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Notes de lectures (économie) – III/XIII

Tableau 4 – Ce passage (terrifiant) d’Alexis de Tocqueville, extrait de « De la Démocratie en Amérique », écrit en 1835 pour le premier tome, en 1840 pour le second. Nous vivons toujours plus dans ce monde qui a un petit air de famille avec celui qu’a décrit Aldous Huxley dans « Brave New World » écrit en 1931. Alexis de Tocqueville donc :

« Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie.

Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? »

Tableau 5 – L’actuelle pandémie m’inquiète pour diverses raisons. Je n’en retiendrai pour l’heure qu’une seule : l’emprise grandissante de l’État. L’emprise de l’État sur l’individu n’a cessé de croître, et les deux guerres mondiales ont formidablement accéléré ce processus, un mouvement déjà bien en place avec la Révolution française, son héritière l’Empire et son concept de guerre totale.

D’une part, l’emprise de l’État sur l’individu ne cesse de croître ; d’autre part, l’État-nation est remis en question par la globalisation et l’apparition d’entités particulièrement dynamiques, à commencer par les entreprises multinationales.

Je ne remets pas radicalement en question la réglementation d’exception adoptée suite à cette pandémie et je sais faire preuve de civisme sans rechigner. Pourtant, je m’inquiète quant à la suite et je me dis que l’État, cette énorme machinerie, profitera de l’occasion pour peser plus encore. La Première Guerre mondiale a favorisé l’interventionnisme fiscal, la Deuxième Guerre mondiale a favorisé l’interventionnisme social. A présent nous sommes entrés dans l’interventionnisme écologiste et, plus récemment encore, dans l’interventionnisme sanitaire. Souvenez-vous d’Alexis de Tocqueville : « Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. »

La démocratie occidentale s’installe toujours plus dans l’étatisme, un étatisme qui favorise l’endettement et, en retour, un endettement qui favorise l’étatisme, soit la restriction méthodique des libertés individuelles et la gestion toujours plus pointilleuse de l’individu. L’endettement favorise l’étatisme, soit la mise sous tutelle d’un pays entier, notamment par une fiscalité toujours plus lourde. En empruntant massivement jusqu’à tomber dans l’endettement, l’État se fragilise d’un côté mais se renforce de l’autre puisqu’il réduit en servitude un pays entier. Lorsque la dette atteint les niveaux que nous connaissons à présent, elle constitue bien l’une des formes de l’esclavage ou, dit d’une manière plus soft, de la dépendance, dépendance du citoyen envers son État devenu dépendant de ses créanciers, l’État qui se déchargera du poids de la servitude (de la dette) sur les citoyens qui vivent dans l’espace où il exerce légalement la spoliation et la violence, la spoliation étant l’une des formes de la violence et pas des moindres.

Tableau 6 – L’État fait tellement partie de l’air que nous respirons que nous ne nous interrogeons pas sur son bien-fondé, y compris en démocratie, nous le respirons et nous sommes diversement convaincus qu’il est indispensable à nos vies, à nos survies. Il est pourtant intéressant de prendre un peu de recul, de se déshabituer de lui et de se dire que sa présence n’est en rien normale.

Nous jugeons que l’État nous est indispensable par habitude, tout simplement, par une très longue habitude ; et remettre en question une très longue habitude demande des efforts particuliers. Du fait même de cette très longue habitude et d’une absence de point d’appui (ils sont à notre portée mais nous ne les voyons pas), nous ne parvenons pas à le remettre en question. Il ne s’agit pas pour autant de prôner l’action violente, et d’abord parce que ce type d’action n’a jamais fait que le renforcer.

S’interroger sur l’État est un exercice des plus sains, comme s’interroger sur ce qui semble aller de soi et faire partie du paysage. Notre incapacité à imaginer une vie sociale sans un État est devenue chronique. Il est vrai que l’exercice est particulièrement difficile tant nous manquons de recul, tant l’État est sans cesse collé à nous, obstruant l’horizon. L’État sait par ailleurs si bien jouer avec nos peurs et se poser en protecteur alors que les dangers, lorsqu’ils n’ont pas été créés de toutes pièces par ses organes de propagande, ont le plus souvent été diversement suscités par ses actions.

L’un des ouvrages de base pour les libertariens est l’ouvrage sociologique de Franz Oppenheimer « The State » (1926) où l’auteur souligne qu’il n’y a que deux moyens exclusifs l’un de l’autre pour s’enrichir : la méthode de production et d’échange, la méthode du libre marché, qu’il qualifie de « moyens économiques », et la méthode de brigandage par la violence, qu’il qualifie de « moyens politiques ». Or l’État est pour ce sociologue et économiste allemand l’organisation des moyens politiques. Comment lui donner tort ?

Je me permets à ce propos de vous soumettre cette analyse libertarienne intitulée « Nature de l’État », une présentation sobre et structurée :

http://libertariens.chez.com/naturetat.htm

Tableau 7 – The German sociologist Franz Oppenheimer (1864-1943) developed a theory of the “class-state” or the “wolf state” which had its origins in the “conquest and subjugation” of one group of powerless people by a more powerful one:

“What, then, is the State as a sociological concept? The State, completely in its genesis, essentially and almost completely during the first stages of its existence, is a social institution, forced by a victorious group of men on a defeated group, with the sole purpose of regulating the dominion of the victorious group over the vanquished, and securing itself against revolt from within and attacks from abroad. Teleologically, this dominion had no other purpose than the economic exploitation of the vanquished by the victors.

No primitive state known to history originated in any other manner.”

Franz Oppenheimer’s theory of the origin of the state in conquest and subjection was shared by several other late 19th century sociologists both classical liberal and not. On the classical liberal side there was Gustave de Molinari (1819-1912) in France, and Herbert Spencer (1820-1903) in England, and Ludwig Gumplowicz (1838-1909) in Poland/Austria among the German historical school. Franz Oppenheimer was influenced by Ludwig Gumplowicz and he in turn had a profound influence on American libertarians of the inter-war period, like Albert Jay Nock (1870-1945) in his book Our Enemy, the State (1935), and then Murray Rothbard and Walter E. Grinder in the post-war period. Franz Oppenheimer is interesting for basing his critique of the state on the idea that there were only two ways of acquiring wealth, either the “political means” (such as coercion and taxation) or the “economic means” (through peaceful and voluntary exchange). In his sociological and historical view, the state had been and continued to be the organisation (or even the institutionalisation) of the political means of acquiring wealth, which was quite different from free market, economic ways of acquiring wealth. Franz Oppenheimer repays deeper reading with his thoughts on other concepts which he develops at greater length in his considerable body of work which has not been translated into English – such as “class-state” and “wolf-state”.

Oliivier Ypsilantis

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