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Anthony de Jasay, “The Maximizing State” – 1/2

 

“… the smaller the domain where choices among alternatives are made collectively, the smaller will be the probability that any individual’s preference gets overruled”. Anthony de Jasay,  “Against Politics: On Government, Anarchy and Order”

 

Cet article en deux parties est le produit de mon adaptation  d’un article très dense et véritablement fascinant (dans la mesure où il ouvre de profondes perspectives après avoir enfoncé les portes de biens des réduits mentaux) d’Anthony de Jasay, « The Maximazing State », un article qui, je l’espère, incitera celles et ceux qui me lisent à entreprendre la lecture de cet ouvrage majeur, « The State », traduit en français sous le titre « L’État », sous-titré « La logique du pouvoir politique ».

Une société parfaitement libre ne perdure que dans des sociétés très réduites et très pauvres, à la structure sommaire et dans des régions isolées. Une société parfaitement libre ne peut se développer dans les sociétés étatisées où le choix collectif décide de tout. Si une société parfaitement libre survit dans de telles sociétés, ce ne peut être que très fragmentairement. Il ne faut pourtant pas en conclure que ce phénomène est la conséquence d’une cause omnipotente, d’une fatalité liée à la condition humaine ou à la nature de toute organisation sociale. Il serait plus judicieux et plus modeste d’envisager avec David Hume ce processus comme une question de constant conjunction.

 

Antony de Jasay (1925-2019)

 

Dans son livre « The State » (1985), Anthony de Jasay présente l’État comme une entité qui prend des décisions à la manière d’un unitary actor, une position qu’il défend de la manière suivante. Il prend une entreprise d’une certaine importance pour exemple, soit une organisation hiérarchisée qui fonctionne comme l’État, à partir d’ordres donnés et d’obéissance à ces ordres, la désobéissance étant sanctionnée de diverses manières.

Une entreprise d’une certaine importance est une top-down assembly avec un certain nombre de subassemblies qui disposent d’une certaine autonomie, ce qui donne de la souplesse à l’ensemble, souplesse sans laquelle elle fonctionnerait difficilement et en viendrait même à se bloquer. Il peut arriver que ces subassemblies poussent chacune dans une direction donnée.

De fait, l’étude d’une entreprise d’une certaine importance peut aider à mieux comprendre le fonctionnement de l’État, surtout si on commence par envisager qu’elle n’est pas moins a unitary actor que l’État. Les économistes adhèrent en majorité à cette théorie, soit l’entreprise comme a unitary actor visant avant tout à maximaliser le profit. Autrement dit, tous les autres objectifs d’une entreprise (« market share », « longevity » ou « monopoly power ») ne s’expliquent rationnellement que si on les relie à l’objectif final soit le profit maximization.

Cette théorie de l’entreprise a rendu de grands services en promouvant une pensée rigoureuse. Autrement dit, notre compréhension de la réalité économique serait plus pauvre si une entreprise (d’une certaine importance) n’était pas appréhendée comme a unitary actor dont le but est le profit maximization. Ce schéma appliqué à l’entreprise en général peut être appliqué aux États dont la nature sera mieux comprise si on leur impute un unique maximand (a quantity or thing that is to be maximized), un schéma dont on a le plus souvent retenu que des éléments sans en retirer une théorie. Anthony de Jasay : «  I maintain that the point of sovereign command, of being the state at all, is to have power one can use at one’s discretion ». Pour Geoffrey Brennan et James M. Buchanan, l’État est avant tout un acteur qui maximalise les taxes et les impôts plutôt que le pouvoir discrétionnaire.

La distinction entre le pouvoir tout court et le pouvoir discrétionnaire est cruciale, comme le lecteur peut s’en douter.

Le pouvoir d’État est exercé par le gouvernement, un agent plénipotentiaire. On peut affirmer que, dans la plupart des cas, le gouvernement est l’État personnifié. L’État est généralement envisagé comme une entité abstraite tandis que le gouvernement est à la fois envisagé comme une entité abstraite mais aussi physique car constitué de personnes en chair et en os.

Le pouvoir discrétionnaire est un pouvoir qui n’est pas nécessaire à sa propre extension ou à son propre maintien. Le pouvoir est la capacité de faire en sorte que les ordres soient suivis. Afin de maximaliser son pouvoir discrétionnaire, le gouvernement doit grosso modo triturer ces deux ingrédients que sont l’intimidation (intimidation) et l’allégeance (allegiance) dans une sorte de mécanisme jusqu’à ce qu’ils se mélangent et donnent l’obéissance (obedience), l’obéissance qui en retour fait que l’intimidation et l’allégeance peuvent ne plus avoir à être injectées dans ce mécanisme.

Plusieurs procédés peuvent être activés pour forcer à l’obéissance. Le procédé à présent le plus utilisé est la fiscalité. « The most obvious and in our time the most widely used is, of course, taxation ». Utiliser la fiscalité pour organiser et maintenir un appareil répressif destiné à intimider les citoyens pour qu’ils s’acquittent de leurs impôts, mais aussi utiliser la fiscalité afin d’acheter l’allégeance, une allégeance qui peut être judicieusement renforcée par l’attribution de privilèges et par tout un système redistributif calculé de manière à renforcer les bénéficiaires de ce système tout en affaiblissant les victimes de ce système qui se retrouvent discrètement réduites au silence. L’État (ne) s’efforce (que) d’obtenir une allégeance toujours augmentée.

L’idée de l’État minimal ou minimal state, soit un État « that imposes collective choice over only a severely restricted domain and exercises self-denial by not using power to generate discretionary power ». De fait, l’État minimal n’existe pas car s’il existait il serait un acteur anti-étatique. Par ailleurs, il est possible d’envisager qu’au-delà d’un certain niveau d’obéissance requis, l’effet escompté s’inverse, que plus d’intimidation couplée à plus de redistribution (ou non), loin d’augmenter le pouvoir discrétionnaire (discretionary power) porte préjudice au pouvoir dans la mesure où : « Discretionary power is maximized when its (rising) marginal cost is equal to its marginal increment, both measured in resources ». Ce point est difficile à calculer avec précision et s’évalue généralement intuitivement. Quoi qu’il en soit, le pouvoir discrétionnaire doit être maximalisé avec discrétion.

La théorie du contrat social nous flatte dans la mesure où nous l’envisageons comme un produit de notre clairvoyance et de notre volonté – of our own clear-sighted will. Le contrat que nous évoquons est celui de Thomas Hobbes, contrat par lequel le peuple crée le Léviathan qui n’est pas l’un des partis engagés dans le contrat mais qui brandit l’épée pour le renforcer – « who is not a party to the contract but who has the sword to enforce the “covenant” ».

L’État naît par agréments inoffensifs (innocuous agreements) des partis engagés. Ces agréments constituent l’embryon de l’État, un embryon constitué par ce que Robert Nozyck désigne comme les « protective agencies », spécialisées dans le renforcement des conventions de protection, avec tout un système de sanctions à l’appui. Les avis divergent sur le coût à assumer pour la protection de tous contre tous ; mais on finit par s’accorder sur le fait qu’il faut déléguer ce travail à des agences spécialisées, sans vraiment penser qu’il faudra que le peuple assume au moins en partie le coût de fonctionnement de ces agences.

Bref, on peut supposer que le contrat social (voir Jean-Jacques Rousseau) est une hypothèse sans grand fondement, contrairement à cet accord plus ou moins assumé sur la nécessité d’organiser des specialized agencies. L’hypothèse d’Anthony de Jasay est forte sans pour autant prétendre s’inscrire dans une inexorable logique. « The rest follows not as a matter of inexorable logic, but as a matter of great plausibility, from the “slippery slope” argument ».

Les agences spécialisées procèdent d’une unique agence qui finit par étendre ses compétences sur une population qui partage des liens ethniques et géographiques. Graduellement, l’agence s’arme tout en désarmant la population. Par son discours sécuritaire, elle tend vers le monopole et forme un embryon d’État. Phase finale, l’agence censée protéger la propriété des uns et des autres contre les uns et les autres finit par la protéger contre tous et à son seul profit. Méditez ce qu’écrit Anthony de Jasay : « The final stage in this scenario of the birth of the state is a move from the agency’s protecting the people’s property to its protecting their property from all except itself ».

A ce stade, l’agence de protection ne se contente pas d’exiger qu’on la paye pour son travail (protéger la propriété des uns et des autres), elle utilise son pouvoir pour exiger toujours plus de revenus, sans rapport avec les coûts de protection. Elle utilise ce surplus constamment augmenté pour acheter l’appui de segments de la société afin qu’ils s’opposent à d’autres segments réputés hostiles. Le système de redistribution permet d’éviter l’affrontement, de soumettre les récalcitrants et de protéger le pouvoir – l’appareil d’État – « with the ultimate objective of maximizing the state’s discretionary power ».

David Hume est catégorique : presque tous les gouvernements passés et présents sont le produit d’usurpation et de conquête, ce qui contribue à la formation d’une division ethnique précise entre gouvernants et gouvernés. Le système féodal s’explique ainsi et la question de savoir qui commandera et qui obéira est réglée d’avance. Cette division se maintiendra des siècles durant, jusqu’à ce qu’elle s’estompe au profit d’autres divisions.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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