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Petit recueil de rêves, de rêveries et de souvenirs au féminin – 9/12

 

En Header, Prague vue par Josef Sudek

 

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Les caresses douces-furieuses du large. Des mèches s’échappent de la capuche de son ciré et battent follement. Le cri des mouettes ; seraient les seules à savoir ? La lande rêche, les ronces sur nos cirés, sa blondeur blondie par les embruns. Ondées. Murets en pierres sèches et l’horizon que dentellent les pins maritimes.

Je me souviens… Femme-aimée, femme-estuaire, femme-Elbe… Sur le quai de la gare, elle m’attire à elle après avoir passé une main gantée sur ma nuque. J’enfouis mon visage dans sa chevelure et dérive dans l’espace de son parfum. Ses lainages moelleux.

Je me souviens… Barcelone, nos pas dansés, ailés, avec à nos fronts l’ivresse. Je me souviens de nos poursuites autour de la piscine et dans la piscine, de mes mains à ses poignets, à ses chevilles, de mes bras à sa taille. Sangria et cava, et une souplesse reptilienne tout le long du corps. Quelle couronne ceindre ? Nous valsons-titubons sur des airs de Fleetwood Mac.

Männerbraun stürzt sich auf Frauenbraun. / Frauenhellbraun taumelt an Männerdunkelbraun. (« Le corps bronzé des hommes se jettent sur le corps bronzé des femmes. / Le bronzage clair des femmes chancelle vers les bronzage sombre des hommes », extrait de D-Zug de Gottfried Benn.)

 

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Rêve dans la nuit du 17 au 18 novembre 1985. Une plaine caillouteuse que délimitent des falaises de vertige. Dans leurs parois, des porches gothiques aux éléments érodés, comme la barbe de ces apôtres, des porches qui ont été grossièrement murés par de la brique. Nous finissons toutefois par trouver un porche non muré et nous nous réfugions dans la fraîcheur. Nos pupilles durement rétractées se dilatent et boivent la pénombre où elles finissent par lire mille ponctuations dont les ors d’objets cultuels et le damasquinage d’armes abandonnées. Je me souviens alors de ton nom, de la douce et triple alternance de la consonne et de la voyelle.

Retour dans la plaine. Nos corps se revêtent de sueur. A quand l’ombre et l’averse, la fraîcheur des forêts ? Pas un souffle. Des vasques disposées à intervalles réguliers témoignent peut-être d’un parc abandonné.

Tard dans la nuit, les flashs bleutés d’un orage. L’espace enfin souple. Nous exultons. Je m’éprends d’une courbe avant de passer à une autre. Je chancelle à l’orée de ta chevelure. Je déchiffre les réseaux du sang. Je muse. Je musarde.

 

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Rêve dans la nuit du 25 au 26 novembre 1985. Elle loue un T1 bis refait à neuf, un rez-de-chaussée sur cour. Elle a un visage de squaw et je lui en fais la remarque, un compliment. Alors que je prends le soleil dans la cour, elle réapparaît, nue jusqu’à la taille, pantalon et mocassins en daim ; un bandeau aux vifs coloris lui ceint la tête. La pointe de ses nattes touche la pointe de ses seins, petits et fermes.

Une idylle se noue. Très jalouse, elle déterre la hache de guerre sans tarder. Je lui tends le calumet de la paix qu’elle accepte spontanément. Cette Parisienne a une grand-mère maternelle comanche dans l’Oklahoma.

Ce rêve tient en partie à ce que la veille j’avais parlé avec une amie qui de fait ressemblait à une squaw (je lui en avais fait la remarque, comme dans le rêve). Mais sa grand-mère maternelle était une Indigène du Mexique, une Zapotèque.

 

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Rêve dans la nuit du 28 au 29 novembre 1985. Promenade praguoise. Le front tumultueux d’un atlante, les exhortations muettes d’une caryatide. Dans les moulures du plafond s’épanouissent des corolles d’humidité. Humus et salpêtre, les fastes d’une décomposition.

L’écume des draps dans un éclairage lunaire. Frôlements et chuchotements. Nos corps remous, noyés et secourus.

Touffeur de la mémoire. Demi-sommeil : une femme translucide, ses caresses gélatineuses, du boogie-woogie, des poursuites caparaçonnées de boue dans les muqueuses d’une forêt. Je me perds et finis par me terrer derrière des monticules de pierres tombales altérées – le vieux cimetière juif, le Starý židovský hřbitov ?

 

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Est-ce un rêve ? Dans une ruelle de Gaza, l’enseigne d’un salon de coiffure grince dans le vent, une enseigne rouillée en quatre langues : hébreu, arabe, anglais, français. Je lis DALIDA – Coiffure hommes. Dalida (qui ressemble à un modèle de Lawrence Alma-Tadema) se tient déhanchée sur le seuil du salon, vêtue d’une courte blouse blanche en coton qui découvre de longues jambes brunies. Elle fait des œillades aux hommes qui passent – mais seulement aux hommes aux cheveux longs – tout en jouant de ses ciseaux avec un air assuré, trop assuré. Ces hommes passent vite, tête baissée, comme s’ils redoutaient de rencontrer son regard.

 

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Fragments d’une lettre de l’hiver 1986.

Je plaiderai de vive voix et non par l’écrit dont je redoute les dérives et les arrangements.

Je t’ai écrit de nombreuses lettres depuis notre dernière rencontre. Il y quelques jours, le feu les a réduites en cendres : elles projetaient trop d’ombres.

Je revois le grand appartement silencieux, sur les hauteurs de Meudon-Bellevue avec en contrebas la courbe de la Seine. Tes gestes toujours fluides.

Lors de notre dernière rencontre, place des Vosges, tu portais un imperméable ample et léger qui convenait à cette période printanière, à ces jours tièdes où alternaient les ondées et les éclaircies.

 (à suivre)

Olivier Ypsilantis

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