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Petit recueil de rêves, de rêveries et de souvenirs au féminin – 5/12

En Header, Anouk Aimée

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Rêve dans la nuit du 4 au 5 février 1984. Une salle immense remplie d’actrices venues du monde entier. On me demande de choisir celle qui sera ma dame. Je ne sais que faire et la situation me semble inconvenante. Je ferme donc les yeux et me laisse guider par le souvenir, le souvenir qui me guide vers une séquence du « Général de l’armée morte », un film de Luciano Tovoli d’après le premier roman d’Ismaël Kadaré. Je suis guidé par l’entrevue Anouk Aimée / Marcello Mastroianni, entrevue au cours de laquelle elle lui demande de retrouver en Albanie les restes de son mari et de les rapatrier en Italie. Anouk Aimée, ses merveilleuses expressions théâtrales, cette sensualité de haut rang. Donc, dans ce rêve, Anouk Aimée est devenue ma dame.

 

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Je la revois dans un café de Valencia, si mince dans sa robe claire à large décolleté arrondi, les coudes sur le comptoir, les poignets lâches, les mains pensives. Musique. Elle rejette sa chevelure et ses doigts se mettent à courir sur un clavier qui n’est que le comptoir d’un bar. Des rythmes prennent ses doigts, ses bras, ses épaules, tout son corps enfin. Sa chevelure balaye le comptoir.

Nous allons vers Sagunto. Coucher de soleil carte postale. Des ocres assoiffés et son profil en ombre chinoise avec, simplement, une touche de lumière humide dans l’œil.

Nous allons vers Sagunto. Ton profil dans les ocres, dans la moiteur d’une fin de journée d’été. Je conduis sur des airs d’Al Stewart : « Broadway Hotel », « Year of the Cat », « On the Border ». La nostalgie déjà et bientôt le retour. Un collier d’ambre sur ton cou bruni. Ta tête tangue.

Nous allons vers Sagunto. Tes baisers seront liquoreux.

 

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Bibliothèque des Beaux-Arts. Une étudiante au cou remarquable, long comme celui de cette célèbre Vierge du Parmesan ou, si vous préférez, comme celui de Nastassja Kinski.

Un bas-relief en stuc : des Amours au sexe minuscule encadrent l’or des mots PEINTURE – ARCHITECTURE – SCULPTURE. Chuchotements, pas et gestes feutrés autour de précieux documents. Je suis pris par la rêverie : sur ces portes qui proviennent du château d’Anet sont posées, j’en suis certain, les mains de Diane de Poitiers.

La belle étudiante au long cou compulse des traités d’architecture et prend des notes. Ses mains longues et blanches sur des pages jaunies voire rousses. Je l’observe à la dérobée tout en suivant d’un doigt les veines du bois dans lesquelles je finis par me perdre. Je ferme les yeux et de fines et froides créatures de Parmigianino et de Bronzino m’apparaissent. Puis me viennent – pourquoi ? – des séquences de « Au fil du temps » (Im Lauf der Zeit) de Wim Wenders ; et je m’identifie petit à petit à Robert Lander (Hanns Zischler).

Rêve dans la nuit suivante. Je suis blessé (rien de bien grave) et la belle étudiante me soigne. Elle est habillée comme Madonna dal collo lungo.

 

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École des Beaux-Arts. Discussion avec une amie norvégienne. Elle me dit ne pas comprendre la prééminence accordée au corps et au visage en art. Elle n’aime pas le portrait, « un genre détestable » me dit-elle. Elle m’aurait gagné à sa cause si la silhouette d’une passante ne m’avait rappelé à l’ordre, si je puis dire.

 

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Atelier de gravure. Une étudiante hongroise me rejoint dans la salle des acides où je peine sur une eau-forte. « Crois-tu en Dieu ? » me lance-t-elle tout de go. Je n’ose affronter son regard probablement prêt à voler à mon secours. J’hésite, je me perds dans une syntaxe alambiquée avant de me saisir d’une affirmation par laquelle j’espère reprendre quelque force : « Dieu est mon doute ».

 

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Elle avait des yeux d’océan la poissonnière.

 

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Début (ou fin) d’un poème : Dans le train / Je l’étreins.

 

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Regent’s Park, une clocharde. Dans ses yeux, des orages de veinules. Une tempête de jurons et d’injures avec prédominance des mots « wanker », « prick head » et « fuck off ». Elle m’apostrophe ; je la gratifie d’un respectueux « My Lady ».

 

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Rêve dans la nuit du 12 au 13 février 1984. En dériveur. Les voiles se couvrent de signes incompréhensibles, des signes que semble apporter le vent. Notre sillage aigue-marine se solidifie sous un ciel lapis-lazuli. Ma coéquipière ne serait-elle pas cette jeune grecque entrevue à Athènes ? Elle me parle d’une peinture de Martial Raysse, « Peinture à haute tension », tandis qu’elle est au rappel. Sous la surface de l’eau, une photocopieuse multiplie sa silhouette à perte de vue et les tirages finissent par couvrir la surface de l’océan. Ses lèvres sont délimitées par un néon rouge, ce que je n’avais pas remarqué.

 

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Pluie printanière sur Clamart. Des rues bordées de marronniers. La tranchée de la ligne Paris-Montparnasse. Un train Corail glisse vers la Bretagne, vers l’océan Atlantique. Parviendra-t-il à la Grande Barrière d’Australie, ses lagons et ses atolls ? J’aimerais inviter la brune citadine à boire l’ambroisie. Je glisserais alors dans l’atoll opale de ses prunelles.

 

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Des éléments d’un rêve – ou de rêves – dans la nuit du 8 au 9 mars 1984 : Un S.T.O.L. (Short Take-Off and Landing) / Ce n’est pas une grosse éponge qui cache la nudité d’Arletty dans « Le jour se lève » mais (?) / Une veine contourne une malléole / Un starting gate et un code-barres / L’empreinte de ses pieds sur le sable humide / Un décapsuleur rouillé / On me demande d’intercéder en sa faveur – mais de qui ? / Faut-il que mes réponses restent ambiguës pour que je sauve ma tête ? / Comme un air de Couperin, avec clavecin / On s’exprime en verlan.

 

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Début (ou fin) d’un poème : Le corps / De Laure.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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