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La guerre italo-grecque (octobre 1940 – avril 1941) – 2/3

 

4 novembre 1940. Les Albanais sont chargés d’attaquer une position dont ils s’emparent mais que les Grecs reprennent dès le premier assaut. Commandant de l’armée de Macédoine, le général Yanis Pitsicas comprend l’opportunité qui s’offre à lui et renforce en toute hâte le 2ème et le 3ème corps d’armée qui de défensifs deviennent offensifs. Au sud, les Italiens ont toujours en tête d’atteindre Janina. Dans la nuit du 4 au 5 novembre, ils s’efforcent de franchir le fleuve Kalamas, soixante-dix mètres de largeur et trois mètres de profondeur lorsqu’il est en crue, ce qui est le cas. Ils parviennent à établir deux têtes de pont puis marchent sur Igoumenitsa. Pour les Grecs, la situation dans ce secteur est grave. Sur le front du Pinde, le sort de la Divisione alpina « Julia » est scellé. La nasse conçue par le colonel Davakis se referme. Un obus grec touche l’émetteur italien de cette division qui ainsi se trouve coupée du monde. Seule possibilité : rompre le bouchon à la base du goulot dans l’espoir de regagner ses bases de départ, en Albanie donc. Au nord, sur le front de Macédoine, l’attaque grecque est générale et sans préparation d’artillerie ce qui augmente l’effet de surprise. Les forces italiennes de Macédoine ne peuvent venir en aide à celles du Pinde. La presse grecque exulte. Winston Churchill décide d’envoyer plusieurs escadrilles en Grèce ainsi que des batteries de D.C.A., et deux bataillons sont envoyés en Crète.

 

 

Au sud, les Italiens prennent Igoumenitsa en tenaille. Ils occupent toute la portion de la côte en face de Corfou et Janina qui se trouve coupée de la mer, un succès local par ailleurs précaire qui ne peut faire oublier l’agonie de la Divisione alpina « Julia ». 

A Rome, il est décidé de porter les forces italiennes à deux armées. Le dispositif devrait avoir fini de se mettre en place le 5 décembre. Pour les Italiens, il s’agit non plus d’avancer mais de tenir en attendant des renforts. Le Duce bat le rappel de toutes ses forces disponibles (ou presque) en Italie.

L’avance italienne en Épire constitue une sorte de doigt. Rome y fait stopper ses troupes de peur que ne se répète ce qui se passe dans le Pinde. Les unités de la Divisione alpina « Julia » ne cessent de reculer avec de lourdes pertes. Elles abandonnent leur matériel et de plus en plus de blessés qu’elles n’ont plus les moyens de transporter ou de faire évacuer. Sur le front de Macédoine, les forces grecques dépassent à présent en nombre les forces italiennes ; or, l’expérience a montré aux Italiens qu’à forces égales les possibilités de déroute sont pour eux (très) élevées. Le 11 novembre, les débris de la Divisione alpina « Julia » tentent de se regrouper autour de Konitsa. A présent, il s’agit pour les Italiens de défendre l’Albanie.

Et les Italiens ne sont pas au bout de leurs malheurs. Un renseignement communiqué par les services diplomatiques grecs va donner à la Royal Navy l’occasion de frapper la flotte italienne. L’amiral Andrew Cunningham lance les appareils du porte-avions Illustrous sur la flotte italienne basée à Tarente en vue d’une action contre Corfou. Les dégâts sont considérables côté italien et l’équilibre naval en Méditerranée penche franchement en faveur des Britanniques. Cette attaque a un retentissement considérable en Grèce : Corfou est sauvé (pour l’heure), la Crète se trouve hors de danger (pour l’heure) et les renforts britanniques en provenance du Moyen-Orient peuvent se risquer en mer Égée. Et, de fait, ils débarquent en Crète, ce qui permet au général Papagos de pouvoir disposer de six bataillons supplémentaires de Crétois pour renforcer le front albanais. La R.A.F. se renforce également sur la base d’Athènes et dispute la maîtrise de l’air à la Regia Aeronautica Italiana. Les Grecs ne se sentent plus seuls même si l’aide britannique reste modeste. Les colonnes de prisonniers italiens, soit cinq à six mille hommes, sont conduites vers l’arrière. La population grecque les regarde passer sans les invectiver. Le dénuement de ces prisonniers fait taire la colère ; et ces soldats ressemblent tant aux soldats grecs, mêmes joues creuses, mêmes uniformes boueux et déchirés, mêmes…

14 novembre. Les Grecs se sont renforcés dans le secteur littoral et en Épire ; au centre, sur le Pinde, ils parachèvent leur victoire ; en Macédoine, l’offensive est imminente avec les monts Morava et la ville de Koritza comme premiers objectifs à atteindre en Albanie. Les Grecs passent à l’attaque sur l’ensemble du front. Les Italiens lâchent un peu partout. A Rome, c’est l’affolement tandis que Berlin redoute que la Grèce ne devienne une importante base aérienne pour les Alliés. Des renforts italiens arrivent mais dans la pagaille. Ils sont transportés par des trimoteurs Junkers de la Luftwaffe puis jetés dans la bataille sans la moindre préparation. C’est toute la XIème armée italienne qui risque d’être débordée.

Berlin et Rome caressent l’idée d’attirer Belgrade dans leur orbite (sans pour autant faire entrer la Yougoslavie en guerre) afin d’isoler la Grèce qui sera alors obligée de prélever des forces sur le front albanais afin de garnir la frontière gréco-yougoslave. Pour aguicher les Yougoslaves, Rome et Berlin pensent lui offrir la Thrace et Salonique. Cette alliance pourrait éviter à Hitler d’avoir à envoyer des troupes dans les Balkans. Mais les manœuvres diplomatiques prennent du temps et sur le front albanais les Grecs talonnent des Italiens en retraite, les Grecs qui poussent vers l’axe vital pour les Italiens, la route d’Ersekë à Koritsa en Albanie. Ersekë, une position-clé tenue par les Italiens dont les pertes ne cessent d’augmenter, avec des blessés qui sont soignés (lorsqu’ils peuvent l’être) dans des conditions terribles. Les renforts croisent des fuyards et tous se bousculent. Le terrain d’aviation de Koritsa est à présent battu par l’artillerie grecque et avec une grande précision. A peine débarqués, les Italiens sont tués ou blessés en grand nombre et il faut aussitôt les rembarquer vers les hôpitaux de l’arrière à bord des avions qui viennent de les transporter. Les défenses de Koritsa doivent être abandonnées. Il s’agit de reporter la ligne de défense à une cinquantaine de kilomètres en arrière.

Les Grecs ne cessent d’attaquer et les Italiens de battre en retraite, abandonnant un matériel considérable. Au sud, ils doivent abandonner Igoumenitsa. A l’ouest, les Grecs qui s’infiltrent toujours plus en Albanie prennent des routes transversales essentielles – elles longent le front. Dans la nuit du 20 au 21 novembre, les Italiens évacuent Koritsa. Leur défense principale le long de la frontière avec la Macédoine est rompue. La retraite est de plus en plus désordonnée, chaotique même. Idem au sud.

Hitler qui n’est pas en guerre avec la Grèce est atterré par les rapports. Il juge que la situation qui résulte de la décision exclusive de Mussolini (rappelons-le) est d’une extrême gravité. En effet, ainsi qu’il l’expose méthodiquement dans une lettre au Duce : la Bulgarie qui inclinait vers les pays du Pacte tripartite (Japon, Italie, Allemagne) fait marche arrière ; l’U.R.S.S. se montre encore plus intéressée par les Balkans et il sera difficile voire impossible de faire dériver ses ambitions exclusivement vers l’Orient ; de nombreux pays se mettent à douter de la victoire de l’Allemagne et ses alliés (je rappelle que nous sommes en novembre 1940 et que la bataille de France s’est terminée en juin de la même année, il y a seulement cinq mois) ; s’allier la Yougoslavie (un objectif primordial pour l’Axe) risque d’être plus compliqué que prévu ; l’attitude de la Turquie laisse des doutes et sa décision influencera de manière décisive celle de la Bulgarie. Quant aux conséquences militaires, Hitler est plus lucide que Mussolini. Il sait qu’avec la Grèce libérée les Britanniques disposeront de bases aériennes qui leur permettront de bombarder les champs de pétrole de Roumanie, très difficiles à défendre par la D.C.A. La destruction de ces champs de pétrole serait fatidique pour le Reich. Dans cette même lettre, Hitler ajoute que toute l’Italie du Sud (ses ports) et tout le Sud de l’Albanie seront également à portée de l’aviation britannique, les Britanniques qui ont occupé la Crète et qui s’apprêtent à occuper d’autres îles grecques. L’île de Rhodes est elle-même à portée de leur aviation.

Afin de remédier à ce qui pourrait devenir un cauchemar pour l’Axe, Hitler va chercher à déborder les Britanniques en Afrique et il engage Mussolini à atteindre Marsa-Matrouh sur la côte égyptienne afin d’y établir une base aérienne dans le but de déloger la flotte britannique d’Alexandrie et de miner le canal de Suez. Hitler poursuit (dans un courrier) et énumère les dispositions à prendre pour remédier à la situation catastrophique dans laquelle Mussolini s’est mis et l’a mis. Redisons-le, Hitler n’est pour rien dans cette guerre déclenchée par Mussolini contre la Grèce, une attaque qui contrarie sérieusement ses plans, à commencer par l’attaque contre l’U.R.S.S. qu’il mijote sous couvert de Pacte germano-soviétique (signé en août 1939). Les dispositions qu’il énumère sont les suivantes : faire entrer l’Espagne dans la guerre afin de prendre Gibraltar et, ainsi, fermer le verrou ouest de la Méditerranée ; détourner l’U.R.S.S. des Balkans et l’orienter vers l’Orient ; s’entendre avec la Turquie afin de neutraliser sa pression sur la Bulgarie ; se concilier la Yougoslavie ; se concilier la Hongrie afin d’y faire transiter d’importantes forces allemandes vers la Roumanie, la Roumanie qui devra accepter ce plan comme un renforcement de sa propre défense… On constate que cette guerre somme toute limitée a des répercussions diplomatiques et stratégiques considérables. Mais la diplomatie à une aussi vaste échelle est lente et il faut faire vite, Hitler le sait, il sait qu’il lui faudra intervenir militairement et sans tarder. Il précise toutefois qu’une campagne dans les Balkans ne sera pas possible avant mars (1941). On sait que l’armée allemande fera son entrée à Salonique le 9 avril (1941). Et Hitler aimerait reprendre ses troupes au plus tard le 1er mars 1942, soit un an après son engagement. Pour l’heure, il ne peut rien pour Mussolini auquel les Grecs ne laissent aucun répit.

Le drapeau grec flotte à présent sur Koritsa. Athènes est en liesse. On acclame George II, le Premier ministre Metaxas et le général Papagos. La population se précipite sur les soldats britanniques et du Commonwealth et les porte en triomphe. Les exploits grecs sont célébrés dans la presse internationale.

Le Duce répond par courrier au courrier de Hitler. Incapable de reconnaître ses erreurs et prompt à les faire endosser par d’autres, il attribue sa déconvenue à trois facteurs : le mauvais temps ; la passivité de la Bulgarie qui a permis aux Grecs de pouvoir transférer d’importantes forces vers le front albanais ; la défection des forces albanaises. Ces arguments ne tiennent pas car : le mauvais temps est également un handicap pour les Grecs, qui par ailleurs ne disposent d’aucun blindé ; l’attitude de la Bulgarie était connue de Mussolini depuis le début et ce dernier avait déclaré qu’il se passerait d’elle ; quant aux troupes albanaises, c’est une erreur d’avoir compté sur elles et non une excuse. Le Duce termine sa lettre en proposant d’aider Hitler dans ses grandes manœuvres diplomatiques, soit : rencontrer Franco au sujet de Gibraltar, offrir Salonique aux Yougoslaves afin de s’attirer leurs bonnes grâces sans exiger pour autant leur engagement armé.

Les Grecs poursuivent leur avance sur l’ensemble du front, et rapidement. Les unités italiennes sont décimées, épuisées, dispersées. Le 3ème corps d’armée entre dans Moschopolis puis Pogradetz. Le 26 novembre, le général Pietro Badoglio présente sa démission.

Une fois encore, je passe sur le détail des opérations sur le front albanais afin de ne pas surcharger cet article. Au cours des premiers jours de décembre, les Grecs ne cessent d’avancer et parviennent à la charnière du dispositif italien, Klissura. Mussolini pense demander l’armistice – mais comment ? Le 8 décembre, les Grecs prennent la capitale de l’Épire du Nord, Argyrocastro.

En Afrique, les Britanniques sont sur l’offensive. Le 15 décembre toutes les forces italiennes sont chassées d’Égypte et le gros des forces qui occupaient la Cyrénaïque s’est replié à l’intérieur des défenses de Bardia, à présent isolées. La première phase de la bataille de Sidi Barrani se termine avec un minimum de pertes côté britannique et près de quarante mille prisonniers côté italien.

En Albanie, les pertes italiennes sont considérables et des divisions telles que la Julia ou la Bari sont au bord de l’anéantissement. Les troupes italiennes manquent de tout et surtout de chefs de valeur. Mussolini flotte dans sa propre grandiloquence. Loin de leurs bases, les troupes grecques souffrent elles aussi et terriblement, mais leur moral est au plus haut et elles ne manquent pas de chefs de valeur.

Le 18 décembre, l’Opération Barbarossa est formulée dans le détail par l’Instruction n° 21, un document rédigé dans le secret par Hitler à l’intention de son état-major, un projet colossal qui nécessite une mobilisation totale des forces allemandes, à commencer par les divisions blindées. L’offensive doit par ailleurs être déclenchée assez tôt dans la saison afin que les objectifs soient atteints avant l’arrivée de l’hiver. Or, il y a nécessité de se porter d’abord au secours des Italiens, ce que Hitler ne peut faire avant mars (1941), ainsi qu’il le précise tout en ajoutant qu’il veut récupérer ses troupes au plus tard le 1er mai. Mais qui peut prévoir avec précision la durée d’une campagne militaire ?

Le 22 décembre, les Grecs prennent Chimarra. Mais un froid extrême s’abat sur la région et ralentit la poussée grecque. Le ravitaillement devient de plus en plus difficile, les tenues des Italiens et des Grecs ne sont pas adaptées, les armes ne fonctionnent plus, les grands blessés du froid sont toujours plus nombreux et leur évacuation prend des heures. On ampute de plus en plus. Le 24 décembre, un sous-marin grec torpille trois gros transports italiens. Le 25 décembre, l’aviation italienne bombarde la ville de Corfou et fait des dizaines de victimes, tués et blessés. Le 29 décembre et le 31 décembre, deux transports italiens sont coulés par des sous-marins grecs.

       (à suivre)

Olivier Ypsilantis

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