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Panorama de la Grèce occupée – 2/2

 

Les efforts soutenus des Britanniques pour coordonner les activités de la résistance grecque vont être contrariés par la politique officielle misant sur le retour du roi après la libération du pays, une politique qui ne suscite guère d’enthousiasme dans la Grèce occupée. Winston Churchill se montre très attaché à la cause royale. Il juge que Georges II est un allié particulièrement fiable, suite à l’hiver 1940/1941, lorsque la Grèce était le seul allié actif en Europe. Mais dès le début, des frictions étaient perceptibles entre les organisations majoritairement communistes et non-communistes. Certes, le cas de la résistance grecque ne constitue en rien, de ce point de vue, une exception ; car si la lutte contre un ennemi commun crée l’union, les vues pour l’après divergent. L’E.A.M. bénéficie d’un authentique soutien populaire, on le comprend, mais n’hésite pas à pratiquer la terreur envers ses opposants afin d’attirer à lui toutes les forces de la résistance. Sa force est reconnue par l’accord de juillet 1943, avec la création d’un quartier-général où les élus de l’E.A.M./E.L.A.S. sont beaucoup plus nombreux que les résistants non-communistes et que les membres de la mission militaire britannique.

 

Georges II, roi de Hellènes de 1922 à 1924 puis de 1935 à 1947

 

Les tentatives (plutôt timides) de coopération entre les différents groupes de la Résistance et leurs alliés britanniques se trouvent compromises par l’échec d’une délégation de la Résistance au Caire, en août 1943. De fait, la Résistance grecque est éclatée, chacun poursuit sa voie ; c’est un dialogue de sourds, pourrait-on dire. La délégation a deux exigences : 1. Détenir un certain nombre de ministères clés (dont l’Intérieur et la Justice) dans le gouvernement en exil et dans les vastes zones sous son contrôle ; 2. Que le roi ne revienne pas en Grèce, à moins qu’un plébiscite ne le réclame. Ces deux exigences sont repoussées et la délégation s’en retourne dans ses montagnes, convaincue que les Britanniques manigancent le retour de la monarchie sans se préoccuper de la volonté du peuple grec.

Cet échec attise les tensions au sein de la Résistance grecque. En octobre 1943, l’E.L.A.S. attaque l’E.D.E.S., accusant ce dernier de collaborer avec l’Occupant. En Grèce, comme en Yougoslavie et en Albanie, les communistes cherchent à préparer leur suprématie après le départ de l’Occupant. Au cours de l’hiver 1943/1944, les Britanniques vont soutenir l’E.D.E.S. et cesser tout appui à l’E.L.A.S., ce qui a un effet limité, l’E.L.A.S. parvenant à s’accaparer l’armement des Italiens suite à l’armistice de septembre 1943. Cette guerre au sein de la Résistance grecque arrange les Allemands. Ils organisent des Security Battalions supervisés par un gouvernement plus effrayé par le communisme que par le nazisme. En février 1944, une trêve est conclue entre les différentes tendances de la Résistance. L’E.D.E.S. est confiné dans ses bases d’Épire.

L’E.A.M. ne tourne pas le dos à sa volonté hégémonique. Peu après cette rencontre, il annonce la création d’un Political Committee of National Liberation capable d’exercer des fonctions gouvernementales dans les zones de Grèce sous son contrôle, des zones montagneuses. Les prétentions de ce Political Commettee of National Liberation constituent une provocation pour le gouvernement grec en exil qui par ailleurs doit affronter des mutineries de sympathisants de l’E.A.M. au sein des forces armées grecques stationnées en Égypte. Ces sympathisants exigent la création d’un gouvernement d’union nationale à partir du Political Commettee of National Liberation. La rébellion est étouffée par les forces britanniques mais elle inquiète grandement Winston Churchill quant à la mainmise des communistes sur la Grèce de l’après-guerre, une inquiétude qu’aiguisent l’assassinat du colonel Dimitrios Psarros (fondateur de Libération nationale et sociale, E.K.K.A., Εθνική και Κοινωνική Απελευθέρωσις) par des membres de l’E.L.A.S. et l’imminence d’une invasion des armées soviétiques dans les Balkans. Ces inquiétudes vont pousser Winston Churchill à trouver un compromis avec Staline pour l’après-guerre : la Roumanie contre la Grèce, un deal négocié en mai 1944 à Moscou, en dépit de réticences américaines, et dont les conclusions resteront inconnues des protagonistes du drame grec. Une fois encore, la vie politique grecque se trouve déterminée par des forces extérieures.

 

 

L’une des conséquences directes des mutineries d’unités grecques au sein des forces britanniques est la nomination de Georgios Papandreou (tout juste évadé de Grèce) au poste de Premier ministre du gouvernement en exil. Pour les Britanniques, il a le grand avantage d’avoir un passé vénizéliste et d’être très anti-communiste. Ainsi, Georgios Papandreou va-t-il sous l’égide des Britanniques œuvrer à la structuration d’un gouvernement d’unité nationale lors d’une rencontre au Liban à laquelle assistent toutes les tendances politiques de la Résistance grecque. Les communistes sont fortement sous-représentés par rapport à leur force politique et militaire, et leurs délégués sont sur la défensive suite aux mutineries. L’E.A.M. est contraint d’accepter cinq ministères insignifiants dans ce nouveau gouvernement. Mais de retour dans leurs montagnes de Grèce, les leaders communistes de l’E.A.M. renient leurs concessions. Ils exigent des ministères clés et la destitution de Giorgios Papandreou. La situation est au point mort jusqu’à ce que, brusquement, ces leaders, en août 1944, déclarent accepter l’essentiel de ce qui a été proposé au Liban. Ce revirement fait suite à la visite d’une délégation soviétique en Grèce, auprès de l’E.A.M. Faut-il y voir une simple coïncidence ? Dans tous les cas, en acceptant une position subalterne dans le gouvernement Papandreou, en acceptant de placer leurs forces sous commandement britannique, aux côtés des forces bien moins importantes de l’E.D.E.S., les leaders communistes de l’E.A.M. laissent passer leur meilleure opportunité de s’emparer du pouvoir dans le chaos de la retraite allemande d’octobre 1944.

Le gouvernement Papandreou est de retour dans Athènes libéré le 18 octobre 1944. Il est accompagné d’une force britannique par peur d’un coup de force communiste. Avec l’entrée de communistes dans son gouvernement, Giorgios Papandreou peut le présenter comme un authentique gouvernement d’unité nationale. Mais la situation est terriblement tendue, avec cette ambiance de guerre civile au sein de la Résistance, dans un pays en ruines, au bord de la famine, avec une inflation vertigineuse.

Passée l’euphorie de la Libération, les problèmes à affronter s’avèrent multiples et urgents. Le châtiment des collaborateurs n’est pas une priorité du gouvernement Papandreou et ses mentors britanniques. Un problème larvé domine la vie du pays : la démobilisation de la guérilla et son remplacement par une armée régulière. Bien que l’E.L.A.S. (la plus importante composante de la Résistance avec ses soixante mille femmes et hommes) soit placé sous commandement britannique, le gouvernement Papandreou le considère comme une menace. La démobilisation est refusée par la guérilla qui juge, et à raison, que Giorgios Papandreou revient sur sa parole. Dans une ambiance particulièrement tendue, les représentants de l’E.A.M. quittent le cabinet début décembre 1944. Trois jours plus tard, le 3 décembre, l’E.A.M. organise une importante manifestation dans le centre d’Athènes, prélude à une grève générale. La police tire sur les manifestants, place Syntagma, faisant une quinzaine de morts. Des unités de l’E.L.A.S. répliquent et attaquent les postes de police. Dans les jours qui suivent, l’E.L.A.S. et des unités britanniques s’affrontent dans Athènes. L’E.L.A.S. qui dispose de forces considérables hors de la capitale ne semble pas vouloir mettre à profit ce désordre pour s’emparer du pouvoir ni même déstabiliser le gouvernement Papandreou. Inquiet, Winston Churchill se rend à Athènes, le jour de Noël, accompagné de son secrétaire aux Affaires étrangères Anthony Eden. Il comprend enfin qu’il lui faut établir une régence en attendant d’organiser un plébiscite. Il persuade le roi Georges II (il n’est pas encore revenu en Grèce) de s’effacer au profit de l’archevêque Damaskinos d’Athènes. Giorgios Papandreou est remplacé par un vieux vénizéliste, le général Nikolaos Plastiras. Les troupes britanniques reprennent peu à peu le contrôle d’Athènes après avoir reçu des renforts d’Italie. Un cessez-le-feu est établi à la mi-janvier 1945, suivi à la mi-février par l’accord de Varkiza destiné à trouver une solution politique à l’insurrection.

 

Soldats britanniques à Athènes en 1944

 

L’E.L.A.S. accepte de se faire désarmer, avec promesse d’amnistie et d’un plébiscite sur la question de la monarchie suivi d’élections. Mais les passions allumées par les combats de décembre s’avèrent difficiles à calmer. Des membres de l’extrême-droite enragés par le meurtre d’otages (ordonné par l’E.L.A.S.) et la terreur exercée par des communistes contre leurs opposants politiques durant l’Occupation sont bien décidés à se venger. Des gouvernements faibles se succèdent ; ils ne parviennent pas à enrayer cette polarisation. Vers la fin 1945, et sous la pression des Britanniques, un gouvernement apparemment plus stable est mis en place avec Themostoklis Sophoulis, chef du Parti libéral et héritier politique de Vénizelos. Il annonce que des élections, les premières depuis 1936, se tiendront le 31 mars 1946, suivies d’un plébiscite, une proposition inverse de celle de l’accord de Varkiza – qui prévoyait plébiscite puis élections. Les communistes décident une fois encore de s’abstenir ; s’abstiennent également des membres du cabinet Sophoulis. Mais Themostoklis Sophoulis est pressé par les Britanniques épuisés par la guerre et désireux de se désengager de cette filandreuse et coûteuse affaire grecque. Les élections se tiennent, supervisées par des observateurs étrangers. L’abstention de la gauche, le désarroi du centre et le désordre continu, particulièrement dans les zones rurales, donnent une large victoire (55 % du vote populaire) à une coalition de droite dominée par le Parti du Peuple (Λαϊκὸν Κόμμα) dirigé par Dino Tsaldaris. Suit le plébiscite, en septembre 1946. Tout comme les élections de mars 1946, ces élections se font sur des bases douteuses, à commencer par des registres électoraux périmés. Résultat (douteux) : 68 % de votes en faveur du retour du roi, un résultat qui confirme toutefois la préférence donnée par de nombreux républicains de la vieille école à la monarchie plutôt qu’au communisme. Les républicains modérés vont ainsi se trouver brutalement pris entre les extrêmes, de droite et de gauche.

Ces élections de mars 1946 sont la dernière chance (a critical turning-point) pour sortir le pays du chaos et éviter une guerre civile, d’autant plus qu’un gouvernement de droite exacerbe les tensions. Avant même ces élections, la répression avait fait reprendre de chemin des montagnes à de nombreux anciens membres de l’E.L.A.S.

Le pays glisse vers la guerre civile. Le gouvernement Tsaldaris déclare en août 1946 que la guérilla communiste est approvisionnée par la Yougoslavie et l’Albanie. En octobre, les communistes annoncent la création de l’Armée démocratique sous le commandement de Markos (Vafiadis), un ancien dirigeant de l’E.L.A.S. Alors que la situation se dégrade rapidement, les Britanniques passent la main aux États-Unis. En mars 1947, le président Harry S. Truman demande au Congrès de garantir d’urgence une aide substantielle à la Grèce dans le cadre de la Truman Doctrine – soit aider les « free peoples » menacés par une subversion interne. Avant que les effets de cette aide ne se fassent sentir, l’Armée démocratique qui multiplie ses actions de guérilla marque des points contre l’armée régulière. Toutefois Markos ne parvient pas à sécuriser la ville de Konitsa, près de la frontière avec l’Albanie, et à en faire la capitale du Gouvernement Démocratique Provisoire dont la formation avait été annoncée fin 1947. L’Armée démocratique bénéficie d’un substantiel soutien de la part de la Yougoslavie, de l’Albanie et de la Bulgarie, mais rien à voir avec celui fourni par les États-Unis à ceux qui la combattent. Ainsi la tendance va-t-elle peu à peu s’infléchir et en grande partie grâce à une totale maîtrise des airs. L’Armée démocratique perd un avantage crucial lorsque Nikos Zachariadis prend la place de Markos, Nikos Zachariadis qui insiste pour que l’Armée démocratique abandonne la guérilla et agisse comme une armée régulière.

 

Nikos Zachariadis (1903-1973)

 

L’Armée démocratique a de plus en plus recours à la conscription forcée d’hommes et de femmes tandis que les enfants qui vivent dans les zones sous son contrôle sont envoyés dans les pays du bloc socialiste. En 1949, 40 % des membres de l’Armée démocratique sont des Slaves de Macédoine, ce qui conduit le Parti communiste, une fois encore, à militer pour l’auto-détermination des Macédoniens.

La situation extérieure tourne elle aussi au désavantage des communistes grecs. Plus attachés que jamais à l’U.R.S.S., ils se rangent aux côtés de cette dernière quand la Yougoslavie est expulsée du Kominform en 1948. En conséquence, la Yougoslavie suspend son aide à l’Armée démocratique et ferme sa frontière à la guérilla en 1949. Bien que souhaitant la victoire de l’Armée démocratique, Staline avait fait savoir qu’il ne risquerait pas une confrontation avec les États-Unis. L’U.R.S.S. n’était pas encore une puissance nucléaire.

Mais le facteur décisif qui explique la défaite de l’Armée démocratique est l’aide américaine, une aide considérable en équipement et en entraînement. L’armée régulière devient une force de plus en plus efficace dont le moral est boosté par l’arrivée du général Alexandros Papagos début janvier 1949, de celui qui avait été commandant en chef des forces grecques au cours de la campagne d’Albanie. Fin été 1949, l’Armée démocratique est défaite dans des batailles rangées, à Grammos et Vitsi, forçant ce qu’il en reste à franchir la frontière albanaise.

Ci-joint, un document en deux parties sur la bataille de Grammos-Vitsi :

https://www.youtube.com/watch?v=fRDRgDN1i3M

https://www.youtube.com/watch?v=aOUElNGza2c

Ci-joint, un excellent article, l’un des meilleurs en langue française que j’ai pu trouver sur le net. Concis, rigoureux, j’en conseille la lecture. Il est certes fortement orienté à gauche et demande à être complété. Il n’empêche que tout ce qu’il rapporte (même s’il ne rapporte pas tout, j’insiste) est juste et offre une solide base d’étude et de discussion. Il s’intitule « La guerre civile en Grèce, laboratoire de la Guerre Froide » :

http://tlaxcala-int.org/article.asp?reference=20405

Olivier Ypsilantis

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