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La guerre italo-grecque (octobre 1940 – avril 1941) – 1/3

 

Cette guerre qui s’inscrit dans la Deuxième Guerre mondiale est très peu connue. Je propose de la présenter dans ses grandes lignes en précisant qu’elle est la première victoire contre les forces de l’Axe. Je passe sur les préliminaires pour en venir aux faits.

Le 28 octobre 1940, à 5 h 30, les Italiens qui se sont positionnés en Albanie attaquent la Grèce. Le temps est détestable, avec pluie diluvienne et glaciale. C’est à peine si les montagnes se découpent dans la lumière de l’aube. Les bataillons de la Divisione alpina « Julia » placés au centre du dispositif italien se mettent en marche. Ces troupes alpines sont appuyées par des volontaires albanais en qui les Italiens n’ont guère confiance ; mais ils parlent parfaitement le grec et connaissent le terrain.

Il ne cesse de pleuvoir. Les cours d’eau se sont gonflés et l’eau qui dévale des montagnes semble vouloir tout emporter. La végétation est épaisse, les sentiers sont à peine tracés et les soldats s’enfoncent dans la boue. Les Grecs se sont repliés, civils et militaires. Où est la résistance à outrance annoncée par Ioannis Metaxas (Ιωάννης Μεταξάς) ? Tout est calme hormis un accrochage entre des volontaires albanais et une compagnie de tirailleurs grecs dans le secteur de Perati.

De son P.C. proche du front, le colonel Kontantinos Davakis (Κωνσταντίνος Δαβάκης) rédige son ordre du jour dans lequel il fait allusion au soutien britannique. Le colonel Kontantinos Davakis va avoir un rôle de premier plan dans la défaite italienne au cours de cette guerre.

Les premières salves de l’artillerie italienne résonnent dans les montagnes. Les postes grecs s’efforcent de tenir. Il ne s’agit encore que d’escarmouches. Des avions italiens font leur apparition, ainsi que les premiers véhicules blindés, italiens eux aussi ; les Grecs n’en ont aucun et les premiers blindés à intégrer l’armée grecque seront des blindés capturés à l’ennemi italien, des L3, une chenillette d’à peine plus de trois tonnes.

La Grèce est vite informée de cette attaque. A Athènes, le Conseil des ministres présidé par Ioannis Metaxas décrète la mobilisation générale, l’état de siège sur tout le territoire, l’accession du roi Georges II au commandement général des forces armées et la nomination du général Alexandros Papagos (Αλέξανδρος Παπάγος) au commandement en chef de l’armée de terre. L’aviation italienne attaque Le Pirée et le terrain d’aviation d’Athènes sans faire ni victime ni dégât matériel. La base navale de Prévéza et le canal de Corinthe sont également attaqués. A Patras, on déplore une cinquantaine de morts et plus d’une centaine de blessés.

 

 

Le Führer rencontre le Duce le 28 octobre 1940 à Florence. Mécontent, il s’efforce de le persuader d’ajourner son attaque contre la Grèce aussi longtemps que la Crète n’est pas occupée. Elle le sera par une opération aéroportée, une bataille dont j’ai rendu compte sur ce blog sous le titre : « Opération Merkur (Unternehmen Merkur). Les parachutistes allemands sautent sur la Crète » :

https://zakhor-online.com/operation-merkur-unternehmen-merkur-les-parachutistes-allemands-sautent-sur-la-crete/

Mais le Duce coupe court ; il a engagé les opérations et il n’est pas question de reculer.

Le 28 octobre vers midi, soit quelques heures après le début de l’attaque italienne, la Grèce se mobilise. Ce peuple habituellement si divisé sait faire bloc. Il est vrai que les chamailleries reprennent vite. Pour l’heure, de tous les coins du pays, les Grecs courent aux armes. Les paysans convergent vers les villes, principalement Athènes et Salonique, pour s’enrôler. La mobilisation des Grecs qui selon l’état-major italien devait prendre au moins quinze jours se fait en moins de dix jours. La Grèce devient pour un temps le centre du monde – il en est question dans les médias de très nombreux pays. Dès que le Premier ministre Ioannis Metaxas invoque la protection britannique, le roi George VI prend contact avec le roi des Hellènes, Georges II, et l’assure du soutien de son pays. De fait, les messages de soutien affluent de partout.

Il ne s’agit encore que d’escarmouches, en avant de la ligne principale de défense grecque, à vingt / trente kilomètres de la frontière gréco-albanaise. Le 28 octobre au soir, les Italiens avancent lentement sous une pluie diluvienne, avec rafales de vent. La visibilité et nulle. Les troupes de couverture grecques se replient mais la ligne principale de défense reste intacte. Le soutien verbal de Franklin D. Roosevelt a un effet considérable sur le moral du pays. Winston Churchill quant à lui câble à Anthony Eden (il se trouve alors au Moyen-Orient) qu’il faut porter ses efforts sur la Crète (aménager une base aérienne et une base maritime), la défense de cette île pouvant être de la plus haute importance pour celle de l’Égypte.

La Divisione Alpina « Julia » repart à l’attaque des monts du Pinde, cette chaîne de monts qui barre la Grèce dans une direction nord/sud, soit les axes qui conduisent vers la Macédoine et la Thessalie. L’effort italien commence par se porter dans le sous-secteur des monts Grammos, une chaîne plus modeste, direction est/ouest, entre la frontière albanaise et les monts du Pinde. La neige tombe sur ses sommets et ses flancs sont gelés. Les Grecs doivent se replier sur leur ligne principale de défense. Il apparaît de plus en plus clairement que l’axe de l’offensive italienne est Samarino-Mezzovo.

30 octobre. Sauf renforts, la situation de la Grèce risque de devenir intenable. Le colonel Davakis n’a plus d’effectifs qui lui permettraient une contre-attaque dans les trois sous-secteurs dont il a le commandement. Mais ce même jour, la 1ère division des Thessaliens, des troupes fraîches, est annoncée. Arrivera-t-elle à temps ? Les Italiens continuent leur progression vers les monts du Pinde et les Grecs doivent décrocher. Le colonel Davakis recrute tout ce qui peut porter une arme ; mais tout manque et les hommes sont dans un état indescriptible. Les soldats grecs sont de plus en plus nombreux à battre en retraite et la route de Janina (en Épire) s’ouvre à l’envahisseur. Le colonel Davakis remonte à cheval le flot des fuyards, constate la gravité de la situation et revient à son P. C. Un bataillon de renfort est arrivé, ce qui est peu ; mais devant ses deux commandants médusés, le colonel Davakis déclare qu’il va enfermer les Italiens de la Divisione Alpina « Julia » après les avoir laissés s’enfoncer dans une nasse formée par les monts Grammos au nord et les monts Smolika au sud – nous sommes toujours à l’ouest des monts du Pinde. Le temps ne permet pas à l’aviation italienne d’entrer en action, ce qui arrange grandement les Grecs. A 17 heures arrivent le commandant de la 1ère division des Thessaliens et son état-major. Il approuve ce repli, un repli destiné à mieux attirer les Italiens dans la nasse. Pendant ce temps, les renforts grecs garnissent aussi vite que possible les crêtes qui bordent l’avance italienne, sur sa droite comme sur sa gauche. Le déploiement des Grecs est si rapide qu’un dangereux vide logistique se forme. Les femmes du Pinde décident alors de passer à l’action, comme elles l’avaient fait au cours de la guerre d’indépendance grecque de 1821-1829. Souvenez-vous de Laskarina Bouboulina !

Dans l’après-midi (nous sommes toujours le 30 octobre), les renforts affluent suivant deux axes principaux : l’un de Thessalie, l’autre de Macédoine. Il leur faut marcher si vite, qu’ils ne gardent sur eux que le minimum. Il faut progresser de rocher en rocher et escalader pour se positionner sur le flanc sud des monts Grammos au pied duquel les Italiens progressent.

La nuit tombe sur les hommes de la 1ère division des Thessaliens et sur ceux du détachement du Pinde et du bataillon d’evzones arrivés en renfort. Ils se tapissent dans le rocher, sans couverture, ni provision (presque pas d’eau, ils ont souvent laissé leurs gourdes), ni armes lourdes. Les artilleurs et leurs mulets (qui portent l’artillerie en pièces détachées) et le train des équipages n’ont pu suivre. Les femmes se mêlent alors aux hommes sur le passage des unités de l’armée. Elles exigent de les aider. Les hommes commencent par refuser mais les femmes s’imposent. Elles portent et tirent tout ce qu’elles peuvent. Les Italiens qui veulent à tout prix empêcher les Grecs de se renforcer (car ils commencent à pressentir l’encerclement) tirent autant qu’ils le peuvent. Des femmes tombent, d’autres récupèrent les armes des Italiens tués ou blessés. Dans l’après-midi, une courte éclaircie. La chasse italienne mitraille. D’autres femmes tombent, tuées ou blessées. Les femmes du Pinde sont citées sans tarder à l’ordre de la Nation.

31 octobre. Les Italiens poursuivent leur progression. La première phase (voir le plan Emergenza G) se déroule comme prévu. Pourtant, des informations inquiètent le commandement italien : de puissantes unités grecques sont signalées et les Italiens multiplient les patrouilles de reconnaissance. Le temps reste couvert et l’aviation italienne inactive. La Divisione Alpina « Julia » poursuit son avance dans le dispositif principal de la défense grecque.

Le plan grec de contre-offensive est dicté le 31 octobre pour le lendemain, soit une offensive simultanée en deux formations avec axe principal en direction de Fourka, au sud et à l’entrée de cette avancée italienne qui forme comme un doigt. En mer, presque rien à signaler. L’opération maritime prévue dans le plan Emergenza G et destinée à appuyer l’offensive terrestre italienne au sud (en direction d’Igoumenitsa) a été annulée en raison de l’état de la mer. Une pluie violente et incessante gonfle les cours d’eau et perturbe l’avancée des fantassins et des véhicules italiens qui, une fois encore, ne peuvent espérer l’appui de l’aviation. Par ailleurs, les Italiens ne savent pas ce que trament les Grecs. L’avance italienne est néanmoins satisfaisante dans l’ensemble et les routes de Mezzovo et de Janina semblent s’ouvrir aux Italiens dont les éléments de pointe risquent toutefois de se retrouver à la merci d’une contre-attaque sur leurs arrières, dans une zone détrempée et montagneuse.

Le commandement italien s’inquiète mais se rassure en se disant que l’ennemi n’aurait pas poussé la témérité au point d’accepter une rupture de sa ligne principale de défense. Par ailleurs, les prisonniers du détachement du Pinde sont dans un tel état…

1er novembre, 7 h 30, front du Pinde. Les Grecs passent à l’offensive. Ils enlèvent des positions italiennes. Le lendemain, Fourka est pris ainsi que les hauteurs voisines grâce à l’esprit d’analyse et d’initiative du colonel Davakis qui est gravement blessé le jour même. Transporté à Athènes, il sera emmené en otage en 1943 par les Italiens et périra en mer suite au torpillage du vaisseau qui le conduisait en Italie

La bataille gagne l’Épire où les Italiens ont l’initiative. Ils poussent vers Janina et d’autant mieux que le ciel s’est dégagé et que leur aviation et leur artillerie peuvent intervenir.

Le lendemain, les Italiens attaquent appuyés par de nombreuses chenillettes, les L3. S’ils parviennent à percer, Janina tombera et c’est tout le Nord de l’Épire qui risque d’être coupé de la mer. Mais la pugnacité des Grecs et leur ingéniosité vont faire échouer cette attaque qui s’opère en deux points.

Plus au nord, sur le front du Pinde, 3-4 novembre. La 1ère division des Thessaliens et le détachement du Pinde s’efforcent de refermer la nasse sur la Divisione Alpina « Julia ». Les Italiens sont inquiets au point de stopper leur progression. Par ailleurs, l’Aoos est en cru et les passerelles installées par les Italiens sont emportées sans tarder. La 1ère brigade de cavalerie grecque monte en ligne et se dirige vers le village de Dotsiko et vers Samarina. Sa progression est ralentie par la pluie et la boue. Le froid est coupant.

3 novembre. La situation en Grèce préoccupe grandement Winston Churchill, il la juge prioritaire. Il estime que la chute de la Grèce aurait un effet terrible sur la suite des événements et que ce pays doit devenir un camp retranché sans cesse renforcé, avec bases navales et aériennes. Selon lui, la Grèce doit être aidée directement même si les effectifs engagés n’ont qu’une valeur symbolique. Il s’agit d’abord de soutenir le moral des Grecs qui se battent comme des lions. Les généraux britanniques engagés au Moyen-Orient rechignent à détourner une partie de leurs forces. Mais Winston Churchill persiste : pour l’heure la défense de la Grèce est prioritaire.

Dans la nuit du 3 au 4 novembre, la 8ème division grecque se repositionne le long du fleuve Kalamas, au sud du dispositif italien, non loin de la côte et de Corfou. Les Italiens quant à eux se préparent à franchir ce fleuve dans l’espoir de prendre Janina ou tout au moins de couper cette ville de son accès à la mer en occupant Igoumenitsa.

4 novembre. Les renforts grecs ne cessent d’affluer, souvent dans la précipitation et le désordre. Les Bulgares ne bougent pas et le général Papagos en profite pour transférer vers l’Épire les 2ème, 3ème et 4ème divisions d’infanterie. Le commandement de la Divisione Alpina « Julia » est de plus en plus conscient du danger d’encerclement. Aussi deux divisions, la « Venezia » et la « Parma » placées en position défensive tout au nord du dispositif italien, sont appelées à la rescousse. Mais on ne peut dégarnir ainsi tout un secteur et il faut renforcer les positions tactiques afin que les Grecs ne profitent pas de l’occasion. Les Italiens qui ne veulent pas prélever sur leurs troupes confient la défense de ces positions à des auxiliaires albanais. Cette partie du front jusqu’alors relativement calme ne va pas tarder à être le théâtre d’intenses combats.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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