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En lisant « La nueva Israel » de Ramiro de Maeztu – 2/2

 

Ramiro de Maeztu poursuit : « Anglais, Français ou Allemands auront de droit de le considérer (le Juif) comme l’un des leurs et d’exiger de lui qu’il se comporte non seulement dans la vie légale mais aussi sociale – mais pas dans la vie religieuse – comme s’il était l’un des leurs. Et le Juif qui choisira une nationalité qui ne soit pas l’israélienne le fera en toute conscience, étant entendu que ce choix implique une rupture avec sa propre nation, un choix comparable à celui du non-Juif qui aujourd’hui se dénationalise ». Étrange raisonnement. Ne pourrait-on pas avoir plusieurs nationalités sans trahir ni l’une ni l’autre ? Ne peut-on pas être israélien et français ? On reproche aux Juifs de jouer sur deux tableaux, un reproche qui prend appui sur un présupposé, à savoir que si le Juif a une double nationalité c’est parce qu’il a une idée derrière la tête, comme l’agiotage. Un homme, et pas nécessairement un Juif, peut se sentir d’ici et de là-bas, d’ailleurs. J’ai pour ma part toujours vécu avec ce sentiment. Aristophane disait : « Où l’on est bien, là est la patrie ». Cela peut sembler un peu simple, mais il faut le rappeler car cette chose simple est trop souvent oubliée voire ignorée.

Donc, en fin d’article, Ramiro de Maeztu félicite le Gouvernement anglais pour sa généreuse initiative, la déclaration Balfour, qui satisfera « l’idéal des meilleurs israélites », une générosité qu’il suppose calculée à des fins de guerre (ce qui n’est pas faux), soit repousser l’Ottoman en s’alliant des troupes juives. Ramiro de Maeztu referme son article sur cette considération, à savoir que le sionisme a pris forme chez les Juifs originaires des Imperios centrales, qu’il est essentiellement austro-hongrois, une appréciation qui me semble à moitié vraie car c’est oublier le rôle de la communauté juive polonaise, au moins aussi considérable que celui de l’Empire austro-hongrois (la Pologne est alors intégrée à l’Empire russe), c’est oublier celui de la communauté juive de l’immense Russie où l’antisémitisme est alors plus féroce, plus sanglant que dans l’Empire austro-hongrois.

 

 

Mais les dernières lignes expliquent cet oubli. Il écrit : « Et il se trouve que les Empires centraux ont pu donner la Palestine aux Juifs car ces empires sont le pouvoir effectif qui dirige la Turquie ; mais ce ne sont pas eux mais l’Angleterre qui la leur donne ». J’ai quelques difficultés à m’y retrouver. Tout d’abord, Ramiro de Maeztu semble accorder une importance démesurée aux Juifs des Empires centraux au détriment des Juifs de l’Empire russe (Pologne, Ukraine, etc.) dans la formation d’une Palestine juive. Par ailleurs, il sous-entend que si l’Angleterre a bien « donné » la Palestine aux Juifs, ce sont les Juifs austro-hongrois qui ont fait pression sur l’Empire ottoman (l’un des éléments de cette coalition constituée par les Empires centraux) pour qu’il leur « donne » la Palestine. Bizarre. Quelque chose doit m’échapper. Les troupes ottomanes auraient finalement reculé pour laisser le terrain libre à la formation d’un État juif sous la pression des responsables des Empires centraux désireux de satisfaire le rêve de l’immense majorité de leurs citoyens juifs, soit près de deux millions de citoyens. Loin de moi l’idée de nier l’influence allemande en Turquie mais l’histoire de Ramiro de Maeztu me semble en ma circonstance tirée par les cheveux. Par ailleurs, il surestime l’influence des Juifs sur les dirigeants des Empires centraux.

Bref survol de « La Hispanidad en crisis » de Ramiro de Maeztu, sixième et dernière partie, divisée en deux blocs. Je vais m’arrêter sur celui qui s’intitule « Contra moros y judíos ».

Tout d’abord, l’auteur invite l’Espagnol à se redresser et à cesser de se croire inférieur aux autres peuples. Noble invitation étant entendu qu’aucun peuple n’est inférieur ou supérieur à un autre peuple, une considération ne doit pas nous empêcher de professer des préférences ; et je ne me prive pas de le faire car je ne me suis jamais contenté du « On est tous frères » et encore moins du « Touche pas à mon pote », slogan affreusement condescendant, tant envers « mon » pote qu’envers celui qui est invité à ne pas y toucher, slogan qui n’a jamais fait que traduire l’arrogance du petit bourgeois de gauche à la recherche de protégés et d’une excellence morale de pacotille.

J’en reviens à Ramiro de Maeztu. Il cite Marcelino Menéndez y Pelayo, grand esprit que je lis avec plaisir sans partager pour autant nombre de ses idées, tout en m’efforçant de les replacer dans leur contexte et d’adopter envers elles une attitude neutre afin de mieux espérer les appréhender dans leur totalité. Je fais de même avec Ramiro de Maeztu lorsqu’il juge que l’influence étrangère (extranjerización) sur l’âme espagnole est la raison de la décadence de l’Espagne. Les Espagnols et les Hispano-américains seraient tombés à partir du XVIIIe siècle dans une admiration sans réserve de l’étranger, une aliénation – un enajenamiento. Et il enfourche le cheval de bataille des conservateurs espagnols, à savoir que ce phénomène est venu de la France, soit el afrancesamiento (la francisation) de la Cour, de l’aristocratie et, plus tard, des intellectuels.

 

 

Ramiro de Maeztu poursuit en nous disant que « le caractère espagnol s’est formé dans une lutte multiséculaire contre les Musulmans et contre les Juifs. Face au fatalisme musulman s’est cristallisée la foi en la liberté de l’homme et le libre-arbitre contre le fatalisme musulman ». Et il fait allusion à la définition de l’islam donnée par Oswald Spengler. Qu’un peuple se soit en partie constitué par des luttes en tout genre contre un ou d’autres peuples, tout le monde en convient. Israël ne serait pas ce qu’il est si ses habitants n’avaient pas eu à affronter une hostilité quasi générale et à subir de multiples attaques venues des pays arabes.

L’islam, poursuit Ramiro de Maeztu, accorde plus d’importance que nous (les Espagnols) aux circonstances et moins à la liberté de l’homme. Je n’ai pas grand-chose à ajouter sur cette question et je ne pleurerai pas l’expulsion des Musulmans d’Espagne et de la péninsule ibérique.

Ce qu’il dit de l’Espagne face aux Juifs mérite plus d’attention et, une fois encore, je sais que Ramiro de Maeztu (comme tant d’intellectuels de la generación del 98) a été profondément marqué par la décadence de son pays, par la perte des derniers restes de son empire face à la montée en puissance des États-Unis. Je ne perds pas de vue un contexte historique particulier, son influence sur les individus, et j’en prends note.

Les Juifs… Ramiro de Maeztu nous dit que les Juifs sont le peuple le plus exclusif du monde, et que de ce fait ils ont contribué à forger le sentiment de catholicité et d’universalité des Espagnols. Fort bien. J’en reviens à Léon Askénazi, à une présentation que j’ai faite dans un article publié sur ce blog : « Universalisme de la foi juive ». Cet article commence ainsi :

« Religion universelle et religion universaliste, quelle est la différence ? Une religion de type universel prétend englober le genre humain. Elle est de par sa propre logique interne prosélyte et “impérialiste”, ce qu’a longtemps été le christianisme. Il semble toutefois que depuis Vatican II, la chrétienté s’oriente toujours plus vers une religion de type universaliste. Une religion de type universaliste envisage que tout être humain puisse “faire son salut” moyennant certaines conditions minimales, essentiellement morales. C’est le cas du judaïsme avec les “sept lois de l’alliance de Noé”. Ces deux types de religions renvoient donc à deux types de monothéismes : la religion universelle pouvant être représentée par l’islam, la religion universaliste par le judaïsme ». Tout est dit : le judaïsme est universaliste, l’islam et le christianisme sont universels.

Ramiro de Maeztu commet une grave erreur. L’obsession du peuple juif n’est pas de maintenir « la pureza de raza ». Ce sont les Chrétiens et leur Inquisition qui ont envisagé les Juifs comme une race avec ce concept de « limpieza de sangre / limpeza de sangue ». On oublie que parmi les peurs de l’Église, il y eut celle, récurrente, de supposées tentatives juives pour convertir les Chrétiens. Affirmer que les Juifs se considèrent comme une race plus que comme une communauté religieuse dénote : soit une profonde méconnaissance favorisée par un héritage national, soit un aveuglement volontaire. Il y a bien un peuple juif, il n’y a pas de race juive ; et celui qui n’est pas capable – ou qui refuse – de faire la différence entre race et peuple finit dans un chaos mental et suppôt des pires théories. « Les Juifs croient en leur propre sang et en aucun autre ». Ramiro de Maeztu commet une profonde injustice et ne fait que reprendre une obsession venue de l’Inquisition – « la limpieza de sangre / limpeza de sangue » – pour la retourner insidieusement contre les Juifs en les accusant de se considérer comme une race, une race à part. Il y a dans cette démarche quelque chose de profondément distordu, d’odieux même.

 

 

Ramiro de Maeztu nous apporte « la preuve » que les Juifs ne sont pas une communauté religieuse : ils se sont pas prosélytes. Faux ! Il y a eu un prosélytisme juif à certaines époques et en certains lieux ; mais il est vrai qu’en regard des entreprises chrétiennes et musulmanes, le phénomène a été plutôt insignifiant. Mais, surtout, Ramiro de Maeztu semble ignorer qu’un goy converti au judaïsme est juif à part entière, juif aux yeux des Juifs alors qu’il ne l’est pas vraiment aux yeux des non-Juifs, des Chrétiens surtout, ce qui suffit à prouver que les Juifs se considèrent comme un peuple alors que les non-Juifs, surtout dans le monde chrétien et post-chrétien, les considèrent comme une race.

Son histoire de Samaritain à l’appui de sa thèse ne me convainc pas. Et je traduis ce passage que je laisse à l’appréciation des lecteurs : « Et par ailleurs, un Juif reste juif quand il abjure sa foi. C’est pourquoi il nous obligea à établir l’Inquisition. Nous ne pouvions nous fier à leur (supposée) conversion, car l’Histoire nous enseigne que les Juifs pseudo-chrétiens, pseudo-païens, pseudo-musulmans qui adoptèrent lorsque cela les arrangeait une étrange religion revenaient à la leur lorsqu’une occasion se présentait, même s’il leur avait fallu attendre plusieurs générations ». Ramiro de Maeztu semble oublier que parmi les mystiques, penseurs et prélats chrétiens d’Espagne, les Juifs convertis furent nombreux et que sans eux le catholicisme espagnol aurait été intellectuellement et spirituellement bien plus pauvre.

Ramiro de Maeztu devient franchement ignoble lorsqu’il déclare que les Juifs n’ont pactisé avec l’Espagne que par duplicité morale, une duplicité enseignée par certains préceptes du Deutéronome, ce qui explique la réaction des Chrétiens d’Espagne et, supposément, de l’Inquisition.  Il s’agit d’une logique dévoyée et durement fermée sur elle-même par laquelle les pires actions contre les Juifs se trouvent justifiées.

Les traits fondamentaux du caractère espagnol se sont dessinés dans la lutte contre les Musulmans (Moros) et les Juifs, lutte contre le fatalisme des premiers (avec le libre-arbitre symbolisé par Miguel de Cervantes et son personnage El Quijote) et contre l’exclusivisme des autres auquel les Espagnols ont opposé la conviction qu’il n’y a pas de race privilégiée. Ces deux grandes « vertus » ont permis aux Espagnols d’asseoir leur autorité morale, autorité qui n’a pu être pleinement effective car les Espagnols ont fini par tomber dans la superstition des valeurs venues de l’étranger au détriment de leurs valeurs propres, par souffrir d’un « complejo de inferioridad ». Nous avons affaire à des jugements fermés activés par des préjugés. J’en ai pris note, je les ai exposés en tenant compte du contexte dans lequel ils ont été formulés. Je les réprouve, surtout en ce qui concerne les Juifs d’Espagne, sans chercher à limiter la pensée de Ramiro de Maeztu à ces jugements. Les grands ont eux aussi leurs petitesses.

Olivier Ypsilantis

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