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Quelques notes, été 2022 – 1/7

 

(Hugo Gutmann / La charge des cavaliers du Regimiento de Caballería Cazadores de Alcántara n° 14 à Annual)

Hugo Gutmann, né en novembre 1880 à Nuremberg, Juif allemand. Sert comme lieutenant dans l’armée bavaroise au cours de la Première Guerre mondiale. Il est le supérieur direct de Hitler et en 1918 il le recommande pour la Croix de fer 1ère classe. Il sert dans l’armée bavaroise jusqu’en 1902 où il atteint le rang de Feldwebel, soit le plus haut grade de sous-officier. Au début de la Première Guerre mondiale, il est rappelé dans la réserve. Entre janvier et août 1918, il est versé dans le « List Regiment » (16th Bavarian Reserve Infantry) appelé ainsi d’après le nom de son premier commandant, le colonel Julius List. L’historien Thomas Weber a consulté des documents encore inexplorés ; il a pu constater que l’activité guerrière de Hitler n’a pas été aussi glorieuse que ce que Hitler devenu Führer a pu en dire. Hitler sert comme estafette (Etappenschwein) en tant qu’agent de liaison régimentaire ; il va d’un état-major à l’autre ; il est donc assez loin des premières lignes.

 

Hugo Gutmann (1880-1962)

 

Hitler reçoit la Croix de fer 2ème classe en 1914, une décoration courante pour un soldat de son rang, un caporal (Gefreiter). En août 1918 Hitler qui a toujours le même grade reçoit la Croix de fer 1ère classe, une décoration inhabituelle pour un caporal. Il doit cette décoration plus à sa proximité avec ses supérieurs au niveau régimentaire qu’à ses exploits guerriers. Telles sont les conclusions de Thomas Weber à partir d’une documentation de première main.

Ci-joint un article au titre éloquent publié dans Valeurs Actuelles : « Le caporal Hitler à l’abri du front » :

https://www.valeursactuelles.com/histoire/leur-grande-guerre-3-5-le-caporal-hitler-a-labri-du-front

Hugo Gutmann est démobilisé en février 1919 et se marie peu après. Dans les années 1920, il reprend le commerce de son père à Nuremberg. En 1933, on lui accorde après demande une pension d’ancien combattant, pension qu’il continue à percevoir même après les Lois de Nuremberg (sept. 1935). Faut-il y voir une intervention directe de Hitler ? Selon Thomas Weber, Hugo Gutmann redoute que sa relation avec Hitler, loin de le protéger, ne le mette en danger. En effet, il avait été interrogé par la Gestapo qui surveillait tout ce qui pouvait porter préjudice à l’image du Führer, notamment à celle du soldat de la Première Guerre mondiale élaborée dans « Mein Kampf ». Hugo Gutmann n’émigre avec sa famille qu’au début de la Deuxième Guerre mondiale. Première étape, la Belgique puis la France alors que les forces allemandes sont sur l’offensive. Grâce à un parent installés aux États-Unis, il parvient à obtenir des visas qui lui permettent de passer par le Portugal d’où la famille embarque à bord du S.S. Excalibur pour New York. Nous sommes fin août 1940.

Par peur d’être rattrapé par des agents nazis, il change de nom. Hugo Gutmann devient Henry Grant et passe vingt ans à St. Louis où il ouvre un commerce. Il prend sa retraite en 1961 et déménage avec sa femme à San Diego où il meurt en juin 1962.

 

Nous sommes le 23 juillet 1921, à Annual dans le Rif. Sept cents cavaliers du Regimiento de Caballería Cazadores de Alcántara n° 14 chargent une douzaine de fois contre les Rifains positionnés dans les environs de Melilla avec pour seul objectif : protéger la retraite de leurs camarades venus du camp d’Annual qui a succombé sous les attaques. 90% des cavaliers du régiment tombent ce jour-là. Il faut attendre 2012 pour que le Regimiento de Caballería Cazadores de Alcántara n° 14 reçoive la Laureada Colectiva de San Fernando. Ces charges répétées auront permis à la colonne du général Felipe Navarro (quelque deux mille hommes) de franchir la rivière Igan avec des centaines de blessés et d’arriver en lieu sûr. On sait que les Rifains achevaient généralement les blessés et les prisonniers à l’arme blanche.

A la tête de ce régiment, le colonel Fernando Primo de Rivera y Orbaneja, frère de Miguel Primo de Rivera y Orbaneja que j’ai évoqué à plusieurs reprises sur ce blog.

 

Symbole du Regimiento de Caballería Cazadores de Alcántara n° 14 

 

Été 1921. La situation des Espagnols dans le Rif est plutôt favorable, les Espagnols qui ont étendu leur domaine sous les ordres du général Manuel Fernández Silvestre. Mais si l’armée espagnole est sur l’offensive, elle néglige au cours de son avance les positions défensives, avec des axes logistiques sécurisés. Sa position est donc particulièrement dangereuse. Seules des petites positions fortifiées (appelées « blocaos ») ont été aménagées mais sans liens les unes avec les autres sur les axes de la conquête. Le général Manuel Fernández Silvestre est emporté par son enthousiasme et ses apparents succès. Le 7 juillet 1921, il ordonne à l’un de ses hommes de confiance, le commandant Julio Benítez, de poursuivre l’avance et de s’emparer de la position d’Igueriben. Face à cette avancée, Abd el-Krim parvient à fédérer des kabilas de la région.

Les Rifains qui sont entre huit à dix mille attaquent les Espagnols mal défendus sur leur position d’Igueriben. Julio Benítez sollicite l’aide de Manuel Fernández Silvestre, mais en vain.  Entre le 21 et 22 juillet, les soldats de Julio Benítez finissent par succomber. Après avoir réduit cette avancée des Espagnols, les hommes d’Abd el-Krim (au nombre de vingt mille selon certaines sources) encerclent le campement de Manuel Fernández Silvestre à Annual. Les Espagnols sont environ quatre mille, dotés de rares pièces d’artillerie et de peu de munitions. Cette position est une souricière. Face à cette situation, Manuel Fernández Silvestre finit par donner l’ordre d’une retraite massive vers des positions plus faciles à défendre ; mais cette retraite se convertit en débandade, ce qui permet aux guerriers d’Abd el-Krim de massacrer des centaines de fugitifs.

Au milieu de ce chaos, Manuel Fernández Silvestre est tué – se serait-il suicidé ? Le général Felipe Navarro est dépêché dans le secteur pour couvrir la retraite. Il arrive dans la zone le 22 juillet et organise une colonne de deux à trois mille survivants qu’il dirige vers Melilla. Cette colonne ne dispose de presque pas d’artillerie et nombre d’animaux de bât ont succombé. Le 23 juillet, le chaos augmente dans la colonne en retraite et les Rifains se montrent de plus en plus offensifs. Et c’est au bord de la rivière Igan, lieu propice à une embuscade, que la tragédie va culminer. Des centaines de Rifains se sont positionnés aux abords de la rivière et attendent… Face à cette situation, Felipe Navarro ordonne au Regimiento de Caballería Cazadores de Alcántara n° 14 de protéger la retraite à tout prix, alors que le régiment a été éprouvé par de multiples actions défensives. Felipe Navarro demande à Fernando Primo de Rivera y Orbaneja d’attaquer avec ses cinq escadrons afin de protéger le chemin entre Uestia et la rivière Igan.

L’extraordinaire héroïsme de ce régiment permit de sauver bien des vies ; il ne doit pas masquer les terribles manques du commandement et ses erreurs tactiques fondamentales : lignes de pénétration excessivement étirées, carence logistique, mauvaise préparation des troupes venues de la Péninsule, absence de plan B, inefficacité des positions isolées, manque d’information sur l’ennemi, etc., etc. La bravoure la plus extrême ne peut suppléer à de tels manques, à de telles erreurs.

Les guerriers rifains doivent être environ vingt mille. Mais leur nombre augmente probablement à mesure que les Espagnols battent en retraite, des Espagnols qui manquent d’eau (un très grave problème au cours de ces combats) et de munitions. Ce manque suscite une panique qui se généralise et conduit à la catastrophe. Redisons-le, l’avance espagnole est dangereusement étirée. Après la chute des deux positions clé d’Abarrán et Igueriben, l’ennemi s’enhardit et attaque Annual en masse. La retraite ne répond à aucun plan précis, la troupe et son commandement sont saisis par la panique. Les plus grosses pertes se produisent au moment d’abandonner le campement pour s’engager dans le défilé Izummar, avec des soldats en fuite, abrutis de fatigue, serrés les uns contre les autres, toutes unités mêlées, soldats et officiers mélangés. En un peu moins d’une demi-heure, Annual se vide dans la plus grande confusion. A cette précipitation et ce chaos s’ajoute la défection de la Policía Indígena qui passe à l’ennemi au moment le plus critique. Et n’oublions pas la piètre préparation des troupes espagnoles.

Le général Manuel Fernández Silvestre ordonne au Regimiento de Caballería Cazadores de Alcántara n° 14 qu’il se dirige de la position de Ben Tieb vers le défilé d’Izummar afin de protéger la retraite d’Annual. Lorsque les cavaliers arrivent sur les lieux, le gros des unités d’Annual bat déjà en retraite, une retraite qui perturbe l’action de la cavalerie qui se limite à protéger les flancs de la colonne, à ramasser les blessés et porter secours à des positions encerclées. Des cavaliers s’emploient même à endiguer la débandade par la menace mais elle est telle qu’ils n’y peuvent rien. Des positions sont abandonnées à leur sort. Elles seront anéanties. Le Regimiento de Caballería Cazadores de Alcántara n° 14 fait plusieurs sorties en direction de Chaif et Ain Kert pour sauver ces postes et continuer à protéger la retraite de la colonne principale. Quelques positions comme celle de Chaif seront ainsi sauvées. Fernando Primo de Rivera y Orbaneja recevra la Cruz Laureada de San Fernando.

Le 23 juillet, le moral du Regimiento de Caballería Cazadores de Alcántara n° 14 est élevé. De fait, les officiers de ce régiment n’appréhendent pas vraiment les raisons d’une telle débandade. Ses cavaliers accompliront leur mission jusqu’au bout, jusqu’à la mort, sans vraiment comprendre l’ensemble de la situation.

Leur mission consiste à ouvrir la voie à la colonne du général Felipe Navarro, dans le lit asséché de la rivière Igan, une colonne qui a entrepris une retraite désespérée vers Batel et Tistutin avec de nombreux blessés. Bien qu’épuisés, les cavaliers qui chargent depuis l’aube doivent charger encore et plusieurs fois contre un ennemi retranché aux abords de la rivière Igan, des charges presque suicidaires contre des Rifains embusqués dans les accidents du terrain, des charges qui mettent ce régiment au bord de l’anéantissement – il perd environ 90% de ses effectifs. Mais son sacrifice aura permis de sauver la colonne de Felipe Navarro.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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