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« L’identité d’un peuple » – En lisant Léon Askénazi

Il n’y a pas de mystique juive au sens strict. Il y a des mystiques juifs qui intériorisent leur expérience individuelle (avec pudeur), une expérience qui lorsqu’elle reste subjective est admise par la tradition. Si elle s’érige en orthodoxie, elle risque de se faire hérésie. La tradition juive est fidélité à la révélation prophétique.

Pourtant, au sein de l’histoire juive un événement considérable a eu lieu et il semble avoir disparu de la mémoire : l’arrêt de la prophétie, un événement qui a été annoncé par les prophètes hébreux (comme ils ont annoncé l’exil du peuple d’Israël et la destruction du Temple). Cet événement a été suivi de trois réactions culturelles : la philosophie en Occident ; le mysticisme en Orient ; la fidélité à la prophétie en Israël, un dévoilement qui est passé du collectif à l’individuel (l’inspiration du Rouah Haqodesh).

Dans le fait prophétique (et la fidélité à la mémoire prophétique), il y a altérité entre Dieu (qui parle) et le croyant (qui écoute) ; alors que dans l’expérience mystique, il y a confusion. Les prophètes d’Israël ne sont pas des mystiques.

L’Hébreu (avant la destruction de la nation hébraïque par Rome) avait une identité simple, il était hébreu comme l’Assyrien était assyrien, comme le Gaulois était gaulois. Il était perçu et s’acceptait comme tel, avec sa conception du monde, sa religion, sa langue, sa culture. Lorsque la nation hébraïque a été détruite, l’identité juive est apparue – les Juifs sont historiquement des Judéens de la dispersion. L’identité juive est mixte, il n’y a que des judéo-quelqu’un d’autre ; c’est une identité composite.

Le Juif dans sa fidélité se définit – et s’éprouve – dans deux anachroniques : une dimension qui le relie au passé (hébreu) et une dimension qui le relie à l’avenir. Deux mille ans d’exil, vingt siècles d’une situation vécue comme provisoire. D’où la perplexité du phénomène sioniste et de la restauration de la nation hébraïque. L’Hébreu était devenu juif et à présent le Juif redevient hébreu, c’est cela l’identité israélienne. Des Juifs (et probablement la plupart d’entre eux) sont encore perplexes face à ce phénomène.  Les Israéliens admettent comme tout à fait légitime ce non ajustement de l’identité individuelle à l’identité collective.

Deux possibilités aujourd’hui : 1. La réhébraïsation, et d’abord au sens de l’identité. 2. Une identité juive cosmopolite qui poursuit l’histoire de la diaspora.

Jusqu’en 1948, la diaspora était issue du deuxième royaume de Juda. Apparaît soudainement le troisième État juif, Israël.

On peut être hébreu tout en étant athée ; car dans la mesure où l’on participe à l’identité collective, on sait que l’on fait partie d’un ensemble qui est l’un des contractants de l’Alliance – en termes bibliques. Le Juif de la diaspora (à l’échelle individuelle) n’a peut-être pas compris (il est encore perplexe) que la dimension collective de son peuple s’est concrétisée, que l’Hébreu est de retour si je puis dire. La prophétie n’éclaire plus les consciences et il n’est peut-être pas si important que le Juif croit en Dieu s’il sait que Dieu croit en lui.

Une erreur s’est introduite au cours des derniers siècles de l’histoire des Juifs, une erreur qui s’est glissée dans les consciences juives : le judaïsme ne se définit pas d’abord comme une religion ; l’identité juive est d’abord celle d’un peuple, un peuple qui a comme religion la religion juive.

Deux sortes de Juifs ont décidé de redevenir hébreux : les uns pour ne plus être juifs, les autres pour être vraiment hébreux, un phénomène qui remonte à l’Émancipation, l’Émancipation, une solution vraisemblable dans les pays d’Europe occidentale où vivaient relativement peu de Juifs, une solution beaucoup plus difficile à appliquer dans les pays d’Europe centrale et orientale où vivaient plus de Juifs. C’est dans ces pays qu’est né le sionisme politique, des pays où on ne laissait pas les Juifs s’assimiler, c’est-à-dire se déjudaïser.

Le sionisme a d’une manière ou d’une autre déjudaïsé le judaïsme. Et peut-être était-ce le prix à payer pour opérer cette mutation du Juif à l’Hébreu – l’Israélien. A ce propos, une raison qui pourrait expliquer, en partie au moins, la tension entre le religieux et le non-religieux en Israël : les fondateurs du sionisme politique ont perçu le risque de disparition du peuple juif dans la civilisation européenne ; et l’obstacle à leur projet était la tradition synagogale. Les Juifs étaient si en symbiose avec l’extérieur qu’ils ne voyaient pas que les persécutions qui s’annonçaient n’étaient pas une péripétie parmi d’autres. Les fondateurs du sionisme politique dans leur majorité ont donc dû s’opposer à la tradition synagogale (dans l’espoir de sauver les Juifs), d’où le mécontentement voire la colère des rabbins qui considérèrent que le sionisme était une entreprise de déjudaïsation. Cette problématique a laissé des séquelles encore marquées.

La société juive est parcourue de courants très divers, des courants qui contribuent plus ou moins à l’authenticité de la communauté. Il y a eu trois dimensions de définition de l’identité juive jusqu’à l’Émancipation, des dimensions qui s’unifiaient : la relation à la terre d’Israël, à la Torah d’Israël, au peuple d’Israël. Un grand nombre de Juifs participent encore à ces trois dimensions même si l’Émancipation les a disjointes, l’Émancipation qui crée trois types de Juifs : ceux qui se définissent uniquement par la participation à l’histoire du peuple ; ceux qui privilégient la religion ; ceux qui s’affirment juifs uniquement par leur relation avec la terre, soit les sionistes non religieux. Trois manières légitimes d’être juif aussi longtemps qu’elles ne s’enferment pas en elles-mêmes et, ainsi, ne se caricaturent pas.

Le peuple juif a subi trois combats majeurs au cours desquels des Juifs se sont placés du côté des ennemis de leur peuple. Ces combats : couper le peuple de la Torah ; anéantir le peuple ; et, à présent, couper le peuple de sa terre. Or, l’histoire des Juifs est avant tout celle d’une nation et non d’un appendice culturel ou confessionnel.

Le judaïsme n’est pas une idéologie. La chrétienté s’est définie comme une religion issue du peuple juif mais coupée de la nation d’Israël. Je me demande si aujourd’hui une partie de la diaspora ne prend pas un même chemin, soit une identité d’origine juive mais coupée de la nation d’Israël. Le judaïsme est une nation parmi les autres mais une nation à vocation universelle.

L’Exil a formé deux types de Juifs : le Juif ashkénaze qui s’est formulé dans la civilisation chrétienne – c’est Jacob chez Esaü ; le Juif sépharade qui s’est formulé dans la civilisation musulmane – c’est Isaac chez Ismaël. Le Musulman interpellait le Juif au sujet de la terre, le Chrétien au sujet du ciel. Cette remarque permet de définir deux types d’attitude envers les Juifs.

Olivier Ypsilantis

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