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Notes de lecture (économie) – II/XIII

Tableau 3 – Pourquoi le socialisme reste-t-il si prisé alors qu’il n’a cessé d’accumuler les échecs aussi bien en tant qu’idéologie politique que système économique ? Ce phénomène pourrait en partie s’expliquer par une certaine orientation de l’éducation nationale, du lycée à l’enseignement supérieur, sans oublier les médias diversement subventionnés par l’État. Mais cette explication n’est pas suffisante, car le socialisme d’antan n’est pas le socialisme d’aujourd’hui.

On peut opérer une distinction entre ces deux socialismes, celui d’antan et celui d’aujourd’hui, en s’appuyant sur la distinction proposée par Ludwig von Mises entre le socialisme et l’intervention de l’État dans le libre marché. Les socialistes vieille école directement influencés par le marxisme (le gros de la troupe) avaient comme repère intangible la nationalisation des moyens de production. Il n’y a pas si longtemps, la grande affaire, en France, lors des campagnes électorales, était pour les uns plus de nationalisation et pour les autres plus de privatisation. Et ainsi distinguait-on ceux « de gauche » et ceux « de droite ». A présent, avec les échecs flagrants du socialisme, la question est oubliée, considérée comme désuète.

Néanmoins, les socialistes nouvelle mouture ne veulent pas voir que le marché libre est bien le plus grand créateur de richesse de l’histoire, en dépit des interventions multiples de l’État. Ils n’acceptent pas de voir que la libéralisation du commerce international (dont on peut analyser les effets néfastes, car il y en a) a par exemple extrait de la pauvreté voire de la misère des centaines de millions d’individus. Il serait à ce propos intéressant d’étudier le cas de l’Inde où une part grandissante de la population rejoint la classe moyenne.

Les socialistes d’aujourd’hui n’ont pas la cohérence intellectuelle des socialistes d’antan qui avançaient bardés dans d’impressionnantes armures (l’armure de l’idéologie). Est-ce plus mieux ou est-ce moins pire ? Qu’importe ! Les socialistes d’aujourd’hui marchent en crabe. Ils savent plus ou moins qu’ils ne doivent pas leur confort au socialisme mais ils considèrent néanmoins que le marché libre ne fonctionne qu’à moitié et qu’il doit être diversement contrôlé par l’État, l’État protecteur de la veuve et de l’orphelin, bouclier opposé aux « libéraux » (on ne dit plus les « capitalistes »), ces individus dépourvus de tout scrupule, ces prédateurs enragés, ces négriers, ces exploiteurs et j’en passe.

Les socialistes modernes ne représentent pas un groupe homogène. C’est un groupe considérable et extraordinairement hétéroclite puisque l’on y trouve des membres de l’élite libérale désireux de s’adapter à la tendance du jour. Tous ont néanmoins un point commun : leur confiance en l’État, à des degrés divers certes.

J’en reviens à la taxinomie de Ludwig von Mises : les socialistes nouveau genre, fortement boboïsés, ont en commun avec les socialistes d’antan une même croyance en l’État, l’État qui selon eux doit intervenir sur le marché et corriger ses erreurs qui sont des excès. J’aimerais aller dans leur sens car, après tout, pourquoi pas ? Mais je ne le puis. J’ai cru dans le socialisme. J’ai parcouru l’Europe sous domination soviétique dans les années 1980, lorsque j’étais étudiant, sac au dos, seul, loin de tout groupe organisé. Je m’y suis rendu sans a priori, et peut-être même animé par une sympathie diffuse. J’en suis revenu avec tristesse même si j’ai apprécié un certain rythme qui ne reportait dans les années 1950 en Europe de l’Ouest, années que je n’avais connues que par le cinéma et la photographie.

Mais nous sommes en 2021. Pourquoi ne pas enfin parvenir à un accord gradué entre le privé et le public afin de délimiter le périmètre de l’un et de l’autre ? L’économie doit revenir intégralement au privé, le privé qui conforterait ainsi les pouvoirs régaliens de l’État et lui éviterait une affreuse dispersion. Les étatistes ne sont pas tous des opportunistes, des rongeurs installés dans le fromage État. Il y a parmi eux des individus sincères et non dépourvus d’intentions louables, mais il y a surtout le poids d’une idéologie, des habitudes, d’une paresse de la pensée, de l’ignorance. L’ignorance ? Pourquoi les partisans du libéralisme ont-ils généralement une certaine connaissance du socialisme alors que très peu de partisans du socialisme ont un minimum de connaissance du libéralisme jugé a priori comme une émanation des forces du Mal ? Je ne force pas la note.

Les étatistes ont probablement trop tendance à réduire le capitalisme au capitalisme d’État qui n’est que du socialisme, l’une des formes du socialisme. Trop d’étatistes prennent ce qui n’est que du capitalisme d’État pour du capitalisme sans foi ni loi. Ils semblent vouloir ignorer que c’est l’application de leurs propres idées qui a favorisé les conditions politiques et économiques qui ont permis la mise en place de ce capitalisme (que les libertariens dénoncent depuis le début) qu’ils dénoncent avec véhémence. Ce sont eux qui ont milité et voté pour que l’État corrige les distorsions dont il est en grande partie responsable. Mais la contradiction ne semble pas leur apparaître. Il est vrai que le fonctionnement de l’économie de marché ne semble pas les intéresser. Craindraient-ils de s’avilir en l’étudiant, simplement, de quitter pour un temps les sentiers battus de l’étatisme, d’entrevoir d’autres perspectives, d’autres horizons ?

Il n’y a en France aucune culture libérale et libertarienne. Un conformisme ambiant décourage une certaine curiosité. Dommage. Il faudrait s’aérer les méninges et s’engager sur d’autres sentiers, bien moins empruntés et de ce fait bien moins boueux. Quand viendra ce jour où l’étatisme tel qu’il est conçu aujourd’hui sera enfin considéré comme malvenu et même monstrueux ?

Il faut œuvrer à une éducation élargie capable de fournir les outils théoriques qui permettent d’étudier le libertarianisme, tant d’un point de vue économique que politique, avec l’École autrichienne d’économie et le droit naturel. Libre aux étudiants de vouloir le vivre ou non ; mais il est urgent d’élargir l’horizon, d’inviter à d’autres points de vue. L’étatisme se révèle être un échec économique et social, un échec humain tout simplement. Il ne se maintiendra que par une coercition toujours plus lourde. Des étatistes probablement toujours plus nombreux le reconnaissent. Mais il est vrai que d’autres, encore très nombreux, trop nombreux, jugent que si l’étatisme ne fonctionne pas si bien c’est parce qu’il n’y a pas assez d’étatisme…

Il me semble que les socialistes d’antan avaient une culture politique et économique plus solide que celle des socialistes d’aujourd’hui, une culture plus définie et que de ce fait leur combat était plus respectable et respecté. Rien à voir avec les mollesses d’aujourd’hui. Avant de devenir ce fourre-tout, le socialisme désignait des tendances bien définies et volontiers antagonistes. Ainsi des socialistes étaient franchement anti-étatistes, ils avaient analysé les conséquences (désastreuses) de la planification étatique et le rôle primordial des prix dans la société.

Les socialistes d’aujourd’hui devraient avoir une meilleure culture libertarienne. Ils admettent pour la plupart que la théorie de Karl Marx sur la plus-value est boiteuse, qu’une économie planifiée à la soviétique et que l’abolition de la propriété privée conduisent dans une impasse. Mais ils continuent à croire en l’État exagérément. Je ne prétends pas que les libertariens aient toujours raison et les socialistes toujours tort, mais il me semble que les socialistes devraient mieux étudier ce qu’ils dénoncent.

De fait, l’éducation devrait plus porter sur l’étude du libéralisme et du libertarianisme, deux courants à ne pas confondre. Il ne s’agit pas d’endoctriner et de faire subir aux socialistes un lavage de cerveau, on l’aura compris, mais d’inviter ces derniers à contempler des horizons qu’ils ne se sont probablement jamais donné la peine de considérer. Ils devraient étudier ces lois économiques et ces principes libertariens essentiels afin de comprendre pourquoi une société basée sur le capitalisme d’État ne peut que conduire au naufrage à plus ou moins long terme.

Le socialisme moderne quant à lui épuise toutes les énergies et plus ou moins insidieusement. L’avachissement gagne tout le monde. C’est pourquoi il est urgent de donner une éducation libertarienne aux nouvelles générations. Contrairement au socialisme traditionnel, le socialisme moderne ne possède pas une solide dialectique. Karl Marx, Engels et Lénine, pour ne citer qu’eux, sont partis à la brocante ou à la poubelle. Les socialistes modernes manquent de colonne vertébrale, de culture authentiquement socialiste. Leurs convictions politiques ne sont généralement que l’expression d’émotions plus ou moins confuses. C’est aussi pourquoi ils devraient étudier les arguments politiques et économiques du libertarianisme, ne serait-ce que pour faire de l’exercice et éliminer leurs mollesses.

 

Olivier Ypsilantis

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