soldats de la Wehrmacht. Très vite les enfants et leurs éducateurs sont raflés et transférés le jour-même au fort de Montluc, à Lyon. Seul, Léon Reifman, un éducateur, parvient à s’échapper en sautant d’une fenêtre. Le lendemain, les quarante-quatre enfants et leurs sept éducateurs sont transférés à Drancy, en train. Le plus jeune des enfants a 4 ans, le plus âgé a 17 ans.

 

Des enfants avec des éducateurs devant la fontaine de la Maison d’Izieu, été 1943. Je n’ai pu les nommer, mais il me semble que tous figurent dans la liste des victimes ci-dessous.

 

Le 13 avril 1944, 34 des 44 enfants sont déportés à Auschwitz par le Convoi N° 71. Tous sont gazés dès leur arrivée. Les dix autres enfants sont déportés par les Convois N° 73 (deux enfants) / N° 74 (deux enfants) / N° 75 (trois enfants) / N° 76 (trois enfants), entre le 20 avril et le 30 juin 1944.

Ont été déportés : Sami Adelsheimer, 5 ans / Hans Ament, 10 ans / Nina Aronowicz, 12 ans / Max-Marcel Balsam, 12 ans / Jean-Paul Balsam, 10 ans / Esther Benassayag, 12 ans / Elie Benassayag, 10 ans / Jacob Benassayag, 8 ans /  Jacques Benguigui, 12 ans / Richard Benguigui, 7 ans / Jean-Claude Benguigui, 5 ans / Barouk-Raoul Bentitou, 12 ans / Majer Bulka, 13 ans / Albert Bulka, 4 ans / Lucienne Friedler, 5 ans / Egon Gamiel, 9 ans / Maurice Gerenstein, 13 ans / Liliane Gerenstein, 11 ans / Henri-Chaïm Goldberg, 13 ans / Joseph Goldberg, 12 ans /  Mina Halaunbrenner, 8 ans /  Claudine Halaunbrenner, 5 ans / George Halpern, 8 ans / Arnold Hirsch, 17 ans / Isidore Kargeman, 10 ans / Rénate Krochmal, 8 ans / Liane Krochmal, 6 ans / Max Leiner, 8 ans / Claude Levan-Reifman, 10 ans / Fritz Loebmann, 15 ans / Alice-Jacqueline Luzgart, 10 ans /  Paula Mermelstein, 10 ans / Marcel Mermelstein, 7 ans /  Theodor Reis, 16 ans / Gilles Sadowski, 8 ans / Martha Spiegel, 10 ans / Senta Spiegel, 9 ans /  Sigmund Springer, 8 ans / Sarah Szulklaper, 11 ans / Max Tetelbaum, 12 ans / Herman Tetelbaum, 10 ans / Charles Weltner, 9 ans / Otto Wertheimer, 12 ans / Emile Zuckerberg, 5 ans / Lucie Feiger, 49 ans / Mina Friedler, 32 ans / Sarah Levan-Reifman, 36 ans / Eva Reifman, 61 ans / Moïse Reifman, 63 ans / Miron Zlatin, 39 ans. Seule survivante (déportée à Auschwitz) : l’éducatrice Lea Feldblum, 27 ans.

Qui a dénoncé les enfants de la colonie d’Izieu ? Cette rafle reste une énigme. Pour l’heure on s’en tient à des hypothèses et rien qu’à des hypothèses. Le nom d’André Wucher a été avancé. Son fils René, huit ans, avait été arrêté au cours de la rafle, puis relâché chemin faisant car non-Juif. On accusa le père d’avoir placé cet enfant pour espionner la colonie. En août 1944, André Wucher fut exécuté par des maquisards mais, semble-t-il, pour des raisons sans rapport avec la rafle d’Izieu.

Comment écrire un texte sur la Maison d’Izieu sans évoquer le couple Miron Zlatin (1904-1944) et Sabine Zlatin (1907-1996) ? Afin de limiter la longueur de cet article, je me contenterai d’inviter ceux qui me lisent à lire le livre de souvenirs de Sabine Zlatin intitulé : « Mémoires de la “Dame d’Izieu” » (Gallimard / Collection Témoins) et à consulter les notices biographiques mises en ligne, en particulier celle qui figure sur le site de Michèle Bitton : « Présences féminines juives en France, XIXème – XXème siècle » :

http://www.afmeg.info/squelettes/dicofemmesjuives/pages/notice/zlatin.htm

 

La Maison d’Izieu a été instituée par décret présidentiel du 4 janvier 1993 comme l’un des trois lieux de la mémoire nationale avec le Vel’ d’Hiv’ et le camp d’internement de Gurs. Ce lieu fut tiré d’un relatif oubli grâce en partie aux époux Serge et Beate Klarsfeld qui commencèrent à organiser des manifestations de protestation, après avoir appris que le parquet de Munich avait pris la décision de classer l’affaire Klaus Barbie. Grâce à leur détermination, l’instruction à l’encontre de ce dernier va être rouverte en octobre 1971. Klaus Barbie fut expulsé de Bolivie en février 1983 vers la France et incarcéré à la prison de Montluc, à Lyon. Il fut inculpé de « crimes contre l’humanité ». De 1983 à 1987, le dossier Klaus Barbie fut instruit par la justice française. Pièce maîtresse de ce procès, le télégramme du 6 avril 1944 signé de sa main. La rafle d’Izieu fut l’une des principales charges retenues contre Klaus Barbie.

 

Le télégramme du 6 avril 1944, signé Klaus Barbie.

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