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Opération « Merkur » (Unternehmen Merkur). Les parachutistes allemands sautent sur la Crète.

 

Cet article se veut (très) synthétique. Il ne s’adresse qu’à ceux qui connaissent mal, très mal, l’histoire de cette bataille de la Seconde Guerre mondiale, une bataille pas assez connue. J’ai par ailleurs un attachement particulier pour la Crète, et pour des raisons culturelles et familiales. Rien de ce qui concerne cette île ne m’est indifférent, qu’il s’agisse de la culture minoenne, des travaux de Sir Arthur Evans, de la peinture du Greco ou de cette première opération coordonnée aéroportée de l’Histoire, l’Opération « Merkur », printemps 1941.

 

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Pour les troupes britanniques qui se battent en Grèce après la ruée des troupes allemandes dans les Balkans (début 1941), la Crète est devenue leur base arrière. En avril, elle devient leur point de repli. En effet, suite à la prise par les Allemands du pont qui enjambe le canal de Corinthe, la bataille de Grèce (continentale) est perdue pour les Britanniques ; et l’importance stratégique de la Crète se confirme pour ces derniers mais aussi pour les Allemands.

La baie de Souda (à l’ouest de la Crète, près de Hania) offre un excellent mouillage pour la Royal Navy ; et de Crète, la Royal Air Force (R.A.F.) peut contrer la Luftwaffe au-dessus de la Méditerranée et menacer les champs de pétrole de Ploiești, en Roumanie.

La Crète, cette île formidablement étirée, est barrée sur toute sa longueur par une chaîne de montagnes qui culmine à plus de 2 400 mètres. La seule route digne de ce nom longe la côte nord, de Malème à Héraklion. Les trois aérodromes (occupés par la R.A.F.) sont bien modestes et le seul port capable d’accueillir des navires de gros tonnage est celui de Souda.

L’Oberkommando der Wehrmacht (O.K.W.) préfèrerait attaquer Malte qui représente une menace pour les opérations à venir en Afrique du Nord ; et, de fait, la défaite allemande à venir sur ce théâtre d’opérations est inexplicable sans l’île de Malte restée britannique ; mais Hitler préfère attaquer la Crète. La question mérite d’être posée : que s’en serait-il suivi si Malte était tombé aux mains des Allemands ? La Méditerranée serait probablement devenue allemande et un axe vital du British Empire aurait été sectionné. Par ailleurs, Rommel bien approvisionné aurait probablement enfoncé les lignes alliées à El-Alamein, fonçant vers un Irak où le ressentiment envers les Britanniques était marqué (voir le coup d’État de Rachid Ali et ses généraux, en avril 1941). Et je n’ose imaginer la suite… Que Hitler ait outrepassé les conseils de ses généraux et amiraux, en particulier ceux d’Erich Raeder, est une chance. A ce propos, je conseille la lecture de l’autobiographie de ce marin, « Ma vie » (« Mein Leben »), l’une des autobiographies les plus passionnantes de la Seconde Guerre mondiale.

 

Une scène de l’Opération « Merkur »

 

Je passe sur les détails du plan d’attaque allemand. Brièvement. C’est un plan fort ambitieux qui engage 15 000 hommes aéroportés et 7 000 hommes transportés par mer pour les renforcer. Aux avions de transport s’ajoute l’appui aérien, chasseurs et bombardiers. Ce plan vise à prendre le contrôle de tous les points stratégiques de l’île en un jour ! C’est un projet risqué et pour diverses raisons, notamment parce que les avions de transport étant en nombre insuffisant, les parachutistes devront être largués en deux vagues.

Première vague, le 20 mai 1941 au matin, sur Malème et Hania ; seconde vague, l’après-midi du même jour, sur Réthymnon et Héraklion ; soit quatre zones le long de la côte nord de l’île, de l’ouest au centre. Ces quatre zones devront établir le contact entre elles aussi vite que possible. Le deuxième jour, des éléments aérotransportés atterriront sur les trois aérodromes capturés par les parachutistes. Dans un même temps, des renforts en hommes et en matériel lourd seront débarqués à Héraklion et Souda mais aussi dans tout ce qui ressemble à un port sur la côte septentrionale de l’île.

Face à un tel plan d’attaque, la défense de la Crète semble faible. Sur les 27 500 soldats britanniques et du Commonwealth (auxquels s’ajoutent environ 14 000 soldats grecs), à peine 5 000 font partie de la garnison initiale, les autres sont des Néo-Zélandais (de la 2nd New Zealand Division) et des Australiens (de la 6th Australian Division) évacués de Grèce et arrivés en Crète, épuisés, désorganisés et privés d’armes lourdes. Le War Cabinet qui veut tenir l’île ne peut envoyer de renforts conséquents. L’armement lourd manque, pire, la couverture aérienne est dérisoire. La Royal Navy (sous les ordres de l’amiral Andrew B. Cunningham) est quant à elle bien présente, et elle n’a rien à redouter des forces navales italiennes ; mais considérant le manque de couverture aérienne, les unités de la Royal Navy ne pourront faire mouvement qu’à la faveur de l’obscurité. Des unités navales sont par ailleurs tenues en réserve à Alexandrie.

Mais les Britanniques disposent d’un avantage considérable, d’une arme redoutable entre toutes et dont ne disposent pas les Allemands : le décodeur « Ultra ». Depuis le début du mois de mai, les Britanniques connaissent tous les détails de l’Opération « Merkur » et tout est mis en œuvre pour tuer la force parachutiste allemande. Le général Richard C. Freyberg qui supervise la défense de l’île se montre optimiste. Elle ne sera pas tenue mais le décodeur « Ultra » qui avait livré les zones de largage causera des pertes effroyables parmi les parachutistes allemands, les Fallschirmjägern.

 

Parachutiste allemand tué dans un champ d’oliviers

 

Deux scènes de ces combats choisies au hasard. A Malème, les parachutistes du III. Bataillon sont littéralement massacrés par les hommes de la 5th New Zealand Brigade, et avant même qu’ils aient pu récupérer leurs armes parachutées avec eux dans des containers. Les parachutistes d’une section du II. Bataillon tombent sur deux bataillons de soldats grecs et des groupes de civils armés. Ils sont décimés et les treize survivants ne doivent la vie sauve qu’à l’intervention d’un officier britannique. Les corps des parachutistes tués seront retrouvés affreusement mutilés pour la plupart.

En cette fin de journée du 20 mai 1941, la situation des Allemands n’est guère encourageante, et je fais usage de l’euphémisme. C’est à Malème que les Allemands du Gruppe West semblent le plus solidement établis, même s’ils n’ont pris ni l’aérodrome ni la colline 107 qui le domine. La situation du Gruppe Mitte, à Hania et Réthymnon, ainsi que celle du Gruppe Ost, à Héraklion, sont des plus critiques. Après analyse de la situation, il apparaît que la tête de pont de Malème, aussi fragile soit-elle, est celle qui présente les meilleures chances d’exploitation. Le général Kurt Student (qui est à l’origine de l’Opération « Merkur » et qui en est l’architecte) décide alors de jouer son va-tout et l’expression n’est pas forcée : il déplace le centre de gravité de l’attaque vers l’ouest de l’île, vers Malème. Il prend des risques considérables ; mais l’inaction des Britanniques qui laissent passer la nuit (du 20 au 21) sans contre-attaquer va jouer en sa faveur. Le général Richard C. Freyberg aurait pu alors, et sans trop de peine, frustrer l’attaque allemande sur la Crète.

 

Partisans crétois

 

Brève chronologie :

21 mai. Les Allemands ne cessent de renforcer leurs positions dans le secteur de Malème. Ils s’emparent de la colline 107, un point stratégique puisque de cette hauteur la piste d’aviation est directement menacée. Alors que les obus tombent encore sur la piste, les Allemands commencent une noria de Ju 52. Ils amènent armes, munitions et hommes. Les avions rendus inutilisables par les tirs britanniques sont poussés à la hâte sur les côtés afin de ne pas interrompre la noria. En fin de journée, la contre-attaque néo-zélandaise que redoutent les Allemands, contre-attaque qu’ils n’auraient probablement pu repousser, ne vient pas. Encore une occasion perdue. La situation ne va pas tarder à basculer au profit des Allemands. Le Gruppe Mitte et le Gruppe Ost sont quant à eux très menacés et leurs attaques sont repoussées.

21 et 22 mai. L’échec des opérations maritimes. Malème étant devenu l’objectif numéro un, les deux convois maritimes destinés à renforcer la présence allemande en Crète convergent vers ce point situé à l’extrême ouest de l’île. Les embarcations ne sont pour la plupart que des bateaux de pêche propulsés à la voile, avec un moteur d’appoint de faible puissance. Un premier convoi part de l’île de Milos. Il va être traqué par la Royal Navy et très durement touché jusqu’aux premières lueurs de l’aube qui obligent les Britanniques à se retirer considérant, comme nous l’avons dit, l’absence de couverture aérienne. Le deuxième convoi est rappelé au Pirée dans la crainte qui ne subisse le sort du premier convoi. Avant que la bataille de Crète ne tourne franchement en leur faveur, les Allemands ne se risqueront plus à renforcer leurs troupes par la mer.

22 mai. La noria des Ju 52 se poursuit sur l’aérodrome de Malème, dans la poussière soulevée par les avions (ce qui ralentit le trafic), au milieu des carcasses d’avions et toujours sous le feu de l’artillerie alliée.

23 mai. A Malème, les Allemands renforcent toujours leurs positions, avec cette noria de Ju 52 qui transportent hommes et matériel. Ils s’efforcent par ailleurs de desserrer l’étreinte autour de ce secteur et attaquent les Néo-Zélandais qui retirent leurs batteries qui pilonnent l’aérodrome. Plus à l’ouest, le Gebirgs-Pionier-Batallion 95 qui progresse vers Kastelli doit affronter des bandes civiles armées, parmi lesquelles des femmes et des enfants. Au cours de leur avance, les Allemands découvrent des corps de leurs parachutistes torturés puis massacrés et mutilés, avec yeux et organes génitaux arrachés. Le III. Batallion du Luftlande-Sturmregiment a particulièrement souffert de ces exactions. Au cours de sa première nuit en Crète, des partisans crétois ont tué et mutilé tous les blessés qu’ils ont pu trouver et mutilé les tués. 135 hommes de ce bataillon auraient ainsi trouvé la mort. Les Allemands font aussitôt savoir que pour un de leurs soldats tués, dix Crétois seront immédiatement passés par les armes.

24 et 25 mai. L’Opération « Merkur » semble être en bonne voie et l’O.K.W. la rend enfin publique. A Malème, les hommes et le matériel ne cessent d’arriver. Les Allemands poussent à présent vers l’est, avec l’appui de la Luftwaffe, dans un relief très difficile. Kastelli tombe après des bombardements en piqué. Le 25 mai, le village de Galatas tenu par les Néo-Zélandais est évacué dans la nuit. Les Allemands y pénètrent au matin du 26 mai. La route de Hania leur est ouverte.

27 mai. Les Britanniques décident d’évacuer l’île par la côte sud. Les Allemands renforcent leurs dispositifs autour de Hania. A Stilos, combats d’arrière-garde menés par les Australiens et les Néo-Zélandais, puis repli général vers la côte sud. Les troupes qui battent ainsi en retraite ne seront guère inquiétées, les Allemands poursuivant leur mouvement le long de la côte nord, d’ouest en est.

28 au 30 mai. Les Allemands continuent leur progression d’ouest en est, retardés par quelques combats d’arrière-garde. La garnison de Héraklion (soit quelque 4 000 hommes) est évacuée par la Royal Navy dans la nuit du 28 au 29 mai. Aux premières heures du 29 mai, les Allemands prennent la ville sans tirer un coup de feu. A Réthymnon, les troupes australiennes et grecques capitulent. Le lendemain toute la Crète, à l’exception du secteur Loutro-Sfakia, sera aux mains des Allemands.

L’évacuation, 29 mai au 1er juin. Le petit port de pêche de Sfakia, sur la côte sud, est le point d’embarquement des troupes en retraite. Au soir du 30 mai, le général Richard C. Freyberg et de nombreux officiers quittent l’île par hydravion. Les Allemands qui ont compris ce qui se trame resserrent leur étreinte autour de Sfakia. La Royal Navy parviendra à évacuer près de 15 000 hommes vers l’Égypte, alors qu’elle est harcelée par la Luftwaffe. Le 1er juin, à neuf heures, les troupes qui n’ont pu être évacuées se rendent. Les derniers combats cessent vers seize heures, dans les collines au nord de Sfakia.

L’Opération « Merkur » est un succès pour les Allemands puisque toute l’île est entre leurs mains ; mais c’est une victoire à la Pyrrhus. Les pertes allemandes sont effrayantes : sur les 22 000 hommes engagés, près de 6 000 ont été tués, parmi lesquels de nombreux vétérans des parachutistes.

Cette opération amène une question, inévitable. Avec les plans ennemis en poche, grâce au décodeur « Ultra », les forces alliées présentent sur l’île auraient pu annihiler les troupes aéroportées allemandes. Ce n’est pas la ténacité des Britanniques et des combattants du Commonwealth qui est remise en question par les historiens mais le manque d’initiative, proche de l’inertie, du général Richard C. Freyberg et de ses officiers. Rappelons que les zones de largage étaient toutes connues et dans le détail, que les troupes alliées étaient concentrées autour de ces zones, solidement établies et plus bien nombreuses que les troupes allemandes, au moins dans les premiers jours. Alors ? On a prétendu que la relative passivité de ce général néo-zélandais s’expliquerait par le fait qu’il ne pouvait admettre des pertes élevées en hommes, des pertes qui auraient choqué l’opinion publique d’un pays peu peuplé. Rappelons que la population de la Nouvelle-Zélande comptait alors environ 1 600 000 habitants.

 

Sépultures de parachutistes allemands

 

Tout en travaillant à cet article, des souvenirs me sont venus. Je me suis souvenu d’une excursion dans les environs de Hania, vers Malème, au cours de laquelle j’ai découvert un étrange monument, le Fallschirmjäger-Denkmal, surmonté du symbole des parachutistes allemands : l’aigle s’apprêtant à piquer vers le sol. En observant bien, j’ai compris que la swastika qu’il tenait dans ses serres avait été noyée dans du ciment. Mis à part ce détail, le monument était intact. Après enquête, j’ai appris qu’il avait été érigé en 1941, par les hommes du II. Batallion-Sturmregiment, en hommage à ceux qui avaient donné leurs vies pour la Grande Allemagne (Gross-Deutschland), à Malème, Galatas, Kastelli et Hana, du 20 au 28 mai 1941. Je le redis, ce monument était curieusement intact lorsque je l’ai découvert au début des années 1980. Suite à une enquête Internet (voir lien ci-dessus), j’ai appris qu’une tempête avait fait tomber en 2001 la sculpture et qu’elle n’avait pas été remise en place. Par ailleurs, son piédestal avec inscription avait été vandalisé :

http://firedirectioncenter.blogspot.com.es/2014/05/battles-long-ago-crete-1941.html

Je me suis également souvenu de l’arrière-boutique de ce brocanteur d’Athènes, à Plaka, où, dans une petit pièce couvertes d’étagères, s’alignaient des casques de parachutistes allemands, certains troués, certains déchiquetés. Les casques en parfait état se vendaient déjà très chers, et je suis certain que les prix en ont beaucoup augmentés. Ce modèle, le Fallschirmhelm était une version dérivée du Stahlhelm. Il se caractérisait par un raccourcissement de ses bords, tant au niveau du front que de la nuque.

Je me suis également souvenu de la boutique d’un brocanteur proche du port de Hania, avec tout un fourbi récupéré tant chez les Allemands que chez les Alliés. C’était à la fin des années 1970.

Concernant le matériel allemand abandonné en Grèce, je me souviens que lorsque je vivais à Athènes, au milieu des années 1980, on pouvait voir rouler quelques sidecars BMW R-71 ainsi que quelques Volkswagen Kübelwagen (Volkswagen Tipo 82), véhicule caractéristique avec son nez fortement biseauté. Le parc automobile athénien était alors un véritable musée roulant, par ailleurs très polluant. Je me souviens par exemple d’une Volvo Amazon (une série née en 1956), longtemps garée devant ma porte.

Ci-joint, une vidéo sur la bataille de Crète où est repris et détaillé le schéma d’ensemble que je viens de présenter. Quelque chose m’intrigue pourtant dans ce document : à aucun moment il n’est fait mention du décodeur « Ultra » :

https://www.youtube.com/watch?v=N1Qt6MGjgCQ

 

Olivier Ypsilantis

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