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Quelques considérations économiques – 5/6

On associe richesse et monnaie mais la relation entre l’une et l’autre n’est pas si évidente, surtout avec l’émission massive de monnaie, émission accélérée par la pandémie du Covid-19. L’argent et la richesse vont souvent de pair mais pas nécessairement ; et d’abord pour une raison simple : la richesse – la vraie richesse – est plus tangible ; elle constitue le vecteur de l’économie réelle, le moyen de produire biens et services.

Ce qui me nourrit est une vraie richesse, indiscutablement, et ce qui me nourrit engage toute une chaîne d’ingéniosité et de travail. Par exemple, pensez à tout ce que suppose le pain. Frédéric Bastiat détaille très pertinemment la vraie richesse dans son style inimitable. Le pain : du blé semé dans une terre préparée qui finit par arriver à la boulangerie, que d’ingéniosité et de travail ! Depuis l’enfance, j’admire les moissonneuses-batteuses-lieuses (MBL), cette petite usine sur roues qui a révolutionné la vie des campagnes et activé l’exode rural. Notre pain doit beaucoup à cette machine particulièrement ingénieuse qui n’est qu’un élément d’une très longue chaîne d’ingéniosité et de travail. A ce propos, j’invite celles et ceux qui s’intéressent à l’économie, sans être pour autant des spécialistes, à lire Frédéric Bastiat, ce grand Français guère en vogue dans l’enseignement et les médias de masse français car étiqueté libéral, le vilain mot. Les observations et les propositions de cet homme du XIXe siècle (1801-1850) n’ont pas pris une ride pour reprendre une expression consacrée.

La monnaie est un outil qui sert à transformer une richesse en une autre. Elle est partout. Elle est comme le sang qui circule dans notre organisme, comme l’oxygène qui entre dans nos poumons avant de passer dans notre sang. Par exemple, elle transforme mon travail en nourriture. A partir de ce constat on se rend vite compte que la quantité de richesse générée par une économie excède largement la quantité de monnaie en circulation car la richesse ne se transforme que ponctuellement en monnaie avant d’être généralement et à nouveau transformée en une autre forme de richesse.

Mais vers la fin des années 1990, la quantité de monnaie en circulation s’est mise à augmenter plus vite que la production de biens et de services marchands. Avec l’actuelle pandémie, c’est un feu d’artifice monétaire alors que pour cause de confinement la production de biens et de services somnole.

(J’ouvre une parenthèse. Le budget fédéral américain s’élève à 3132 milliards de dollars pour l’exercice clos en septembre 2020 contre 984 en septembre 2019, soit une hausse de 218 %. Le déficit commercial s’élève à 616 milliards de dollars en 2019 ; il a très légèrement baissé par rapport à celui de 2018 mais devrait repartir à la hausse en 2020.

Ces déficits s’inscrivent dans le contexte d’une création monétaire ivre d’elle-même, ce dont témoigne le bilan de la Fed (Banque centrale américaine ou Federal Reserve) qui depuis 2006 est passé d’un peu plus de 800 milliards de dollars à plus de 7000 milliards, une augmentation qu’explique le rachat massif de titres publics et privés, y compris d’actifs toxiques, par la Fed. Je ferme la parenthèse).

Cette expansion titanesque de la masse monétaire n’a toujours pas impulsé l’inflation des prix à la consommation. On en est donc venu à élaborer des théories selon lesquelles la masse monétaire créée par les pouvoirs politiques pourrait être illimitée, notamment pour financer des programmes sociaux, écologiques, avec politique de grands travaux. Cette idée a priori sympathique s’appuie toutefois sur une illusion : on confond monnaie et richesse réelle.

Force est de constater que cette masse monétaire ne se dirige pas dans les directions a priori souhaitées et que les prêts accordés par les banques servent essentiellement à financer des investissements spéculatifs. La preuve : les excellentes performances (mais jusqu’à quand ?) des marchés boursiers en dépit d’économies réelles qui tournent au ralenti. Il y a bien un impact du gonflement de la masse monétaire sur les cotations boursières. Cette création monétaire favorise donc ceux qui spéculent et s’enivrent de ces sommes a priori illimitées au détriment de ceux qui créent vraiment des richesses et qui participent au renforcement de l’économie réelle. Nous avons toutes les raisons d’être inquiets quant à la suite.

Au cours de ces dernières décennies, disons depuis les années 1980, une bonne part des richesses de l’économie réelle passe aux grandes entreprises et aux fonds divers (fonds d’investissement et fonds de capital-risque) qui ont un accès direct à cette masse monétaire. Mais plutôt que d’injecter cette monnaie dans l’appareil de production en vue d’améliorer la productivité, ces nouveaux propriétaires saccagent les entreprises tombées dans leur escarcelle (grâce à cette manne monétaire) en leur faisant racheter leurs propres actions afin de servir de juteux dividendes à leurs actionnaires, à commencer par eux-mêmes. Ces « nouveaux riches », je les appellerai ainsi, ont une vision à court terme qui les mènera à une faillite relative mais, surtout, qui jettera dans la précarité les employés dont l’entreprise se sera endettée de manière irraisonnée. La vraie richesse aura été dilapidée et les inégalités de revenus et de patrimoines se seront accentuées.

Créer de la monnaie (et peu importe sa forme) ne revient pas à créer de la richesse surtout quand la monnaie vient de nulle part… La monnaie est un outil, rien de plus, ce qui est déjà considérable. Elle n’est pas la richesse, elle permet l’échange, une fluidité magnifique et vitale aussi longtemps que… Car, à présent, la monnaie n’est plus au service de la richesse, la richesse qui ne concerne pas que « les riches ». La monnaie pourrait même se faire bien malgré elle l’instrument de destruction de la richesse, de la vraie richesse.

Olivier Ypsilantis

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