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Deux eccentric : Edward Lear et William Heath Robinson – 2/2

 

Lorsque William Heath Robinson (1872-1944) termine ses études, il incline vers la peinture de paysage, une inclinaison qui ne le quittera pas. Mais le besoin de s’assurer des revenus le pousse vers une autre forme d’expression, a priori plus facile à commercialiser. Ses frères aînés Charles et Tom sont déjà établis comme illustrateurs. Il les rejoint et commence modestement.

Sa première commande publiée, des illustrations pour The Sunday Magazine, pour une série intitulée « The Story of Hannah » écrite par William James Dawson. Sa première commande destinée à illustrer un livre date de 1897, avec Bliss Sands & Co. En 1900, William Heath Robinson est reconnu comme l’un des meilleurs illustrateurs du pays avec cette suite d’illustrations pour « Poems of Edgar Allan Poe » dans laquelle il s’adonne au style Art Nouveau. En 1902, il commence à s’assurer une certaine sécurité financière avec la publication de « The Adventures of Uncle Lubin », un livre non seulement illustré mais écrit par lui. Cette publication attire l’attention de la compagnie Lamson Paragon Supply Co. qui lui passe commande de dessins publicitaires. Il illustre pour Grant Richards « The Child’s Arabian Nights » puis il s’attelle à un travail monumental, soit l’illustration de « The Works of Rabelais » avec cent dessins en pleine page et plus de cent frontispices et vignettes, une édition de luxe qui conduit l’éditeur Grant Richards à la faillite en novembre 1904.

 

Une Contraption de William Heath Robinson

 

Suite à cette mésaventure, William Heath Robinson cherche de nouvelles sources de revenus, en particulier des commandes avec paiement immédiat. Les commandes les plus intéressantes lui viennent d’hebdomadaires de qualité qui publient dans chaque numéro des dessins humoristiques en pleine page. Dans ses premiers dessins pour ces magazines, il caricature le goût late-Victorian et Edwardian pour les peintures allégoriques sur des thèmes tels que « Love » et « Hope ». The Tatler en accepte un certain nombre et en publie dix-huit entre mars 1905 et février 1906.

Un article de décembre 1907, écrit par Marion Hepworth Dixon, intitulé « The Delicacy of Humour » et publié dans The Ladies’ Realm fait l’éloge de son travail. On peut notamment y lire : « Mr W. Heath Robinson is an artist at once so thorough, so conscientious and so original that he can be compared for the moment only with himself. A quaint exaggeration may be said to be the source of his humour, a humour that, unlike that of most of his contemporaries, needs little illumination or explanation in the way of accompanying text ».

En 1912, William Heath Robinson devient connu pour ses contraptions qui peuvent être présentées de la manière suivante : «… the fantastic limner of the dust-heap, the lumber room, the battered tin can, the strange bird and the stranger inhuman being, which contribute the material of his queer makeshift mechanical devices. »

Le Cambridge Dictionary donne la définition suivante du mot contraption : « A device of machine that looks awkward or old-fashioned, especially one that you do not know how to use. »

L’humour de William Heath Robinson ne tient pas tant à ses machines fantasques qu’à ses observations sur les gens ordinaires, en particulier ceux qui se prennent (trop) au sérieux. Ses contraptions ne sont qu’une manière de souligner les complications que ces gens élaborent pour pas grand-chose : c’est un peu l’éléphant qui accouche d’une souris. Que de contorsions, que de simagrées, que d’emphase, que de pose, que de prétention pour quelque chose qui ne vaut pas un pet de lapin ! Ce faisant, William Heath Robinson ne dénonce pas seulement des individus mais des organisations et des institutions.

Le meilleur de son humour s’est exprimé dans les années qui précédèrent la Première Guerre mondiale. Sa technique est alors parfaitement au point et ses éditeurs ne lui imposent encore aucune contrainte. Le traitement et les thèmes sont libres et tendent vers une sorte de surréalisme aux tonalités volontiers macabres. Le relatif assagissement qui suit cette période est-il venu de lui-même ou bien lui a-t-il été suggéré par ses éditeurs désireux de ménager la sensibilité de leurs lecteurs ?

Ses dessins sont populaires non seulement en Angleterre mais aussi en Europe et en Amérique. William Heath Robinson poursuit sa carrière d’illustrateur après 1914 mais la demande se porte surtout sur ses dessins humoristiques. En 1909, il a dessiné pour The Sketch une suite intitulée « Am Tag » qui rend compte d’une imminente attaque allemande. Les six premiers dessins de cette suite montrent différentes manières dont les Allemands pourraient tenter de pénétrer en Grande-Bretagne et les inventions et subterfuges grâce auxquels la Home Guard pourrait parvenir à les repousser.

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, William Heath Robinson a déjà fait preuve de sa capacité à déjouer par la satire et son sens de l’absurde la pompeuse propagande allemande ainsi qu’à atténuer la terreur suscitée par les horreurs de la guerre. Ainsi remplace-t-il le gaz moutarde par des gaz hilarants avec un dessin montrant au premier plan des soldats britanniques se tordant de rire dans leur tranchée tandis que des soldats allemands diffusent ce gaz à l’aide d’un système aussi imposant que loufoque.

Cette imagination débonnaire soulage les anxiétés et amène le sourire, ce qui explique son franc succès tant auprès des civils que des militaires. Ses dessins dispersés dans la presse sont très vite rassemblés en livres tels « Some Frightful War Pictures » (1915) puis « Hunlikely » (1916). Le H ajoutez à Unlikely s’explique par le fait que les Allemands sont alors désignés comme les « Huns ». Au cours de la dernière année du conflit, le magazine Flying lui commande une suite de dessins. William Heath Robinson a depuis longtemps un goût prononcé pour les machines diversement volantes. Cette guerre lui permet de combiner son goût pour les mechanical contraptions et la satire de la guerre.

La guerre terminée, William Heath Robinson revient au dessin publicitaire et au dessin humoristique pour magazines afin de s’assurer une certaine sécurité financière. Ainsi, durant les années 1920, il multiplie les dessins pour la presse dont The Bystander. Dans ses dessins, les personnages impliqués dans les activités que supposent les contraptions sont si appliqués que l’observateur en vient à se demander si toutes ces installations sont vraiment parfaitement insensées et s’il ne conviendrait pas de s’efforcer d’en découvrir le sens. Ce questionnement est renforcé par la précision du dessin, par l’application mise par l’artiste. William Heath Robinson fut très conscient du fait que le sérieux de ses personnages impliqués dans des activités véritablement ahurissantes et la minutie de ses dessins se répondaient et ainsi augmentaient la perplexité du public.

« Testing artificial teeth in a modern tooth works » est un dessin particulièrement intéressant dans la mesure où il décrit la condition humaine. Il montre un mécanisme considérable conçu et activé par une multitude d’experts qui tous s’affairent à leur poste respectif. La précision de la composition souligne « the pomposity, fussiness and self-importance of the experts ».

Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, William Heath Robinson est très sollicité. The Sketch lui propose une page hebdomadaire. Il met en scène une « sixth column », soit une équipe de civils qui se propose de contrarier les plans diaboliques d’une cinquième colonne. William Heath Robinson rend compte des exploits de cette « sixth column ».

Au cours de la Première Guerre mondiale l’ennemi est volontiers caricaturé et d’une manière plutôt débonnaire voire joviale, un ton qu’il ne peut adopter pour caricaturer les nazis. Aussi se contente-t-il d’appliquer sa manière aux soldats britanniques et aux civils en action sur le home front. Il décède au cours de la Deuxième Guerre mondiale, le 13 septembre 1944.

Olivier Ypsilantis

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