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Quelques tableaux portugais – 3/9

 

Tableau 6

Contrairement à la découverte de l’archipel des Canaries et de celui de Madère, nous ne disposons d’aucune preuve décisive qui nous permettrait de savoir si l’archipel des Açores a été abordé avant sa découverte par l’Infante D. Henrique dit « O Navegador » (1394-1460). La polémique est toujours en cours entre historiens, notamment à partir de cartes élaborées avant sa découverte. Un groupe d’îles sur certaines de ces cartes du XIVe siècle est qualifié de « falsos Açores ». On peut imaginer que des navires y aient abordé fortuitement alors qu’ils s’en revenaient de l’archipel des Canaries ou des côtes marocaines. C’est ainsi que l’archipel de Madère avait été découvert. La représentation de l’archipel des Açores est par ailleurs si pauvre sur ces cartes, si approximative sans jamais s’améliorer d’une carte à une autre, que l’on ne peut qu’avoir de la réticence à placer la découverte des Açores au XIVe siècle.

La preuve la plus sérieuse au sujet de cette découverte date du XVe siècle. Elle soutient l’exploration systématique des côtes d’Afrique et de l’archipel des Canaries sous l’impulsion de l’Infante D. Henrique. La découverte d’un document précieux entre tous, soit la carte établie par Gabriel Valseca en 1439, laisse penser qu’un certain Diogo de Silves (dont nous ne savons rien par ailleurs) serait le premier à avoir abordé les Açores en 1427. Le déchiffrement du nom Diogo de Silves et de la date 1427 (écrite en chiffres romains sur le document en question) reste approximatif mais semble plus sûr que d’autres interprétations paléographiques.

 

Carte de l’archipel des Açores

 

Quoi qu’il en soit, sur la carte de Gabriel Valseca, les Açores sont pour la première fois correctement situées et orientées. C’est précisément de 1439 que date le premier document officiel connu au sujet des Açores, document par lequel la Couronne portugaise donne à l’Infante D. Henrique l’autorisation de coloniser l’archipel. La question n’en reste pas moins de savoir si l’archipel des Açores a été ou non abordé avant le XVe siècle.

Une hypothèse parmi d’autres : les Portugais auraient atteint l’Atlantique central à leur retour des côtes d’Afrique, en effectuant une large courbe (larga volta) afin de contourner les alizés du Nord-Est et profiter des vents favorables soufflant de l’Ouest au niveau des Açores. Ainsi le continent américain aurait-il pu être atteint par les Portugais avant Christophe Colomb.

L’archipel des Açores est constitué de neuf îles réparties en trois groupes : le groupe oriental, soit deux îles : São Miguel (la plus importante des îles et de loin), Santa Maria ; le groupe central, soit cinq îles : Faial, Terceira, Graciosa, São Jorge, Pico ; le groupe occidental, soit deux îles : Flores, Corvo. Ce dernier groupe, le plus éloigné du Portugal, fut découvert par Diogo de Teive vers 1452, accompagné d’un Andalou du nom de Pedro Vázquez de la Frontera qui d’après diverses sources historiques liées à Christophe Colomb aurait rapporté à ce dernier ses expériences de navigateur au service des Portugais, lui communiquant ainsi de très précieux renseignements. Selon certains auteurs, Diogo de Teive (accompagné de Pedro Vázquez de la Frontera) aurait poussé jusqu’en Terre Neuve, atteignant ainsi le continent américain en 1452. C’est une hypothèse parmi d’autres, rien qu’une hypothèse.

Mais j’en reviens aux Açores. Suite à sa découverte, cet archipel va devenir pour des siècles la base d’appui principale et le centre logistique de la navigation dans l’Atlantique.

Nombre de navigateurs portugais du milieu et de la deuxième moitié du XVe siècle sont désignés comme ayant peut-être touché le continent américain avant Christophe Colomb. Selon le plus ancien document relatif aux Açores (soit la carta régia de 1439), les premiers efforts de colonisation et d’introduction de l’élevage avaient commencé quelques années auparavant. A partir de là, à un rythme rapide et soutenu, c’est l’archipel entier qui est peuplé et dont les terres sont mises en valeur. Les premières îles à être peuplées (immédiatement dès les années 1440, sous l’impulsion de Gonçalo Velho, qui deviendra capitaine de ces îles) sont Santa Maria et São Miguel. Dans ce processus, l’Infante D. Pedro, alors régent du royaume depuis 1439, a un rôle décisif. C’est lui qui sera le grand responsable de l’inflexion de l’expansion portugaise vers l’Atlantique au détriment de la conquête militaire du Maroc.

Les terres des Açores sont organisées en capitaineries héréditaires. A la mort de Gonçalo Velho, son héritier vend en 1474 les droits de capitainerie de São Miguel à Rui Gonçalves da Câmara, originaire de Funchal, Madère, resserrant ainsi les liens entre les colonisateurs des diverses îles portugaises de l’Atlantique.

Le peuplement des Açores se fait par des Portugais venus de toutes les régions du Portugal, avec leurs particularités régionales, mais aussi par des Flamands. Ainsi, sur l’île de Terceira s’installe Jácome de Bruges dans les années 1450. Les îles de Pico et de Faial sont colonisées par Joss van Urtere et l’île de Flores par Willem van der Haegen. L’arrivée de ces Flamands pourrait en partie s’expliquer par l’intervention de l’Infante D. Pedro, alors régent, et ses excellentes relations avec la Maison de Bourgogne. Le développement de l’agriculture se fait d’abord par le blé et les îles ne tardent pas à exporter leurs excédents vers la métropole et les comptoirs d’Afrique. Diverses plantes destinées à la teinture sont expérimentées, comme le pastel et l’urzela, et exportées vers les Flandres pour son industrie textile en plein essor. Les îles de Terceira et São Miguel connaissent un développement particulièrement important, et leurs deux agglomérations principales (respectivement Angra do Heroísmo et Ponta Delgada) sont vite élevées au rang de ville. Le développement économique et social est intense tout au long du XVIe siècle, avec une augmentation notable de la population. La canne à sucre et l’industrie sucrière – dominantes dans d’autres îles de l’Atlantique – ne connaîtront pas le même développement aux Açores où elles resteront une activité secondaire. Les Açores (en particulier Terceira et son excellent port Angra do Heroísmo) deviennent une escale pour la navigation transatlantique, tant pour les explorateurs (voir Christophe Colomb qui à son retour du continent américain fait halte sur l’île de Santa Maria) que pour les commerçants.

Au cours du XVIe siècle, les Açores deviennent donc l’escale principale non seulement pour les Portugais (voir la Carreira da Índia) mais aussi pour les Espagnols (voir la Ruta de las Indias). Dans les mers des Açores, les pirates et les corsaires ne tardent pas à être très actifs afin d’intercepter les navires chargés de richesses de retour en Europe. C’est pourquoi les Portugais organisent sans tarder des Armadas das Ilhas.

Durant des siècles, l’archipel des Açores sera un élément clé de l’expansion portugaise dans l’Atlantique et l’immense Brésil, un élément clé de sa prospérité et de sa défense.

 

Tableau 7

Au cours des années 1920, le Portugal vit dans une grande instabilité politique, avec seize gouvernements qui se succèdent en sept ans. Un mouvement militaire prend le pouvoir le 28 mai 1926. Il se propose notamment d’assainir l’administration publique ; mais pour ce faire, il lui faut commencer par assainir les finances publiques. A cet effet, les généraux confient le ministère des Finances à António de Oliveira Salazar, passé par la meilleure université du pays, Coimbra, et titulaire d’un doctorat en Sciences économiques, Coimbra où il est nommé titulaire de la chaire d’économie politique et de finance.

Aussitôt nommé ministre des Finances Salazar demande une totale liberté afin de mener à bien sa tâche, ce qui lui est refusé. Après à peine plus de deux semaines, il demande sa démission et revient à Coimbra. Le 25 mars 1928, le général Óscar Carmona est nommé président de la République (poste qu’il occupera jusqu’à sa mort, en 1951). Salazar est rappelé. Plus personne ne s’opposera à ses sollicitations et décisions. C’est le début de la era salazarista. L’idée d’un Estado Novo lui vient sans tarder. En 1932, Óscar Carmona lui confie la présidence du Conseil sans que Salazar ait à délaisser le ministère des Finances, ce qui lui permet de donner corps à son projet. Salazar à quarante-trois ans. En 1936, il est également nommé ministre de la Guerre. Outre la présidence du Conseil, il en vient à cumuler trois ministères : les Finances et la Guerre mais aussi les Affaires étrangères.

La revolução nacional qui évolue vers la théorie de l’Estado Novo inaugure une nouvelle politique coloniale. L’Acto Colonial, document fondamental de l’Império Colonial Português (approuvé par décret-loi en 1930), ne subira qu’une légère modification en 1951.

En 1933 est élaborée une nouvelle Constitution dont l’article 2 fait référence aux territórios portugueses do Ultramar, article auquel Salazar se référera à plusieurs reprises, article qui interdit l’indépendance de ces territoires car considérés comme faisant partie intégrante du territoire national. L’indépendance d’une partie de ces territoires signifierait donc selon cette Constitution une modification des frontières nationales. Les principes de l’Estado Novo relatifs à l’administration coloniale sont également incorporés dans la Carta Orgânica do Império Colonial Português et dans la Reforma Administrativa Ultramarina, l’une et l’autre promues en 1933. De fait, le décret qui fonde l’Império Colonial Português, en 1930, l’Acto Colonial, est le premier document constitutionnel de l’Estado Novo (promulgué le 8 juillet 1930, par le décret n.° 18 570). Il est composé de quarante-sept articles répartis en quatre rubriques. J’en conseille la lecture aux curieux.

 

 

Les implications et les raisons que véhicule ce document sont complexes et entremêlées ; l’une d’elles toutefois semble sous-tendre l’édifice : la Revolução Nacional que projette Salazar trouvera sa viabilité économique dans l’exploitation des possessions portugaises outremer. Dans un discours de 1933, il insiste sur l’unité juridique et politique que constituent le Portugal et son Empire. Dans la vision de Salazar, l’Angola, le Mozambique et les possessions portugaises en Inde ne sont pas moins portugaises que les provinces du Portugal continental comme le Minho ou la Beira, par exemple. A cette unité juridique et économique il veut ajouter l’unité économique. Salazar a clairement défini cette relation économique entre la métropole et son Empire, elle est on ne peut plus explicite : les pays de l’Empire produisent et vendent leurs matières premières à la métropole ; avec l’argent de cette vente, ils achètent à la métropole les produits manufacturés.

L’élaboration de l’Acto Colonial doit beaucoup à Quirino Avelino de Jesus, l’un des plus importants idéologues de l’Estado Novo. Dans un livre intitulé « Nacionalismo Português », il affirme que l’Acto Colonial de 1930 a été conçu sous l’influence des idées qui structureront la Constitution de 1933.

Cet enfermement idéologique et, dirais-je mental, puissamment étayé par un discours élaboré et savant (Salazar est le seul dictateur d’alors pourvu d’une formation de très haut niveau et sorti avec les meilleures notes) favorise un isolationnisme qui contente Salazar, un homme comme désireux d’arrêter le temps et la marche du monde. Il faut lire ses discours pour en être convaincu, des discours très élaborés, tout en retenu, marqués par une volonté didactique et morale. On est comme à l’école (ou l’université) ou à l’église, avec curé en chaire. Je rappelle à ce propos qu’avant d’entreprendre ses études universitaires à Coimbra, Salazar a passé huit années au séminaire de Viseu dont il est sorti avec les meilleures notes.

A partir de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’anticolonialisme acquière une nouvelle dimension qui laisse présager des bouleversements à court/moyen terme. L’Acto Colonial passe de plus en plus mal au niveau international. En 1951, le terme « colónias » et dérivés dans la Constitution sont remplacés par « províncias ultramarinas » et dérivés ; et le titre de l’article VII devient « Do Ultramar Português ». Le terme « Império » est remisé. En 1963 est présentée la nouvelle Lei Orgânica do Ultramar Português mais les modifications qu’elle apporte ne se traduisent pas vraiment dans la réalité et le Portugal qui a intégré l’O.N.U. en 1955 sera de plus en plus durement critiqué par cette organisation dont de nombreux pays indépendants depuis peu sont devenus membres.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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