Skip to content

En lisant Murray N. Rothbard, sur l’éducation

L‘éducation a été et reste un sujet central. J’ai devant moi un essai de Murray N. Rothbard qui traite du sujet. L’édition sur laquelle je m’appuie pour écrire cet article a été établie par l’Instituto Ludwig von Mises, à São Paulo, Brésil, sous le titre « Educação : livre e obrigatória ». Cet essai publié en 1972 expose d’une manière synthétique l’histoire de l’éducation obligatoire en Occident, soit les États-Unis et l’Europe, et depuis la formation des États modernes, soit respectivement la deuxième et troisième parties de cet essai. Je ne rendrai compte que de la première partie.

Dans cette première partie, Murray N. Rothbard évoque le développement et la diversité des êtres humains et ce qu’implique en conséquence l’éducation des enfants pour laquelle il prône la non intervention de l’État en insistant sur la différence entre une éducation obligatoire et une éducation libre.

Murray N. Rothbard ne se présente pas comme un pédagogue, autrement dit il n’entre pas dans des questions d’ordre pédagogique et se limite à expliquer pourquoi l’instruction publique obligatoire relève d’une politique totalitaire.

Aujourd’hui, le rôle de l’État dans ses relations avec les individus, les familles et les communautés est de plus en plus questionné et ce questionnement est central dans la théorie sociale et politique. La question primordiale posée par Kevin Ryan (professeur émérite à l’université de Boston), en 1999, dans sa préface à cette édition, est le déséquilibre (dramatique) entre les familles et l’État, déséquilibre qui favorise radicalement le contrôle de la sphère politique sur la sphère familiale, parents et enfants. A partir de ce constat, des axes sont proposés afin d’espérer mieux favoriser le développement des individus.

 

Murray N. Rothbard (1926-1995)

 

Dans un premier temps, l’éducation se fait spontanément dans un environnement donné. A l’aide de sa raison, l’enfant jauge les autres, ses relations avec eux et le monde en général. Il se jauge lui-même, estime ses capacités tant physiques que mentales. Le terme « éducation » ne peut en aucun cas être limité à l’éducation formelle, à la scolarité qui intervient à peine dans ce processus d’apprentissage au cours duquel l’enfant s’insère dans le monde, dans la société et apprend à se connaître. Ce processus primordial peut véritablement être qualifié d’« autodidacte ».

La nécessité d’une éducation formelle s’appuie sur le fait que les facultés de l’enfant forment un potentiel qu’il convient de développer et de structurer en mettant à sa disposition des disciplines à partir desquelles il puisse s’exercer. Redisons que pour l’essentiel son éducation générale peut se passer d’une instruction formelle et systématique, le monde qui entoure l’enfant lui permettant d’exercer ses facultés spontanément. Mais cette spontanéité ne suffit pas pour le faire accéder à la connaissance intellectuelle qui exige un enseignement formel et systématique avec l’aide d’un professeur (enseignement oral) et/ou du livre (enseignement écrit).

L’instruction formelle s’appuie sur des disciplines précises ; principalement trois d’entre elles ; ce sont des disciplines de base. 1. La lecture, vecteur de la connaissance qui draine par ailleurs les divers arts du langage comme l’orthographe et la grammaire. 2. L’écriture est une autre forme majeure du développement intellectuel de l’enfant. 3. Autre puissant outil, enfin, l’arithmétique. De toutes les disciplines fondamentales, la lecture est la plus importante, la lecture qui commence par l’apprentissage de l’alphabet. Lire à ce sujet « Reading, ‘Riting and ‘Rithmetic » ou les trois « Rs » de Sir William Curtis. Une fois encore, ce qu’apprend une personne au cours de sa vie ne se limite en aucun cas à l’instruction formelle et systématique. Voir l’apprentissage spontané.

L’une des caractéristiques majeures de la nature humaine est la diversité entre individus. Chaque personnalité est unique et les spécificités de caractère sont autrement plus marquées entre les êtres humains qu’entre les animaux d’une même espèce. La variété des individus tend à être simultanément cause et effet du progrès de la civilisation. Lire à ce sujet « Inequality and Progress » de Georges Harris. Plus une civilisation progresse, plus s’affirme la diversité de ses membres, plus il y a « inégalité » – soit non-uniformité. L’enthousiasme pour l’égalité est fondamentalement antihumain car il porte préjudice à la diversité humaine et au développement des personnalités. Le credo de l’égalité est un credo destructeur et mortifère.

L’égalité est cependant bénéfique lorsqu’elle est envisagée dans un sens spécifique, lorsqu’elle suppose l’égalité des chances pour tout individu, une ambiance qui puisse lui permettre de développer ses facultés et sa personnalité. La violence contre l’individu contrarie son développement, aussi la seule égalité qui vaille est l’égalité devant la loi censée protéger tout individu de la violence.

Chaque enfant possède une intelligence et des aptitudes particulières ainsi que des centres d’intérêt variés. C’est pourquoi l’instruction formelle et systématique doit opérer suivant une multiple variété de rythmes et de combinaisons afin d’être en accord avec chaque enfant.

Compte tenu de ce que nous venons de dire, il est clair que le meilleur type d’enseignement est l’enseignement individuel, un professeur pour un élève afin de conduire ce dernier vers le maximum de ses possibilités. Une salle de classe dans laquelle un professeur enseigne à un grand nombre d’élèves est un système inférieur puisqu’il ne tient pas compte – ne peut tenir compte – des spécificités de chaque élève. Dans un tel système l’uniformité est la règle.

Ce système est endémique au monde occidental ; et dans les écoles privées autorisées, toutes doivent se soumettre aux normes d’instruction imposées par les gouvernements. Cette uniformité est une injustice. Tel élève est lent et tel autre est rapide ; mais plus généralement, de nombreux enfants sont rapides dans des matières données et lents dans d’autres matières ; ainsi devraient-ils avoir la possibilité de se concentrer sur ces matières où ils montrent des aptitudes et renoncer aux autres. Bref, l’injustice touche tout le monde d’une manière ou d’une autres, avec les plus lents qui ne parviennent pas à suivre le rythme des plus rapides et les plus rapides qui sont freinés par les plus lents.

L’instruction dispensée par les parents répond à un idéal de justice : soit une instruction individualisée, instruction par ailleurs orientée suivant les meilleures aptitudes de l’enfant – qui connaît mieux un enfant que ses parents ? Presque tous les parents sont qualifiés pour être les professeurs de leurs enfants sur des sujets de base. Ceux qui n’ont ni les compétences ni le temps pour ce faire peuvent engager un tuteur. Les parents devront alors s’efforcer de prendre la mesure des effets de l’enseignement du tuteur choisi et quotidiennement. Un tel enseignement est préférable à celui d’une école privée qui elle aussi a du mal à s’adapter au rythme de chaque élève. La seule raison d’être des écoles publiques (mais aussi privées) est économique : engager un tuteur suppose des dépenses que nombre de parents ne peuvent se permettre. Quoi qu’il en soit, l’école privée est également une solution inférieure car elle suscite de nombreuses injustices envers les élèves, surtout si l’État se mêle de leur imposer des programmes. De fait, et insistons, la meilleure instruction ne peut être que le fait des parents, libre de toutes entraves imposées par l’État. Les parents connaissent mieux que personne les centres d’intérêt et les talents de leurs enfants et de ce fait ils sauront choisir pour eux les meilleurs tuteurs ou les écoles privées les mieux adaptées. Le développement illimité d’écoles privées suivant la loi du marché finira par faire coïncider toujours plus l’offre et la demande.

Par ses décisions destinées à être appliquées à la masse, l’État provoque d’inutiles souffrances sur les enfants. Les programmes imposés par les gouvernements et leurs ministères portent préjudice à la diversité des talents et aptitudes des élèves. Non seulement l’État contrarie le développement des écoles privées spécialisées, plus attentives aux individualités, et l’enseignement parental (avec éventuellement l’appui d’un tuteur), mais il contraint et fait souffrir des enfants qui n’ont pas d’aptitudes pour l’enseignement formel et systématique. C’est une offense criminelle faite à leur nature. Ils souffrent tout en contrariant le développement de ceux qui sont plus adaptés à ce type d’enseignement, un enseignement qui n’a que très peu d’effets sur ceux qui sont en dessous de la « moyenne » et qui ne font que perdre de nombreuses heures de leur vie pour cause d’un décret étatique, décret qui par ailleurs porte préjudice au développement de leur personnalité.

Question centrale : l’orientation de l’enfant doit-elle incomber aux parents ou à l’État ? L’état naturel des choses nous fait incliner du côté des parents en tant que responsables des enfants. Dans une société libre, où chacun est maître de soi et de ce qu’il produit, il est clair que l’enfant est ce qu’ils ont a priori de plus précieux et qu’ils en sont responsables. L’unique alternative logique aux parents quant à l’éducation de leurs enfants est l’État, l’État qui les confisque aux parents pour les éduquer. Il s’agit d’un acte véritablement monstrueux qui viole les droits des parents. Et les droits des enfants sont eux aussi violés, l’État n’ayant que peu de considération pour leur personnalité. Mais (et c’est le point le plus important) pour que l’éducation d’un individu soit effective, elle exige la liberté, soit l’absence de toute violence. Or, l’État doit son existence à l’emploi de la violence et de la coercition. De fait, l’État est l’unique acteur qui puisse faire un usage légal de la violence. Ainsi l’enfant doit-il grandir sous l’égide d’une telle institution.

Comme nous l’avons dit, l’État, cet acteur violent, impose l’uniformité de l’enseignement car elle agrège et facilite la mise en œuvre de l’esprit bureaucratique. L’État ayant collectivisé la propriété individuelle des parents, il en découle que le principe collectif sera également appliqué à l’enseignement, un enseignement qui ne pourra que favoriser le principe d’obéissance à l’État. La liberté est bafouée et de ce fait le développement des facultés individuelles est frustré. Ainsi l’État favorise-t-il le développement d’une race qui lui est soumise.

La passion pour l’égalité s’est confirmée avec l’alignement sur la moyenne dans les salles de classe, un alignement qui tend peu à peu vers les plus faibles. Le développement de l’individu s’est vu toujours plus frustré avec cette inculcation de l’obéissance à l’État et à la collectivité, portant ainsi préjudice à l’esprit d’indépendance et à la réflexion intellectuelle. L’éducation moderne en est venue à abandonner les fonctions scolaires d’instruction formelle pour mieux modeler les enfants à sa guise en les alignant sur les moins éduqués tout en les tenant éloignés des influences extérieures, à commencer par celles de leurs familles. Cette action de l’État est d’autant plus efficace qu’elle est subtile et discrète.

Où fixer la limite de l’ingérence de l’État sur les relations entre parents et enfants ? La réponse est simple. Des parents se comportent cruellement envers leurs enfants et la fonction de l’État doit se limiter à la défense des individus afin d’empêcher toute action violente envers eux.

Il faut lire ce qu’écrit George Harris à propos de l’éducation obligatoire qui ne vise qu’à imposer l’égalité par l’uniformité des programmes. Il faut lire également ce qu’écrit Herbert Read dans les années 1940, dans « The Education of Free Men ». Herbert Spencer quant à lui a simplement rendu compte du despotisme inhérent à l’éducation obligatoire. Isabel Paterson a elle aussi rendu compte de ce despotisme tout en soulignant la supériorité de l’éducation privée dans « The God of the Machine ». Elle signale à raison qu’une fois inculquée la doctrine de la supériorité étatique et la volonté de la majorité en démocratie, il est quasiment impossible de mettre fin à l’emprise du pouvoir politique sur la vie des citoyens. Un système d’éducation obligatoire financé par les impôts représente le modèle parfait de l’État totalitaire.

La liberté scolaire n’est pas moins importante que la liberté de la presse, elle est même plus importante et prioritaire dans la mesure où le formatage des enfants empêchera la formation d’une presse libre.

Olivier Ypsilantis

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*