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Notes libres. En lisant Karl Popper – 2/2

 

L’une des thèses de Karl Popper est que le système copernicien ne devient scientifique – jusqu’alors il n’avait été qu’une interprétation – que lorsqu’il multiplie les possibilités d’être réfuté, notamment avec Galilée. Idée fondamentale chez Kepler : le monde est harmonieux et ses mouvements répondent à des figures géométriques simples. Sa réfutation de la théorie à l’origine des orbites circulaires (voir Galilée) ne contredit pas sa vision harmonieuse, elle ne fait qu’ajouter une légère complication au sein d’une universelle harmonie.

Newton juge qu’il ne fait que généraliser intuitivement la théorie de Kepler et Max Born tente de démontrer que la théorie de Newton découle de celle de Kepler, ce qui est faux dans les deux cas : la théorie de Newton fait intervenir une idée radicalement nouvelle, soit la force d’attraction, une idée qui ne peut en aucun cas procéder des lois de Kepler. Peu de théories ont si bien résisté à la réfutation et, d’un certain point de vue, il n’est pas exagéré de dire que la découverte de la gravité est la plus importante de toute l’histoire de l’humanité puisqu’elle rend compte de la structure de l’Univers et de son évolution. Mais qu’une théorie soit vérifiée par l’observation ne signifie pas pour autant qu’elle soit vraie. La théorie de Newton et celle d’Einstein se réfutent, ce qui signifie qu’elles ne peuvent être vraies l’une et l’autre : l’une peut être vraie ou les deux peuvent être fausses.

 

Karl Popper (1902-1994)

 

Chaque découverte technique prouve la fausseté d’une théorie vérifiée, à savoir que ce qu’elle permet n’existe pas, ne peut exister. Prenez le cas du téléphone : avant son apparition, on ne pouvait parler à distance donc il ne pouvait y avoir de téléphone. Les exemples à ce sujet pourraient être multipliés.

Il y a une relation logique entre les théories de Newton et d’Einstein. Plus généralement, chaque théorie représente un élargissement de la théorie qui l’a précédée. Elle la confirme mais la réfute aussi car elles ne peuvent être l’une et l’autre vraies. Aucune théorie ne peut être – ne doit être – tenue pour définitive. Toute théorie est incertaine. Chaque preuve et chaque confirmation contiennent en germe leur réfutabilité. A ses débuts, Einstein a été très fortement influencé par Ernst Mach qui était l’un des rares à critiquer la théorie de Newton, tout au moins certains de ses points. Dans un même temps, Einstein accepta le positivisme d’Ernst Mach, le positivisme qui n’est qu’une ample généralisation de l’idée d’induction, soit l’opération mentale qui consiste à aller de cas particuliers à une proposition plus générale (opposée à déduction), ce qu’expose Ernst Mach dans « Die Analyse der Empfindungen ». Il y signale que pour lui les sensations sont intégrées à l’observation dans sa première phase, une attitude qu’Einstein accepte d’abord pleinement avant de la repousser pour une autre approche, à savoir que la science prend appui sur des intuitions, plus précisément des intuitions mathématiques. Pour Karl Popper, une telle attitude est juste mais non décisive. L’intuition mathématique certes, mais Einstein lui-même et d’autres scientifiques se sont dits influencés par la beauté mathématique de théories et ont appuyé sur elle leurs recherches. James Watson, Francis Crick et Maurice Wilkins ont déclaré avoir découvert la structure de l’ADN à partir d’hypothèses qui envisageaient la beauté maximale, hypothèses qu’ils soumettront à l’analyse.

Comment parvient-on aux bonnes théories ? Il n’y a aucune recette pour y parvenir, aucun code de la route, rien que des expérimentations – un tâtonnement dans toutes les directions – puis une sélection parmi ces expérimentations. La science s’efforce de vérifier des idées et des images que nous avons du monde. C’est pourquoi elle a commencé à prendre appui sur le mythe. Il suffit d’étudier les présocratiques pour s’en convaincre. Leur vision du monde était parfaitement rationnelle (soit orientée vers la recherche de la vérité) mais elle procédait de mythes.

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Karl Popper indique qu’au début du XXe siècle, alors qu’il était étudiant, il a assisté à l’éclosion d’une profusion de “théories nouvelles souvent échevelées”. A ce moment, il s’intéressait simultanément à la relativité d’Einstein, à la psychanalyse freudienne, à la psychologie adlérienne et au marxisme. Parmi les étudiants, ces théories faisaient l’objet d’intenses débats. Karl Popper eut alors le sentiment que les trois dernières doctrines, “en dépit de leur prétention à la scientificité, participaient davantage d’anciens mythes que de la science”.

La théorie d’Einstein lui paraît bien différente. Il est frappé par le fait que, selon Einstein lui-même, sa théorie serait intenable si elle ne parvenait pas à passer certains tests. Il écrit : “Si le décalage vers le rouge des lignes spectrales dû au potentiel de gravitation devait ne pas exister, la théorie générale de la relativité sera insoutenable”. Selon Karl Popper, cette attitude critique qui admet que l’on puisse infirmer sa théorie est caractéristique de la science. La théorie de la relativité a fait l’objet d’une expérience menée par Arthur S. Eddington en 1919. Il a effectué des mesures sur une éventuelle courbure des rayons lumineux prévue par la théorie de la relativité lors d’une éclipse de soleil. Karl Popper : “J’en arrivais de la sorte, vers la fin de 1919, à la conclusion que l’attitude scientifique était l’attitude critique. Elle ne recherchait pas des vérifications, mais des expériences cruciales”.

La seconde intuition de Karl Popper concerne l’induction. Il a eu l’idée qu’une grande partie de la connaissance ne se faisait pas par induction mais par déduction. Dans cette perspective, il a repris la critique de David Hume qui avait montré que parfois l’induction est fausse et que, dans tous les cas, elle est invérifiable de manière universelle – car il faudrait connaître tous les faits jusqu’à la fin des temps. Mais Karl Popper a élargi le problème et il a appliqué le raisonnement à la connaissance scientifique ; il l’a, selon ses termes, “reformulé de manière objective” en l’appliquant à la relation entre la théorie et les énoncés des faits observés dans le cadre des sciences empiriques.

Il en a conclu que, contrairement aux idées reçues depuis Sir Francis Bacon, la science ne se caractérise pas par une démarche inductive mais déductive. La conception de théories abstraites est antérieure et autonome par rapport aux faits issus des observations et expériences. Il s’est ainsi opposé au cercle de Vienne (Wiener Kreis) qui soutenait que l’induction permettait de trouver les lois scientifiques. Sa reformulation de la science comme procédé déductif donne un fondement logique à son critère de réfutation par l’expérience.

Sur la base de ces deux principes, il conclut à l’insuffisance de la vérification en matière de science. L’observation d’un certain nombre de faits corroborant une théorie ne la confirme pas avec certitude et universellement. C’est la porte ouverte à la complaisance, car on trouve toujours un certain nombre de faits pour corroborer une théorie, même si elle est fantaisiste. La vérification n’est pas suffisante pour affirmer la validité et la scientificité d’une connaissance. « Karl Popper et les critères de la scientificité », Patrick Juignet (Philosophie, science et société. 2015)

 Olivier Ypsilantis

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