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En lisant “Les religions meurtrières” d’Elie Barnavi

Tout d’abord cette remarque : «En fait, la religion est l’angle mort de votre regard d’Occidental». Rien de plus vrai, d’où mon agacement envers ceux qui au nom de la sacro-sainte laïcité négligent le fait religieux et le considèrent comme une vieillerie tout jusque bonne pour la brocante voire la décharge publique. Mais le fait religieux ainsi négligé leur revient en quelque sorte dans la gueule, si je puis dire. La mondialisation ne concerne pas seulement l’économie, elle est nécessairement globale — et la religion entre dans cette globalité. Et comment nous défendre si nous n’avons pas préparé notre regard — si nous faisons preuve d’une telle négligence ?

 

C’est l’étude de la Sainte Ligue (ou Ligue catholique, fondée en 1576), un mouvement radical, qui a aidé le regard d’Élie Barnavi, qui l’a aidé à affronter l’islam radical, ce dont il rend compte dans ce qu’il désigne comme un pamphlet politique, un petit livre qui s’articule selon neuf thèses : «Les religions meurtrières».

 

L’historien et diplomate israélien Élie Barnavi, né en 1946 à Bucarest.

 

Thèse 1. Le relativisme culturel n’est pas répréhensible a priori ; il sait désigner d’intéressantes perspectives aussi longtemps qu’il ne favorise pas le relativisme moral, une maladie des plus graves qui s’attaque aux systèmes immunitaires.

 

Thèse 2. Dans nos sociétés sécularisées, on a tendance à oublier que toute religion est politique. Il est grand temps que le citoyen se souvienne que mises à part les sociétés sécularisées, plus que minoritaires en regard de l’histoire, l’orthodoxie et l’orthopraxie ont structuré la vie des sociétés.

 

Toute religion érige une cloison plus ou moins haute, plus ou moins étanche et plus ou moins poreuse entre «nous» et «les autres».

 

Toute religion révélée est une religion de combat ; seules les armes changent, et l’ardeur à s’en servir. 

 

La religion légitime les hiérarchies. Elle inscrit l’ordre social dans un ordre qui le dépasse, d’où sa force.

 

Philipp Melanchthon, bras droit de Marin Luther, insiste sur le double rôle de la religion: d’une part, une morale civique qui fonde un ordre politique et social ; d’autre part, une consolation contre la mort qui nous aide à transcender notre misérable condition d’homme. La contradiction que génère ce double rôle  — en effet, comment promettre le Ciel tout en sanctifiant la Terre ? — est résorbée par l’adage : Omnis potestas a Deo, «All authority comes from God». Jusqu’au XVIIIe siècle on ne concevait pas l’ordre politique et social sans le pouvoir légitimant de la religion. Il est vrai qu’au cours de l’histoire cet ordre a été parfois remis en question par la religion. Songeons par exemple à la Ligue catholique, aux Puritains et à l’islamisme. Mais dans tous les cas nous en revenons au vieux principe : lorsqu’il y a contradiction entre la loi de Dieu et celle du Prince, il convient d’obéir à ce premier. A ce propos, n’oublions pas que l’Europe déchristianisée a érigé des divinités séculières, parmi lesquelles la déesse Raison et l’Être suprême, et des religions de substitution, parmi lesquelles le nazisme et le communisme.

 

Thèse 3. Le fondamentalisme ou la quête des origines. Les origines : le corpus des textes sacrés débarrassés de la gangue de l’exégèse ecclésiale et du droit canon, une quête qui suppose une volonté philologique des plus exigeantes. Certains fondamentalistes s’éloignent du monde, de sa violence et ses injustices, et ne demandent qu’une chose : qu’on les laisse en paix. Parmi eux, les Anabaptistes, les Amish et les Caraïtes. C’est le fondamentalisme irénique.

 

Thèse 4. Le fondamentalisme révolutionnaire fait usage de la violence. Le régime wahhabite de la dynastie al-Saud peut être qualifié de conservateur ; celui de Ben Laden qui en est issu peut être qualifié de révolutionnaire. Ce n’est ni la doctrine ni l’objectif qui les sépare mais la méthode. Le fondamentalisme révolutionnaire est un système où la religion investit tout le champ du politique et réduit la complexité de la vie à un principe explicatif exclusif.

 

Thèse 5. Les textes fondateurs sont de véritables auberges espagnoles : on y vient avec ce qu’on a, on y trouve ce qu’on veut. Ainsi en revient-on à ce que je ne cesse de répéter à ceux qui s’en prennent massivement à la religion et qui l’accusent de tous les maux : la religion contient le meilleur et le pire. Toutes les religions (y compris les plus iréniques) portent la violence comme la nuée l’orage. Que les circonstances s’y prêtent et elles lâchent les fauves… Le bouddhisme toutefois considère la vérité comme un état purement subjectif, d’où son absence de fondamentalisme. Rien de tel avec les trois monothéismes où le christianisme a poussé particulièrement loin l’affirmation théologique d’une vérité absolue — la vérité est indépendamment de nous —, une particularité qu’explique la tradition néoplatonicienne qui accompagna son développement. La vérité peut s’exprimer dans une orthodoxie — ce qu’il convient de croire — et une orthopraxie — ce qu’il convient de faire. Le christianisme a privilégié cette première, le judaïsme et l’islam cette dernière. L’orthodoxie du christianisme a engendré le protestantisme. Le monothéiste envisage sa religion comme intimement liée à la Révélation, un événement historique qui tend vers un dénouement selon un mode qui échappe pour l’essentiel aux hommes, un dénouement envisagé avec ou sans l’aide des hommes, entre messianisme actif et messianisme passif.

 

Thèse 6. Machiavel est l’auteur de la première théorie cohérente de l’autonomie du politique. Dieu est là-haut, nous sommes ici-bas avec notre raison pour seul guide. L’État laïque se dessine déjà. La Réforme a œuvré à la laïcisation de la société. Elle a renforcé l’État en faisant du souverain le chef de son Église. Elle a préparé un divorce à l’amiable qui a permis d’assouplir les relations État-Église. Notons que dans les pays anglo-saxons la séparation de l’État et de l’Église ne signifie pas la séparation de l’État et de la religion. Mais dans tous les cas la séparation de l’Église (le spirituel) et de l’État (le temporel) est en Occident une réalité qui influe sur les vies, une séparation propre au christianisme, une séparation aux conséquences immenses. «Le choix de Rome a été le coup de génie de l’Église. Installé dans la capitale de l’Empire (…), le pape recueillait l’incomparable héritage impérial. Jérusalem était spirituellement plus légitime ? Sans doute. Mais le choix de Rome a été aussi sa faiblesse. Car l’héritage impérial était d’abord politique, et plutôt que modeler l’État à l’image de l’Église, c’est l’État qui a modelé l’Église à son image». Le pape et l’empereur se disputèrent un même héritage. L’État territorial bouscula la papauté, d’abord avec Philippe le Bel   qui eut des différents avec Boniface VIII, qui liquida l’ordre des Templiers et installa pour ainsi dire Rome en Avignon. Cette dualité fut la chance de l’Occident : l’Église put imposer à l’État des bornes morales ; et l’État put juguler la tentation théocratique de l’Église.

 

Thèse 7. La plupart des rabbins repoussèrent le sionisme : ils y virent une résurgence du messianisme «actif», responsable de tant de malheurs pour le peuple juif. Et pourquoi bousculer les plans du Messie en hâtant le retour vers la Terre Promise ? Par ailleurs, le sionisme se voulait laïc, ce qui ne pouvait que déplaire aux rabbins. Une minorité du judaïsme orthodoxe d’Europe centrale et orientale (le mouvement Mizrahi) en jugea toutefois autrement. Il donna naissance au Parti national-religieux après la proclamation de l’État d’Israël. Dans un premier temps ce sionisme religieux à caractère messianique n’influa guère sur la vie politique du pays. La guerre des Six Jours (1967) allait avoir d’importantes conséquences pour ce mouvement. A l’angoisse entretenue par Nasser et la propagande arabe succéda l’éblouissement d’une victoire qui semblait tenir du miracle. Par ailleurs, une nouvelle génération de sionistes-religieux sortait des yeshivot du mouvement, influencée par le rabbin Zvi Yehuda Kook qui expliquait à ses étudiants que l’État n’était que l’instrument que Dieu avait choisi pour la Rédemption de Son Peuple et que la Terre d’Israël était le don inaliénable de Dieu à Son Peuple. Cette nouvelle génération remplaça l’ancienne à la direction du Parti et, dans l’élan de la guerre du Kippour, elle fonda un mouvement extra-parlementaire dédié à la colonisation de la Judée-Samarie (la Cisjordanie), «Le bloc de la foi» qui, suite aux élections de mai 1977, avec une droite à présent majoritaire, put disposer de l’assise parlementaire qui lui faisait défaut. Cette nouvelle génération de sionistes néo-messianiques était révolutionnaire à plus d’un titre : en regard du sionisme des origines mais aussi de la tradition rabbinique et des institutions de l’État démocratique d’Israël. Ainsi un État dans l’État s’est-il constitué. Et lorsque l’État d’Israël s’est ressaisi «Le bloc de la foi» s’est mis à agiter le spectre de la guerre civile en évoquant la guerre entre la tribu de Benjamin et les onze autres tribus, les affrontements entre le royaume d’Israël et le royaume de Judas, entre les Macchabées et les Juifs hellénisés. Mais avec le retrait de la bande de Gaza, le fondamentalisme révolutionnaire juif trouva ses limites.

 

Thèse 8. Si le fondamentalisme révolutionnaire juif est contenu par la société moderne qu’est Israël, il n’en va pas de même avec l’islamisme, la forme la plus nocive du fondamentalisme révolutionnaire. Et pour l’heure laissons de côté le Coran qui comme tous les livres saints est une auberge espagnole — on y trouve ce qu’on cherche, c’est-à-dire ce qu’on apporte avec soi. C’est donc l’histoire qu’il faut interroger et non le Coran. Le malheur de l’islam reste cette irrémédiable confusion entre le spirituel et le temporel. En Occident la laïcité a été très tôt opérante avec cette coexistence plus ou moins heureuse entre le politique (le temporel) et le religieux (le spirituel). La critique rationaliste des textes sacrés a l’âge de l’Église, qu’on se le dise. Rien de tel avec l’islam qui impose l’immuable et accuse Juifs et Chrétiens d’avoir déformé la parole divine, avec leur Bible mensongère. Certes, islam et raison ne sont pas incompatibles, l’histoire en témoigne, de la Bagdad des Abbassides à la Cordoue des Omeyyades ; mais ces splendeurs sont restées sans suite : elles manquaient de légitimité, comme en manquent encore le politique et l’État en terre d’islam. Averroès eut bien plus d’influence en Occident que dans le monde arabo-musulman.

 

Le ressentiment musulman remonte bien au-delà de l’ère coloniale, il remonte à la défaite des Ottomans devant Vienne, en 1683. L’hégémonie de l’Occident se fit alors toujours plus patent. L’islam si peu curieux et installé dans le mépris en fut décontenancé. Fort de cette leçon, Mustapha Kemal Atatürk imposa la laïcité à son pays, et à la trique. D’autres (parmi lesquels Nasser et Kadhafi) s’efforcèrent de moderniser leurs pays selon des méthodes qui, ainsi que le signale René Rémond, évoquent les despotes éclairés du XVIIIe siècle. Il n’en reste pas moins que dans le monde musulman l’échec est partout, et principalement dans le monde arabo-musulman. Est-il besoin d’insister ? Les rapports des intellectuels musulmans sont accablants. Par exemple, en dix siècles on a traduit dans le monde arabo-musulman moins d’ouvrages que l’Espagne n’en a traduit en une seule année. Peu de musulmans se livrent à un travail autocritique ; et nombreux sont ceux qui préfèrent accuser les non-musulmans — les mécréants — comme étant responsables de leur situation déplorable. L’islamisme et son excroissance révolutionnaire se sont développés sur le terreau d’une mémoire — l’islam a été prestigieux — et de l’échec — d’où sa rancœur. L’islamisme c’est l’islam intégral (d’inspiration wahhabite) fait d’idéologie politique. Il vise à islamiser la société en fondant un État authentiquement musulman, un État qui rétablisse l’unité entre le pouvoir politique et la communauté des croyants. Mais l’État n’a aucune importance en lui-même puisqu’il est appelé à disparaître au profit d’un ordre mondial. Redisons-le : il convient de distinguer le fondamentalisme et l’intégrisme d’une part (ils veulent appliquer la charia et ramener les individus vers l’islam) et le fondamentalisme révolutionnaire d’autre part (il cherche à instaurer un ordre islamique mondial).

 

Thèse 9. Comment lutter contre une idéologie globale qui entend user du terrorisme pour frapper l’Occident ? Tout d’abord, il s’agit de prendre les menaces de ces agités au sérieux. Et ne refusons pas l’évidence : ce n’est pas parce que nous sommes «sortis de religion» qu’il nous faut chercher des causes «raisonnables» aux guerres de religion ; la raison profonde d’une guerre de religion c’est la religion et rien d’autre. La question palestinienne n’est en rien la cause d’une certaine violence ; elle n’en est que le catalyseur. C’est l’effondrement du califat ottoman qui a créé ce vide dans lequel se sont engouffrés les Frères musulmans égyptiens. Les islamistes révolutionnaires se moquent éperdument des Palestiniens comme ils se moquent des États-nations en terre d’islam.

 

Élie Barnavi s’efforce d’adopter un ton mesuré quand il en vient à l’immigration en Europe. Son verdict est le suivant : «Quels que soient les critères adoptés, il ne sert à rien de se voiler la face, il y a bien un problème spécifique d’intégration des musulmans». Les deux modèles, le modèle républicain français et le modèle communautaire britannique, ne fonctionnent plus. Ces échecs sont un appel d’air pour l’islamisme soutenu par l’argent saoudien et l’internationale des Frères musulmans dont la stratégie vise le long terme et se déploie dans quatre directions : 1) S’assurer le monopole de la représentation des communautés musulmanes. 2) Empêcher l’assimilation des musulmans d’Europe en préservant et en affirmant leur identité. 3) Renforcer leur influence sur la politique nationale dans des zones telles que le Moyen-Orient. 4) Faire progressivement de l’islamisme une force politique en Europe.

 

En lien une interview de l’ex-députée néerlandaise d’origine somalienne, Ayaan Hirsi Ali (du 12 octobre 2007), interview que j’approuve pleinement et qui peut être envisagée comme un complément à ces notes de lecture :

http://hirsiali.wordpress.com/2007/10/12/nous-sommes-en-guerre-contre-l’islam/

 

Ayaan Hirsi Ali, née en 1969

1 thought on “En lisant “Les religions meurtrières” d’Elie Barnavi”

  1. Passionnant article Olivier bien que je ne sois pas tout à fait d’accord sur quelques points tels que le bouddhisme considéré comme non-violent.
    On ne peut uniquement blâmer les trois religions monothéistes d’être intrinsèquement violentes et ignorer que le bouddhisme a usé de guerres sanglantes pour venir à bout du shintoïsme par exemple.

    D’autre part, si effectivement, le judaïsme eut sa part de violence lors de son installation au pays de Canaan, le moins qu’on puisse dire est que depuis, hormis les guerres défensives de David à Salomon en passant par les zélotes puis bien plus tard lors de la renaissance de l’état moderne d’Israel, on ne peut accuser le premier monothéisme d’être particulièrement violent et encore moins offensif.

    La partie sur l’islam est rigoureusement exacte. Hélas ! Car seuls des esprits éclairés prennent la mesure de ce nouveau totalitarisme qui est à mettre sur le même plan que le nazisme et le communisme.

    Si Barnavi est à même de décrypter tout cela, il lui manque cependant la réflexion post-politique nécessaire pour mesurer combien il est dangereux de laisser un pouce de terrain aux palestiniens. Justement parce qu’ils sont manipulés dès le départ par des fondamentalistes voulant imposer l’islam à toute la planète.

    Or, Barnavi est signataire de J-Call et, pire encore, s’est fourvoyé en co-rédigeant avec un Régis Debray qu’on ne peut taxer de philosémite loin s’en faut.

    La raison ordonne de ne pas frayer avec des gens de mauvaise foi comme Debray. Ce n’est pas éviter un débat mais justement éviter un mauvais débat, biaisé dès le départ où le mensonge le dispute à l’imbécillité.

    Le problème des intellectuels comme Barnavi est de croire que leurs interlocuteurs ont gardé une sorte d’honnêteté intellectuelle dès qu’il s’agit de parler d’Israel. Or, c’est parfaitement faux !

    Debray mais aussi Plenel ou Edgar Morin (ex-juif) voire Stéphane Hessel débutent toujours leurs discours truffé de haine antisioniste par “Je ne suis pas antisémite… ma femme est juive…alors…” et continuent par une litanie ô combien falsifiée sur tous les “travers” de l’état juif.

    Se commettre avec de tels personnages est un aveu de faiblesse… et qu’on ne me fiche pas en travers le visage le sempiternel : “il faut discuter avec ses ennemis, c’est avec eux qu’on doit faire la paix”. Sauf que la paix… ils n’en veulent pas…
    La malhonnêteté des intellectuels de gauche à l’endroit d’Israël a eu pour effet, en ce qui me concerne, de les éviter en tout point. Je les combats c’est tout.

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