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La guerre italo-grecque (octobre 1940 – avril 1941) – 3/3

 

Les troupes grecques accumulent les succès mais leurs dirigeants tant politiques que militaires sont inquiets, à commencer par le roi George II et son Premier ministre. Les services alliés suivent attentivement l’avance d’une très inquiétante offensive diplomatique conduite par Hitler en direction de la Roumanie et son dictateur, le général Ion Antonescu, ainsi que de la Yougoslavie dont Hitler a rencontré le ministre des Affaires étrangères, tandis que Joachim von Ribbentrop s’active auprès du régent Paul. Et la Bulgarie pourrait basculer du côté de l’Axe.

Sur le front d’Afrique du Nord, le 5 janvier 1941, Bardia capitule et Tobrouk est isolé le lendemain. Sur le front d’Albanie, une légère amélioration du temps permet aux Grecs de s’emparer de Klissura, une position stratégique ainsi que nous l’avons signalé. Nouvelle vague de froid. La « gangrène sèche » devient la terreur des soldats tant italiens que grecs, un mal insidieux, presqu’indolore. Les membres gelés se comptent par milliers et les chirurgiens multiplient les amputations, condamnant de nombreux blessés à une invalidité totale. Ceux qui s’en sortent le mieux sont les prisonniers qui parviennent à l’arrière. Ils ne sont maltraités ni d’un côté, ni de l’autre. Le combattant grec et le peuple grec éprouvent de la commisération pour le vaincu, question de culture, d’autant plus que l’état des prisonniers italiens est terrible.

 

 

Les signes d’une prochaine intervention allemande se multiplient car l’offensive diplomatique n’a pas été sans effets. La Wehrmacht est en Roumanie et la Bulgarie ne peut que s’incliner. On lui a par ailleurs promis des territoires appartenant à la Grèce.

Athènes, 13 janvier. Entretien entre les généraux Archibald Wavel et Arthur Longmore, le Premier ministre Metaxas et le général Papagos. La Grèce s’engage à se battre avec une même détermination pour défendre son intégralité territoriale mais, compte tenu du revirement bulgare et de la menace allemande, le général Papagos estime avoir besoin d’un renfort de neuf divisons, ce que le général Archibald Wavel responsable d’un immense secteur ne peut lui promettre. Bref, on tourne en rond et Metaxas sort épuisé de cet entretien. Le 17 janvier, il tombe malade et doit s’aliter. Les manœuvres allemandes en Bulgarie inquiètent l’U.R.S.S. qui le fait savoir. Mais Hitler s’en moque : l’opération est en cours et l’attaque contre l’U.R.S.S. est prévue pour le 11 mai. Le 21 janvier, nouveau coup dur pour Mussolini : Tobrouk tombe. Mais la Yougoslavie devrait se joindre au Pacte tripartite, la Bulgarie est acquise et l’Opération Marita (soit l’invasion de la Grèce) est prévue pour le début du mois de mars. Mussolini veut un succès italien avant l’arrivée des Allemands.

25-28 janvier. Profitant d’une légère amélioration du temps, les Italiens passent à l’attaque en deux colonnes : l’une vers Klissura, l’autre vers Préméti-Mertzani. Après avoir menacé Klissura, les Italiens sont repoussés au-delà de leurs positions de départ. La neige se met à tomber en abondance, avec trois mètres d’épaisseur sur les sommets, et la température passe sous les -20° C. Le front s’immobilise.

L’état de santé de Metaxas s’aggrave. Le 28 janvier il entre dans le coma et décède le 30 janvier. L’avis des Grecs diverge sur la manière dont il a dirigé la Grèce, mais tous lui sont reconnaissants d’avoir fait de ce petit pays plongé dans le désordre un pays capable de repousser l’agression italienne. George II nomme Alexandros Koryzis (Αλέξανδρος Κορυζής) pour le remplacer. C’est un homme intègre mais qui n’a pas la volonté de Metaxas. Il se suicidera avec une arme à feu le 18 avril alors que les troupes allemandes foncent sur Athènes.

Chaque amélioration du temps entraîne attaques et contre-attaques. Les pertes s’accumulent des deux côtés. Les troupes grecques ne sont pas moins épuisées que les troupes italiennes. On demande au général Papagos de relever plusieurs divisions du 2ème corps d’armée afin d’en finir avec les Italiens avant l’arrivée des Allemands. En mer, des sous-marins grecs restent actifs et coulent plusieurs transports italiens. De leur côté, les Italiens ont toujours en tête de donner une sévère leçon aux Grecs avant l’arrivée des Allemands et pour ce faire le temps presse. A cet effet, un plan est arrêté dans ses moindres détails : deux corps d’armée vont attaquer les Grecs de part et d’autre du val Desnizza tandis qu’un troisième percera en suivant ce val.

Le 23 février, Hitler avertit Mussolini de l’avance des préparatifs allemands contre la Grèce et des tractations diplomatiques en cours, notamment avec les Turcs. Fait décisif, ainsi qu’il le note : l’arrivée du printemps qui facilitera les opérations. Dans les premiers jours de mars, la Bulgarie adhère contrainte et forcée au Pacte tripartite. La pression diplomatique sur la Yougoslavie ne se relâche pas. L’U.R.S.S. dénonce l’engagement bulgare mais ne peut faire grand-chose. La Grèce se trouve isolée, tant d’un point de vue stratégique que diplomatique.

Le 2 mars, Mussolini se rend sur le front pour galvaniser des troupes prêtes à passer à l’offensive suivant le plan que nous venons d’évoquer. Il veut un succès de propagande. Les Allemands disposent à présent de cent mille hommes en Bulgarie, avec deux divisons blindées. 9 mars, le jour se lève. Le temps est glacé mais clair, ce qui va aider l’artillerie et l’aviation. Mussolini et son état-major installés dans une casemate se tiennent devant la zone d’attaque italienne. Trois cents canons surprennent les Grecs qui subissent leurs tirs durant deux heures et demie. Puis l’aviation entre en action. Les Italiens enlèvent quelques positions mais la résistance grecque se durcit et la poussée italienne ralentit avant de s’arrêter. Le 10 mars, les quelques gains de l’offensive italienne sont perdus. Le temps se gâte ; l’aviation est gênée ; et avec la pluie revient la boue. Mais Mussolini s’entête ; il lui faut une victoire avant la fin du mois. Le 13 mars vers midi, l’attaque italienne reprend mais s’essouffle sans tarder. Les pertes sont effroyables et des deux côtés. Le 16 mars ordre est donné de cesser l’attaque. Pendant quatre jours, Mussolini parcourt l’Albanie et passe ses troupes en revue. Le 21 mars, il regagne l’Italie en avion.

24 mars, à Vienne. Après bien des hésitations la Yougoslavie adhère au Pacte tripartite. Il faut lire ce que rapporte à ce sujet Joachim von Ribbentrop dans « De Londres à Moscou – Mémoires ». Les représentants yougoslaves n’ignorent pas la sympathie traditionnelle des cadres de l’armée pour l’Occident ainsi que les menées secrètes des Britanniques pour éloigner Belgrade de Berlin. Le 27 mars, soit trois jours après cette adhésion, des troubles anti-allemands éclatent à Belgrade. Des diplomates et des ressortissants du Reich sont injuriés et molestés, le régent Paul et les deux représentants yougoslaves qui ont signé l’adhésion de leur pays au Pacte tripartite sont arrêtés. Le roi Pierre II est intronisé et un nouveau chef de Gouvernement est choisi. Ce coup d’État est le résultat d’une collaboration inhabituelle entre les services secrets britanniques, américains et soviétiques. Hitler enrage. Contrairement à ce qu’il veut faire accroire, ce coup d’État et ces violences contre les représentants du Reich ne vont pas justifier l’attaque allemande contre la Grèce. L’Opération Marita est prête depuis une dizaine de jours. Elle n’a été retardée que dans l’espoir d’une participation de la Yougoslavie à ladite opération. Mais face à cette déconvenue, Hitler ordonne la destruction politique et militaire de la Yougoslavie. Il ordonne également à Mussolini de s’abstenir de toute opération en Albanie afin de renforcer le front yougoslave.

29-30 mars. Deux escadres britanniques détruisent ce qu’il reste de la Regia Marina Italiana au large du cap Matapan et ne perdent qu’un avion et son équipage. Les Britanniques conserveront la maîtrise navale de la Méditerranée jusqu’à la fin de la guerre. En dépit de cette victoire navale et du revirement yougoslave, la Grèce sait qu’elle se trouve dans une situation quasi-désespérée. Le gouvernement et l’état-major grecs envisagent une paix négociée et effectuent des démarches à cet effet. Mais aucune suite ne leur est donnée car « la Grèce a commis une irréparable erreur » en acceptant l’aide britannique.

3 avril, la nuit dans la gare de Kénali, à la frontière gréco-yougoslave, conseil de guerre entre représentants des états-majors grec, anglais et yougoslave. On recense les forces que l’on peut opposer aux deux armées allemandes, la IIème et la XIIème déployées de manière à écraser la Yougoslavie et la Grèce. Une fois encore, je passe sur les détails. Simplement, la disproportion des forces est énorme en faveur des Allemands. Seule stratégie possible : en finir avec le front albanais. Mais les forces italiennes sont encore importantes et les forces grecques bien que très combatives sont épuisées. L’amiral Andrew Cunningham, responsable du corps expéditionnaire en Grèce, est si pessimiste qu’il prévoit un débarquement aussitôt suivi d’un rembarquement. On décide pour la forme d’une offensive générale grecque et yougoslave, mais ce plan restera un plan.

6 avril. Alexandros Koryzis est contacté par l’ambassadeur du Reich Victor zu Ehrbach-Schönberg. Il lui remet un dossier qui s’ouvre sur une déclaration de principe visant à culpabiliser la Grèce pour sa non-neutralité et ses nombreux contacts avec Paris et Londres. Le Reich est d’autant plus à son aise avec cette déclaration qu’il n’avait pas en tête une attaque contre la Grèce (et la Yougoslavie) et que c’est bien Mussolini qui l’a entraîné dans cette aventure balkanique. Hitler reste contrarié puisque la priorité (encore secrète) est l’attaque contre l’U.R.S.S. Bref, selon cette déclaration de principe, l’engagement toujours plus marqué de la Grèce aux côtés des Britanniques ne peut que mettre à rude épreuve la patience allemande. En conséquence, conclut ledit document, l’armée allemande est contrainte de chasser les forces britanniques de la Grèce sans vouloir s’en prendre au peuple grec. Mieux, il s’agit de rendre service au peuple grec et à l’Europe en chassant de Grèce l’intrus britannique. Suit un mémorandum à l’appui de ces arguments. Alexandros Koryzis regarde l’ambassadeur du Reich dans les yeux et lui déclare que la Grèce résistera.

Lorsque la Grèce apprend la nouvelle, tous savent que l’heure sombre est venue, tous, de George II au cireur de chaussures, du général Papagos au simple soldat. La Grèce sait qu’elle ne pourra résister longtemps aux forces allemandes. Ce pays qui au cours de son histoire a eu à subir tant d’amputations de ses frontières (et qui a même disparu durablement de la carte en tant qu’État) sait également que des annexions suivront la défaite, notamment en Épire, en Macédoine et en Thrace.

6 avril, avant midi. Front du Rhodope. Les forces allemandes attaquent la ligne Metaxas, sorte de ligne Maginot grecque qui va de la frontière turque à la frontière yougoslave (vallée du Strymon), une ligne de défense très ingénieusement conçue le long de la frontière bulgare mais qui comme la ligne Maginot n’a pas pris en compte une possible attaque par le flanc. La poussée allemande s’effectue précisément dans la vallée du Strymon, une attaque d’une extrême violence qui engage notamment les Junkers Ju 87 Stuka. Les forces allemandes subissent de lourdes pertes mais à l’aube du 8 avril, elles percent à la jonction des secteurs grec et yougoslave et déferlent sur Salonique. Le 9 avril, le protocole d’armistice est signé à quatorze heures et les troupes allemandes entrent dans Salonique le même jour.

Olivier Ypsilantis

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