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Panorama de la Grèce occupée –1/2

 

Cet article prend appui sur l’excellent livre à caractère synthétique, « A Concise History of Greece » de Richard Clogg (né en 1939), l’un des meilleurs connaisseurs de l’histoire de la Grèce moderne et contemporaine. Parmi ses ouvrages, citons : « Parties and Elections in Greece. The Search for Legitimacy », « Anatolica. Studies in the Greek East in the 18th and 19th Centuries », « Minorities in Greece. Aspects of a Plural Society ».

« A concise History of Greece » témoigne comme chez la plupart des historiens britanniques d’un souci d’objectivité. Ainsi que le signale Alexis Politis : « Les Anglais bénéficient d’une solide tradition en matière de précis historiques si l’on songe que les Français – tout comme les Grecs – ne peuvent se fonder que sur le numéro 578 de la collection « Que sais-je ? », l’opuscule classique de Nicolas Svoronos qui, bien qu’écrit en 1953, n’en demeure pas moins l’exposé succinct le plus sérieux – ne serait-ce que sur le plan méthodologique – de l’histoire grecque dont nous disposons ». Dans cette synthèse que présente Richard Clogg, des axes de recherche sont proposés et en nombre.  

 

L’arrivée au pouvoir de Ioannis Metaxas (originaire d’une grande famille de Céphalonie), le 4 août 1936 (son régime sera surnommé le « régime du 4-Août » -Καθεστώς της 4ης Αυγούστου), s’inscrit dans ce contexte global qui, dans les années 1930, voit l’émergence de dictatures royales dans les Balkans face à des régimes parlementaires dépassés par les conséquences de la crise de 1929. La dictature de Metaxas bien que qualifiée de fasciste diffère pourtant par son manque de dynamisme du nazisme allemand et du fascisme italien. Il s’agit plutôt d’un régime autoritaire, traditionaliste et paternaliste, avec un vernis qui lui donne une apparence fasciste quant à la rhétorique et au style. De ce point de vue, il se rapproche de l’État corporatiste de Salazar. Curieusement, Metaxas (qui n’est pas un béotien, a philistin dirait l’anglais) encourage l’emploi du démotique (δημοτικά). C’est sous son impulsion qu’est publiée la première grammaire démotique digne de ce nom ; et il le fait pour une raison très particulière : il pense qu’en établissant de strictes règles grammaticales, on parviendra à dompter l’individualisme effréné des Grecs. Bref, il espère discipliner un peuple farouchement indiscipliné.

 

Ioannis Metaxas (1871-1941)

 

Ce régime à la rhétorique ivre d’elle-même (semblable de ce point de vue à celle de Hitler ou de Mussolini) se met à prêcher l’avènement de la « Troisième Civilisation Hellénique ». Les valeurs païennes de la Grèce antique (avec Sparte en figure de proue) se mêlent aux valeurs chrétiennes de l’Empire byzantin. Son populisme et sa rhétorique anti-ploutocratique ne manquent pas de sincérité mais ne sont que rarement mis en pratique. Mais, surtout, il manque singulièrement d’appui populaire. Toutefois, Ioannis Metaxas est secondé par un ministre de l’Intérieur d’une redoutable efficacité en la personne de Konstantinos Maniadakis. Ainsi ce dernier parvient-il à infiltrer les communistes et à semer la discorde chez eux. Le régime n’élimine pas physiquement ses opposants ; il met sur pied un tel réseau policier que ces derniers sont neutralisés, paralysés par la peur d’être débusqués – autre similitude avec le régime de Salazar qui avec un minimum de victimes sût durablement décourager toute opposition active.

Ioannis Metaxas a établi un régime qui mime le fascisme sans être vraiment fasciste. Mais ni lui ni le roi ne cherchent à remettre en question la traditionnelle orientation pro-britannique de leur pays, et malgré la pénétration économique toujours plus affirmée de l’Allemagne dans les Balkans au cours de la deuxième moitié des années 1930. Ainsi, en 1938, Metaxas propose un traité d’alliance formel avec le Royaume-Uni auquel ce dernier ne donnera pas suite par peur des conséquences. Néanmoins, le Royaume-Uni et la France, en avril 1939, et alors que les Italiens commencent à occuper l’Italie, s’offrent garants de l’intégralité territoriale de la Grèce (et de la Roumanie), considérant l’âpre résistance grecque.

Alors que débutent les hostilités, en septembre 1939, Ioannis Metaxas espère maintenir son pays hors du conflit. Mais désireux de briller auprès de Hitler, Mussolini choisit de s’offrir une proie qu’il juge facile. Le 15 août 1940, un sous-marin italien torpille le croiseur grec Elli près de l’île de Tinos. Il y a des morts et des blessés. Des fragments de torpilles sont identifiés comme d’origine italienne mais désireux d’éviter toute confrontation avec l’Italie, alors que la Deuxième Guerre mondiale est bien engagée, le gouvernement grec déclare que l’attaquant n’est pas connu. La guerre entre l’Italie et la Grèce n’en éclatera pas moins, deux mois plus tard. Le 28 octobre 1940, un ultimatum humiliant est envoyé à Ioannis Metaxas par le ministre des Affaires étrangères de Mussolini. Il le rejette. Quelques heures plus tard, des forces italiennes franchissent la frontière gréco-albanaise. Les Grecs qui n’apprécient pas ce régime font néanmoins bloc et contre-attaquent sans tarder. En quelques jours, ils repoussent l’envahisseur au-delà de la frontière, en territoire albanais, car il ne s’agit pas seulement de défendre la patrie mais aussi de « libérer » une partie de l’Albanie majoritairement peuplée de Grecs. Pour les Grecs, l’Albanie du Sud est l’Épire du Nord.

 

L’attaque italienne et la contre-offensive grecque au cours de la guerre gréco-italienne de 1940-1941

 

Au cours de cette phase des opérations, le Royaume-Uni qui n’a aucun allié actif dans la région, hormis la Grèce, procure à cette dernière un appui aérien mais limité. Dans la crainte de provoquer Hitler, Metaxas refuse même une proposition d’envoi de troupes de la part de Churchill ; et il espère que Hitler se posera en médiateur entre la Grèce et l’Italie.

Metaxas meurt fin janvier 1941. Son successeur Alexandros Koryzis n’a pas ses scrupules. Une force expéditionnaire britannique est envoyée en Grèce ; elle est majoritairement composée d’Australiens et de Néo-Zélandais. Mais une mauvaise coordination entre les autorités grecques et britanniques retarde la concentration de troupes le long de la ligne de front, soit la rivière Aliakmon, en Macédoine de l’Ouest, la meilleure position pour espérer contenir une très probable invasion allemande.

L’attaque allemande est lancée le 6 avril 1941, avec une terrible efficacité en Yougoslavie et en Bulgarie. Hitler est anxieux de sécuriser son flanc dans les Balkans avant l’invasion de l’U.R.S.S. – qui débutera le 22 juin 1941. Les forces grecques et britanniques sont vite submergées. Le Premier ministre Alexandros Koryzsi se suicide ; et afin de ne pas démoraliser la population, on déclare qu’il a succombé à un infarctus. Lui succède Emmanouil Tsouderos – il dirigera le gouvernement grec en exil depuis Londres puis au Caire. Emmanouil Tsouderos est connu pour son opposition à Metaxas et son régime.

Trois jours avant l’arrivée des Allemands à Athènes, le 23 avril, le général Georgos Tsolakoglou, sans même l’autorisation de son gouvernement, négocie l’armistice avec les Allemands. Le gros du corps expéditionnaire britannique parvient toutefois à être évacué. Le roi Georges II, son gouvernement et des forces grecques se réfugient en Crète. Ils se joignent aux forces britanniques, nombreuses mais mal équipées, chargées de la défense de l’île. La Crète est alors envisagée comme une base d’où lancer des attaques aériennes contre les champs de pétrole roumains, vitaux pour l’Allemagne. On connaît la suite. J’ai présenté sur ce blog ce qu’a été la bataille de Crète :

https://zakhor-online.com/?p=11667

Suite à l’invasion de la Crète, le roi Georges II et son gouvernement partent pour le Moyen-Orient avec les troupes qui n’ont pas été faites prisonnières.

En Grèce, un gouvernement collaborateur se met en place ; il est dans un premier temps conduit par le général Giorgos Tsolakoglou. Début juin 1941, toute la Grèce est occupée, partagée entre l’Allemagne, l’Italie et la Bulgarie.  Ci-joint la carte de la Grèce occupée, avec ses trois zones :

https://en.wikipedia.org/wiki/Axis_occupation_of_Greece#/media/File:Triple_Occupation_of_Greece.png

L’économie grecque, à commencer par son agriculture, est pillée au profit des occupants, la Grèce qui par ailleurs doit assumer les coûts engendrés par l’Occupation. La famine de l’hiver 1941/1942 est la conséquence directe de cette politique, avec ses cent mille morts. Mais l’esprit de résistance du peuple grec se manifeste très tôt. Ainsi, le 31 mai 1941, le drapeau à svastika qui flotte sur l’Acropole d’Athènes est abaissé et déchiré. Les actes de résistance isolés se multiplient avant de s’organiser sous l’impulsion du Parti communiste, juste après l’invasion de l’U.R.S.S., en juin 1941. En septembre de la même année, les communistes mettent sur pied le Front de libération nationale (E.A.M., soit Εθνικό Απελευθερωτικό Μέτωπο) avec deux objectifs précis : l’organisation de la résistance et un libre choix quant à la forme de gouvernement suite à l’éventuelle libération du pays. La plupart des leaders des partis politiques traditionnels ignorent les appels des communistes à coopérer contre l’Occupant. Quelques socialistes et membres du Parti agraire rejoignent pourtant l’establishment de l’E.A.M., aile politique d’un mouvement de résistance populaire. L’Armée populaire de libération nationale grecque (E.L.A.S., soit Ελληνικός Εθνικός Λαϊκός Απελευθερωτικός Στρατός) est l’organisation armée de l’E.A.M. L’E.L.A.S. épaule d’autres organisations comme Solidarité nationale (E.A., soit Εθνική Αλληλεγγύη) ou l’E.P.O.N. (l’organisation de jeunesse de l’E.A.M.).

 

Sur l’Acropole d’Athènes, avril 1941.

 

Le Parti communiste, marginal au cours de l’entre-deux-guerres, va monter en puissance avec l’Occupation. De fait, et contrairement aux partis bourgeois, il est devenu un habitué de la clandestinité, notamment sous le régime du général Ioannis Metaxas. L’engagement, la discipline et un sens consommé de la propagande vont faire apparaître comme bien désuètes les querelles politiciennes face à la dureté de l’Occupation. L’E.A.M. et son appel à un monde renouvelé et meilleur séduit la jeunesse, garçons mais aussi filles, avec cet appel à l’émancipation. La société grecque, surtout rurale, est encore très patriarcale. Malgré l’emprise du Parti communiste sur l’E.A.M. et l’E.L.A.S., la grande majorité de ses membres ne sont pas communistes. Par ailleurs, un certain nombre d’organisations de résistance non-communistes se structurent, dont la plus importante, la Ligue nationale démocratique grecque (E.D.E.S., soit l’Εθνικός Δημοκρατικός Ελληνικός Σύνδεσμος), dans le nord-ouest de la Grèce. Outre leur volonté de résister à l’Occupant, ces organisations ont en commun une violente antipathie pour le roi Georges II. Ce dernier et le gouvernement en exil (à Londres puis à partir de mars 1943 au Caire) ont peu de contact avec la Grèce occupée.

Des bandes armées tant communistes que non-communistes prennent le maquis au cours de l’été 1942. Action d’éclat, en novembre 1942, le viaduc de Gorgopotamos par lequel passe le chemin de fer Salonique-Athènes est détruit. C’est l’une des actions de sabotage parmi les plus importantes menées à bien dans l’Europe occupée. Son succès est dû à la coopération du British Special Operations Executive et de membres de l’E.L.A.S. et de l’E.D.E.S.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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