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Des temps de l’histoire iranienne – 2/3

 

L’identité iranienne est un tout qui allie amplitude et densité. Ce sentiment d’identité repose sur la solide conscience d’appartenir à l’une des plus anciennes civilisations de l’humanité, civilisation qui englobe un héritage pré-islamique mais aussi islamique. Empressons-nous toutefois d’ajouter que contrairement aux pays arabes où religion et identité ethnique sont indiscernables, la culture iranienne puise aussi dans une autre mémoire collective que l’islam, ce qui nous permet d’envisager un futur plus harmonieux entre l’Iran et le reste du monde. Les Arabo-musulmans possèdent un héritage culturel bien moindre ; de ce fait ils sont mentalement moins souples, moins aptes à certains exercices…

Au début de la révolution conduite par l’ayatollah Khomeini, le pouvoir clérical s’efforce d’en finir avec les symboles de la Perse antique et de faire débuter l’histoire de ce pays à l’arrivée de l’islam. Ce genre de manœuvre qui ne pose aucun problème dans les pays arabes (à commencer par l’Arabie Saoudite, cœur de l’islam sunnite) n’opère pas chez les Iraniens, considérant leur prodigieux héritage. Les manœuvres du pouvoir clérical n’ont fait que réactiver l’attachement des Iraniens à cet héritage. Il suffit de voyager en Iran avec les yeux bien ouverts pour s’en rendre compte. C’est aussi cet attachement collectif à une telle mémoire qui soutient mon espoir d’un bel avenir entre l’Iran et le monde, en particulier avec Israël.

Quelques précisions sur la langue persane, une langue qui a environ cent millions de locuteurs, principalement en Iran, en Afghanistan et au Tadjikistan, ainsi que dans certaines régions d’Ouzbékistan, sans oublier la diaspora iranienne. En Afghanistan, le persan est l’une des deux langues officielles (avec le pachtoune). Le persan est également la langue officielle du Tadjikistan. En Ouzbékistan, la langue et la culture persanes sont menacées par un nationalisme radical.

La langue persane est une langue indo-européenne issue du moyen perse (le pahlavi) lui-même issu du vieux perse et de l’avestique (voir l’Avesta des Zoroastriens). Le pahlavi tient au parthe (langue du Nord) et au moyen perse (langue du Sud) qui finira par supplanter le parthe – tout en lui faisant des emprunts – pour devenir la langue officielle de l’Empire sassanide (224/226 – 651 ap. J.-C.). Lorsque les Arabes envahissent l’Iran (en 651 ap. J.-C.), ils veulent imposer leur langue. L’influence arabe sera plus sensible dans le Sud-Ouest du pays que dans le Nord-Est (région du Khorassan). Et c’est précisément dans cette région que s’affirme dès le IXe siècle le persan, le persan qui s’écrira en caractères arabes. L’alphabet arabo-persan a trente-deux lettres, tandis que l’alphabet arabe n’en a que vingt-huit. En effet, les Iraniens ont dû ajouter quatre lettres afin de mieux rendre les sons propres à leur langue.

 

Carte des langues iraniennes

 

Sous la protection des dynasties iraniennes plus ou moins indépendantes du califat de Bagdad, le persan devient la langue de la Cour et des villes d’Iran avant de devenir la deuxième langue de l’islam après l’arabe. Il s’agit d’une langue transnationale dont le rayonnement ira de l’Anatolie au Nord et au Centre de l’Inde, du Caucase à la Transoxiane. A partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, la poussée russe et anglaise portera préjudice à ce rayonnement.

Le « monde iranien » ne se limite pas aux actuelles frontières de l’Iran. Ce monde va de la chaîne du Zagros (au sud de la mer Caspienne) aux régions occidentales de la Chine. Comparé aux mondes arabe et turc, le « monde iranien » est certes bien plus ancien mais aussi moins homogène, avec notamment la présence d’importantes minorités de langues iraniennes autres que le persan (Kurdes, Pachtounes, Baloutches) et de langues turques (Azéris, Turkmènes, Ouzbeks). Pourtant, et depuis plus de mille ans, un même espace culturel s’est structuré, un espace pré-islamique mais aussi islamique. L’islam s’est superposé au fond zoroastrien du monde iranien, constituant ainsi un univers particulièrement riche qui a donné au monde musulman ses plus grands hommes de science, philosophes, mystiques et artistes (arts picturaux, musicaux, architecturaux). Le « monde iranien » est donc complexe, fragmenté et de ce fait fragile, mais il reste dynamique par sa diversité, un dynamisme qui rend ce monde potentiellement plus ouvert au reste du monde, en dépit des terribles aléas de l’histoire et des graves questions géopolitiques qui nous sont posées.

L’Iran est non seulement l’un des très rares États qui puissent se prévaloir d’une histoire plusieurs fois millénaire mais aussi d’être à l’origine d’un des premiers empires de l’histoire, l’Empire achéménide fondé par Cyrus le Grand et ses successeurs, notamment Darius qui non seulement l’agrandit mais, surtout, le dote de la meilleure organisation politico-administrative de son temps. L’Empire achéménide se poursuit avec Alexandre le Grand qui n’aura cessé de se considérer comme l’héritier direct de Cyrus. Ce n’est qu’après la mort d’Alexandre le Grand que cet empire est démembré, et par ses généraux. Vers 250 av. J.-C. s’amorce une réaction contre l’hellénisation avec la formation de l’Empire parthe des Arsacides, les Parthes qui devront combattre contre les Scythes et les Romains.

Aux Parthes succèdent les Sassanides (226-641 av. J.-C.), des Zoroastriens originaires du Fârs, terre d’origine des Persans, aujourd’hui province d’Iran, avec Chiraz pour capitale. L’Empire sassanide se veut la continuation de l’Empire achéménide dont il n’atteindra jamais l’extension. L’invasion arabe (640-650 ap. J.-C.) est grandement facilitée par l’affaiblissement interne de cet empire.

L’invasion arabe, musulmane donc, marque un avant et un après dans l’histoire de ce prestigieux pays. Des Iraniens glorifient la période pré-islamique du pays et jettent ce qui suit aux ordures. Je suis tenté par une telle attitude, d’autant plus que je tiens en piètre estime les Arabes et le sunnisme, les Arabo-sunnites que je vois comme un mal à combattre, une pandémie. Mais les Iraniens qui sont spirituellement et intellectuellement très supérieurs aux Arabes vont récupérer l’héritage des envahisseurs et l’enrichir prodigieusement grâce à leur passé pré-islamique et plusieurs fois millénaire. Ainsi, cette invasion, une peste, va-t-elle être absorbée et transfigurée par le génie iranien. Dès le IXe siècle, on peut évoquer une renaissance iranienne née de la fusion des références pré-islamiques et du bagage plutôt frustre des envahisseurs arabes.

L’Iran pré-islamique a été un centre de propagation et un carrefour de configurations religieuses : le zoroastrisme, le mithraïsme, le manichéisme. Le bouddhisme a gagné les confins orientaux de l’empire. Les Juifs libérés de Babylone par Cyrus (en 53 av. J.-C.) sont présents en Perse depuis la plus haute antiquité. Le christianisme (surtout sous sa forme nestorienne) trouve refuge dans l’Empire sassanide. Les Iraniens donnent à l’islam des modulations et une richesse qu’il n’avait pas chez les envahisseurs.

La quasi-totalité des Iraniens sont musulmans. Parmi eux, environ 10 % de Sunnites qui depuis l’instauration de la République islamique se sentent marginalisés voire oppressés, une question d’autant plus aiguë qu’elle se superpose à celle de minorités ethno-linguistiques (Kurdes, Baloutches, Turkmènes, Arabes) où le sunnisme s’impose, des minorités qui par ailleurs vivent dans des régions périphériques généralement moins développées que les autres régions du pays, d’où les tensions indépendantistes, forces centrifuges qui s’ajoutent aux forces centripètes, venues de l’extérieur, et qui font pression sur le pays ; et je pourrais en revenir au sentiment d’encerclement qu’a éprouvé et qu’éprouve l’Iran.

Chrétiens, Juifs et Zoroastriens sont officiellement reconnus et ont des représentants au Parlement. Il est vrai que le nombre de Chrétiens et de Juifs a sensiblement baissé depuis la Révolution islamique alors que le nombre de Zoroastriens déclarés a lui sensiblement augmenté. Les Bahaïs (un mouvement chiite ésotérique né en Iran au début des années 1790) constituent probablement la minorité qui souffre le plus directement du régime. Leurs centres spirituels et administratifs sont implantés en Israël, à Haïfa et Acre. Malgré la relative tolérance du régime envers les minorités chrétienne et juive, pour ne citer qu’elles, il est préférable d’être chiite en Iran afin de s’éviter tracasseries et complications.

En Iran, la religion ne se limite pas à la religion des oulémas ; elle ne dédaigne pas le mysticisme, le soufisme (l’un des fondements de l’identité iranienne) et la réflexion philosophique.

La relation entre le politique et le religieux ne date pas de la période islamique, elle remonte loin dans l’histoire de la Perse. L’invasion arabe et l’islamisation du pays n’ont fait que renforcer cette relation. Pour comprendre les rapports entre politique et religion dans l’Iran musulman, il faut envisager ce point de rupture qu’a été la formation de la dynastie séfévide en 1501.

Petit retour en arrière. La chute de la dynastie des Sassanides survient peu après l’invasion arabe, avec la mort en 652 de son dernier empereur : Yazdegerd III. L’Iran ne devient pas pour autant musulmane du jour au lendemain puisque le processus d’islamisation de l’ensemble du pays prendra plusieurs siècles. Les régions occidentales sont les premières à s’islamiser, notamment par l’entremise de mouvements proches d’une sorte de chiisme primitif, nés en Mésopotamie et qui séduisent les Iraniens pour plusieurs raisons. Les Iraniens s’éprouvent comme des relégués dans un monde soumis aux Arabes très majoritairement sunnites. Par ailleurs, la pensée zoroastrienne se sent plus à l’aise dans l’ambiance messianique du chiisme.  Des penseurs iraniens intègreront une partie des mythes eschatologiques du zoroastrisme dans la métaphysique chiite iranienne. Par ailleurs, une légende qui a force de vérité rapporte que le fils cadet d’Ali, Hossein, aurait épousé la fille de Yazdegerd III. Ainsi le troisième imam, issu de ce mariage, réunirait en sa personne la qualité d’imam et une ascendance impériale perse.

De l’invasion arabe à l’avènement des Séfévides, l’histoire politico-religieuse de l’Iran peut être divisée ainsi :

Le califat omeyyade (661-750) et le début du califat abbasside. (750-1258). Pour en finir avec les Omeyyades, les Abbassides s’allient des dynasties locales iraniennes parmi lesquelles Abou-Moslem Khorassani. Les rapports entre ces alliés de circonstance finissent par se détériorer. Le manque d’égards manifesté par les Arabes envers le très populaire Abou-Moslem Khorassani est à l’origine d’une longue série de soulèvements à caractère politico-religieux contre le califat de Bagdad, une situation qui favorise la formation de nombreuses dynasties locales dans le pays. La période comprise entre le IXe siècle et le XIIIe siècle voit l’affaiblissement de l’autorité des Abbassides, la renaissance de la langue et de la littérature persanes ainsi qu’une étonnante diversification du chiisme dans un monde majoritairement sunnite. Je passe sur la liste et les spécificités de ces dynasties et me contenterai de noter que la diversité politique de ces dynasties locales accompagne la diversité religieuse du chiisme, que ces deux diversités semblent se stimuler mutuellement. Toutefois, malgré ces nombreux et très actifs foyers diversement chiites, les Iraniens restent majoritairement sunnites.

Olivier Ypsilantis

1 thought on “Des temps de l’histoire iranienne – 2/3”

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