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Deux personnalités portugaises, Duarte Pacheco et Porfírio Pardal Monteiro

Au cours de mes voyages au Portugal, dans des villes et des villages, dans le Portugal continental et insulaire (archipels des Açores et de Madère), j’ai été frappé par l’austère beauté de la plupart des constructions de l’Estado Novo, qu’il s’agisse d’édifices publics, d’immeubles d’habitation ou de maisons particulières. Au cours de mes marches lisboètes, j’ai toujours un même plaisir à contempler ces constructions années 1930-1940 et même 1950.

Parmi les noms qui se tiennent derrière tant de réalisations, l’un d’eux s’impose, Duarte Pacheco, un ministre d’António de Oliveira Salazar. En avril 1928, Duarte Pacheco est nommé ministro da Instrução Pública, la veille de ses vingt-huit ans, à la demande du nouveau chef du Gouvernement (un gouvernement issu du coup d’État du 28 mai 1926), le général José Vicente de Freitas, un républicain conservateur qui soupçonne Salazar de sympathies monarchistes. Il reconnaît toutefois à ce dernier le mérite d’avoir promptement remis de l’ordre dans des finances publiques en faillite. Mais Salazar ne s’attarde pas au gouvernement où il se sent à l’étroit et il regagne l’université de Coimbra. Conscient des compétences de Salazar, José Vicente de Freitas veut le rappeler mais sans avoir à le faire directement et, à cet effet, il sollicite le plus jeune de ses ministres, Duarte Pacheco, qui se rend à Coimbra pour y rencontrer Salazar qui accepte de réintégrer le gouvernement après avoir obtenu l’assurance qu’il y aurait toute liberté de manœuvre.

Au mois de novembre 1928, c’est au tour de Duarte Pacheco de quitter le gouvernement. Il le réintègre en juillet 1932 alors que Salazar qui est devenu Presidente do Conselho (soit Premier ministre) lui propose de devenir son Ministro das Obras Públicas e Comunicações. Duarte Pacheco s’était fait connaître par l’ensemble monumental de l’Instituto Superior Técnico (I.S.T.) où il avait été élève puis professeur et enfin directeur, une ascension effectuée en un temps record et hors du parcours académique habituel, une ascension qui devrait beaucoup à sa relation avec Caetano Beirão da Vega, professeur à l’I.S.T. et administrateur délégué de la société propriétaire du Diário de Notícias.

 

L’Instituto Superior Técnico (I.S.T.) de Duarte Pacheco à Lisbonne

 

Duarte Pacheco va mener avec l’architecte Porfírio Pardal Monteiro, rencontré à l’I.S.T., la construction de cet ensemble qualifié d’œuvre de mégalomane. Mais Duarte Pacheco voit loin. Afin de financer ce projet, il achète des terrains dont la superficie dépasse largement celle qui sera attribuée à l’I.S.T. pour y construire des habitations dont la vente permettra d’amortir les coûts de ce projet. Duarte Pacheco est écarté du gouvernement, à son grand dépit, avant que Salazar ne lui propose le poste de Presidente da Câmara Municipal de Lisboa, poste qu’il occupe de janvier à mai 1938. Il accepte ce poste mais sans cacher sa déception, il accepte « apesar de tudo ». Au bout de cinq mois, Salazar le rappelle à son poste Ministro das Obras Públicas e Comunicações, poste qu’il occupe de mai 1938 à sa mort accidentelle en novembre 1943 : il le rappelle car il a besoin de lui pour mettre en œuvre l’Exposição do Mundo Português, un projet auquel ne participera pas Porfírio Pardal Monteiro. Les deux hommes se sont brouillés pour des raisons qui ont donné lieu à diverses suppositions.

Il est communément admis que la qualité des réalisations de Duarte Pacheco s’explique par l’excellence des architectes et des ingénieurs dont il s’est s’entouré mais aussi par l’étroite collaboration entre ces deux professions, une collaboration qui n’était alors guère valorisée par l’État, les architectes étant alors moins considérés que les ingénieurs. Avec Duarte Pacheco, les édifices de Correios, Telégrafos e Telefones (C.T.T.) sont supervisés par des architectes. Les architectes sont également impliqués dans les projets d’urbanisme. Autre legs de Duarte Pacheco, les Planos Diretores Municipais (P.D.M.) comme celui de Lisbonne.

Duarte Pacheco, une puissance de travail hors du commun et qui deviendra légendaire. Il ne cesse de contrôler l’avancement des travaux en se rendant sur les chantiers. Par ailleurs (et c’est l’une des marques de l’Estado Novo), il se montre très attentif aux devis, très scrupuleux quant aux dépenses. On se souvient de son opposition au lobby du ciment. Cet homme mort à l’âge de quarante-trois ans a laissé dans tout le pays d’importantes réalisations par ailleurs très diverses : la Estrada Marginal Lisboa-Cascais, l’Auto-Estrada Lisboa – Estádio Nacional (l’une des premières autoroutes du monde, inaugurée en mai 1944), l’Instituto Superior Técnico, la Casa da Moeda, l’Aeoporto de Lisboa, les Cidades Universitárias (de Lisbonne et de Coimbra), et la liste n’est pas exhaustive.

Bien qu’il ait été ministre de Salazar, le Viaduto Duarte Pacheco n’a pas changé de nom après la Révolution des Œillets, le 25 avril 1974. En 1993, à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa mort, une statue a été érigée à sa mémoire à côté de ce viaduc.

Duarte Pacheco, un nom indissociable du paysage portugais. La liste de ses réalisations commence donc par les nouvelles installations de l’I.S.T., sur l’Arco do Cego à Lisbonne, l’I.S.T. qui unit deux hommes, Duarte Pacheco (1900-1943) et Porfírio Pardal Monteiro (1897-1957), l’architecte qui a conçu les édifices les plus originaux et harmonieux de Lisbonne dans les années 1930-1940-1950.

Porfírio Pardal Monteiro commence sa carrière dans les années 1920, avec de nombreuses commandes, tant de particuliers que de l’État. Ainsi conçoit-il la Estação do Cais do Sodré, à Lisbonne, une gare qui a été remodelée et amplifiée il y a peu pour devenir l’un des principaux nœuds de communication de la ville. Cet ensemble conserve ses façades et le hall d’origine ; c’est l’un des plus beaux témoignages Art Déco de Lisbonne et combien de fois ai-je détaillé chacun de ses éléments et toujours avec le même plaisir ?

 

Estação do Cais do Sodré de Porfírio Pardal Monteiro

 

C’est en août 1928 que Porfírio Pardal Monteiro fait la connaissance de Duarte Pacheco, à l’occasion de l’inauguration de la gare dont il vient d’être question. Duarte Pacheco (et il n’est pas le seul) est impressionné par l’esprit novateur de cet architecte et, peu après avoir été nommé directeur de l’I.S.T., il lui confie la construction du nouvel I.S.T. Porfírio Pardal Monteiro laisse aussi sa marque à Porto avec notamment la construction du siège de la Caixa Geral de Depósito, inauguré en 1931, Avenida dos Aliados, et qui reste l’une des constructions emblématiques de la deuxième ville du Portugal.

L’énorme ensemble de l’I.S.T. est composé de neuf blocs clairement séparés les uns des autres afin de permettre d’éventuels agrandissements. Ce sont huit blocs disposés en symétrie de part et d’autre d’un bloc dominant, le tout placé devant un vaste espace libre destiné à souligner la stricte symétrie de l’ensemble, un ensemble édifié au cours de la première moitié des années 1930, dans une esthétique puriste, avec parallélépipèdes rectangles dénués de tout ornement, hormis l’édifice central – son atrium riche en marbres et ses quelques décorations extérieures.

Porfírio Pardal Monteiro est le principal représentant du fonctionnalisme au Portugal. Dans les années 1940, il édifie le siège du Diário de Notícias, Avenida da Liberdade, à Lisbonne, ce qui lui vaut le Prémio Valmor. Dans le hall, une vaste fresque d’Almada Negreiros. Autre édifice emblématique de Lisbonne conçu par cet architecte, les Gares marítimas, soit celles de Doca de Alcântara (inaugurée en 1943) et celle de Rocha do Conde de Óbidos (inaugurée en 1948), des projets conçus entre 1934 et 1939 dans le Style International. A l’intérieur de ces gares, le visiteur peut contempler les plus grandes compositions d’Almada Negreiros.

Cet article n’est en rien exhaustif, tant en ce qui concerne Duarte Pacheco que Porfírio Pardal Monteiro. Il ne vise qu’à piquer la curiosité des lecteurs. L’architecture portugaise est d’une très grande richesse, au Portugal continental et insulaire mais aussi dans ces pays qui sur presque tous les continents firent partie de l’Empire portugais, avec architectures civile, militaire, religieuse. Le catalogue de ces réalisations et sur plusieurs siècles est énorme. Les constructions de l’Estado Novo méritent notre attention. Elles s’inscrivent dans le style international, ou « International Style » (les rapports avec le Bauhaus sont évidents), avec toutes les qualités que suppose ce style. La touche portugaise n’est pas absente, notamment avec ces charmantes écoles primaires du Plano dos Centenários que j’ai souvent admirées dans les villages du Portugal, tant continental qu’insulaire, des écoles conçues à partir d’un modèle standard destiné à réduire les coûts (une tendance très marquée chez le chef de l’Estado Novo, un homme au mode de vie sévère), à respecter la séparation filles/garçons, à ajuster le nombre de salles aux besoins locaux tout en prévoyant d’éventuelles extensions. Ces écoles primaires mériteraient un article à part. Il me faudrait également évoquer les lycées, dont celui de Beja de Cristino da Silva, un architecte aussi doué que Porfírio Pardal Monteiro.

Le touriste n’a que trop tendance à s’arrêter sur le Portugal aux palais couverts d’azulejos. Certes, ils sont charmants et délicats ; mais l’architecture portugaise ne se limite pas à eux. Elle est d’une immense richesse, tant dans l’espace que dans le temps ; et les constructions de l’Estado Novo contribuent à cette richesse et assez généreusement.

C’est sous l’Estado Novo qu’est élaboré le Plano Director de 1938-1948, un plan qui envisage la totalité de la capitale, avec des axes structurants, et qui prévoit des expropriations massives, un sujet de discorde entre Salazar et Duarte Pacheco, ce qui vaudra à ce dernier d’être démis de son poste de Ministro das Obras Públicas e Comunicações, en janvier 1936. Ce plan est monumental tant au niveau urbanistique qu’architectural, avec ses vastes ensembles résidentiels. C’est avec le Plano Director que Lisbonne commence à se penser comme une ville du XXe siècle. Parmi ses maîtres d’œuvre, les architectes Francisco Keil do Amaral et Inácio Peres Fernandes ainsi que les urbanistes Guilherme Faria da Costa et Étienne de Gröer.

Il me faudrait évoquer l’Exposição do Mundo Português (1940) où se mêlent et s’harmonisent des éléments internationaux et nationaux. Il me faudrait évoquer la partie haute de la ville universitaire de Coimbra (Alta de Coimbra), sans oublier l’Hospital de Santa Maria, le plus grand édifice public du pays. Il me faudrait évoquer tant d’autres noms, tant d’autres réalisations…

Je ne suis en rien un défenseur de l’Estado Novo, pas plus que ne l’était l’architecte Francisco Keil do Amaral (qui a pourtant laissé une marque durable dans la Lisbonne de Salazar, notamment avec le Parque Florestal da Cidade), mais je ne puis taire mon plaisir à étudier les proportions des nombreux édifices en tout genre laissés par ce régime, et j’invite le voyageur à partager mon plaisir.

Lorsque je me suis rendu au Portugal pour la première fois, j’étais étudiant, en sac à dos comme tous ceux de ma génération, mon premier contact avec l’architecture de l’Estado Novo s’est fait par les écoles rurales du Plano dos Centenários (initié en 1941), avec ses presque trois mille écoles dans tout le pays. Le Plano dos Centenários prévoyait une standardisation de la construction, une production en série d’écoles – et déjà pour baisser leur coût. Mais cette tendance internationale connut des déviations. Un module de base fut certes respecté mais l’accent fut mis sur le caractère régional, notable dans l’emploi des matériaux architectoniques et dans les volumes (de plain-pied ou avec étage, avec cheminée ou sans, etc.).

J’évoque ces écoles car j’ai pour elles une tendresse particulière : elles sont attendrissantes comme les jouets en bois de Nuremberg ; et la mémoire d’une école de village n’est pas moins riche que la mémoire d’un hôtel de province. La dernière fois que j’ai admiré une école du Plano dos Centenários, c’était aux Açores, à São Miguel, dans un village à l’ouest de la plus grande île de cet archipel, à Mosteiros, une construction à un étage, harmonieuse, blanche, avec des ouvertures que soulignait une pierre volcanique presque noire, comme le sable de la plage à quelques pas.           

 Olivier Ypsilantis

   

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