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Le libéralisme économique – 1/2

 

Afin de rédiger cet article, je me suis appuyé sur des documents émis par l’Institut libéral (I.L.) dont le siège est à Genève, des documents consultables sur www.institutliberal.ch   

Le libéralisme économique a de solides origines françaises (XVIIIe et XIXe siècles). Les penseurs libéraux commencent par vouloir montrer l’inanité des propositions du mercantilisme (voir Colbert), de la physiocratie (voir François Quesnay) et du socialisme confrontés aux dysfonctionnements engendrés par les transformations économiques.

Il est curieux que l’Angleterre soit considérée comme la patrie du libéralisme car la France l’est au moins autant. Il ne s’agit pas de fanfaronner mais de rétablir une vérité. Par ailleurs, le libéralisme est d’une très grande diversité, rien à voir avec le monolithe que nous présentent les ignares et les idéologues.

L’oubli dont sont victimes en France les libéraux et le relatif prestige qu’ils ont en Angleterre et plus généralement dans les pays anglo-saxons ont pour moi une explication. Les Anglais et plus généralement les Anglo-Saxons acceptent leur héritage et n’envisagent pas le libéralisme comme une inclinaison honteuse (voire une maladie) ainsi que l’a été par exemple l’homosexualité. Par contre, en France, l’une des patries du libéralisme, j’insiste, le libéralisme est envisagé comme une inclinaison honteuse voire une maladie. En France, il est préférable de cacher ses inclinaisons libérales, étant entendu que le mot « libéral » est employé dans les médias comme un reproche voire une injure. Être traité de libéral est aussi peu élogieux qu’être traité de sioniste, c’est vous dire…

Le libéralisme est pluriel. Michel Biziou écrit dans un article intitulé « Définir le libéralisme, un enjeu politique » dans lequel il présente l’anthologie « Les penseurs libéraux » d’Alain Laurent et Vincent Valentin : « Peut-on déterrer une souche commune à des rameaux apparemment aussi différents que libéralisme économique et libéralisme politique, libéralisme classique et néolibéralisme, libéralisme rationaliste et libéralisme évolutionniste, libéralisme jusnaturaliste et libéralisme utilitariste, ordolibéralisme et ultralibéralisme, etc. ? »

Présenté comme le précurseur de la pensée libérale en France, Turgot est un grand réformateur. Et si ses réformes avaient abouti, la France se serait peut-être épargnée la Révolution de 1789 et ses néfastes conséquences dont l’émergence des nationalismes, des idéologies totalitaires et une Europe à feu et à sang. Les tentatives de réformes de Turgot méritent d’être étudiées de prêt. Il n’a pu les mettre en œuvre car elles dérangeaient. Ce ministre des Finances sera contraint à la démission.

Bien que n’étant pas un économiste, Benjamin Constant intéresse les premiers économistes libéraux. Il estime tout simplement et à juste raison que la liberté économique est inséparable de la liberté politique, un point de bon sens qui ne semble guère être accepté en France, pays décidément trop préoccupé de politique et pas assez d’économie. A ce propos, la culture économique est très pauvre en France, ce que regrette Marc Touati, un pédagogue, l’économie étant soit méprisée soit considérée comme une affaire de spécialistes, de techniciens, alors qu’elle devrait être une importante matière de l’enseignement général, comme la philosophie avec laquelle elle a beaucoup à voir, beaucoup plus qu’on ne le croit généralement.

La pensée libérale est d’une grande richesse. Elle occupe près de deux siècles et elle est en constant mouvement comme le sont la politique et l’économie. Jean-Baptiste Say, Pellegrino Rossi, Gilbert Guillaumin, Frédéric Bastiat, Michel Chevalier, Jean-Gustave Courcelle-Seneuil, Joseph Garnier, Gustave de Molinari, Yves Guyot, soit quelques figures importantes du libéralisme économique. Une diversité mais avec des principes défendus par toutes ces figures, des principes qui peuvent être présentés à partir de deux idées complémentaires :

Fort des principes de l’économie politique, ci-joint la mise en évidence des quatre conditions qui puissent assurer à un pays son développement, soit : I – 1. Respecter l’intérêt individuel. 2. Encourager la responsabilité de l’individu. 3. Assurer la liberté dans tous les domaines. 4. Protéger la propriété privée. II – L’hostilité de l’État à l’égard de ces quatre conditions et, en conséquence, la nécessité de limiter son pouvoir.

L’économie est peu enseignée car elle est considérée par presque tous les gouvernements comme subversive. C’est pourquoi on préfère agiter des idées politiques, de « grandes » idées qui, au fond, ne remettent pas grand-chose en question dans la mesure où leur élasticité permet aux uns et aux autres d’y fourrer ce que bon leur semble. Les « grandes » idées sont bien un fourre-tout. L’économie quant à elle (lorsqu’elle n’est pas parasitée par la politique) est a priori plus resserrée, plus rigoureuse. Son étude propose une arme plus effilée, plus pénétrante, plus discrète aussi, une arme qui par ailleurs nécessite plus de précision dans son maniement que celle que propose la politique, cette activité sans rigueur, activité favorite des démagogues, des ambitieux, des agités et d’un grand nombre de ratés.

Les penseurs libéraux (qui ne sont pas nécessairement des économistes, voire Benjamin Constant) vont peu à peu faire de l’économie une discipline à part, soit l’économie politique à laquelle ils attribuent un rôle précis et bien encadré : l’économie politique ne met pas son nez partout comme le fait la politique ; elle ne s’intéresse a priori qu’aux questions matérielles relatives à la formation, à la distribution et à la consommation des richesses.

L’économie politique est une science puisque son but est de formuler des lois générales valables en tout lieu et à toute époque. Elle ne prétend pas pour autant expliquer les incessants changements du comportement humain. Science descriptive, l’économie politique doit sans cesse observer et vérifier afin de dégager les faits essentiels qui représentent un caractère suffisant de généralité et de régularité capable de conduire à la formation de lois. La pensée libérale s’appuie sur un principe de base : elle estime que le monde est régi par un ordre naturel auquel l’homme ne peut que s’adapter tout en ayant la capacité d’influer sur son développement. Autrement dit, les droits naissent spontanément et ne sont pas élaborés par le législateur.

L’analyse libérale s’est longtemps intéressée aux seuls biens pour ensuite s’intéresser aux services. Dans tous les cas, elle considère que l’homme ne crée que des produits « immatériels » étant donné qu’il n’a pas le pouvoir de créer la matière qu’il ne fait que modifier. L’économie politique est une science ; mais pour les auteurs que nous venons de citer, elle n’est pas une science mathématique étant entendu que les relations économiques ne se limitent pas à de simples rapports mathématiques. De ce point de vue, les libéraux de l’École de Paris s’opposent au marginalisme (l’un des nombreux rameaux de l’économie libérale) et à son fondateur, Léon Walras.

Les économistes s’efforcent de répondre à l’intérêt individuel, forts de ce postulat qu’est pour eux l’égoïsme. En conséquence, la préoccupation de l’économie politique : « C’est la science de la détermination de la valeur (dont le prix est l’expression monétaire) et de l’échange des utilités. Cependant, elle n’a pas à se demander si ces besoins sont bons ou mauvais d’un point de vue moral car ce n’est pas à elle de juger de la qualité et de la justesse des passions humaines », écrit Paul-Jacques Lehmann. Étant donné que l’intérêt individuel (l’égoïsme dira-t-on) est un postulat pour les économistes, seule la liberté peut le satisfaire, une liberté qui s’exerce avant tout : 1. Sur le marché du travail. 2. Dans les relations commerciales. Le travail, soit la fonction économique la plus importante et de loin puisque sans le travail rien n’est produit. La production et (donc) le producteur sont à l’origine des revenus perçus par les citoyens et, en conséquence, de la consommation. La liberté de travail et la liberté des rémunérations rendent le travail plus efficace, plus productif.

Du travail au capital, le deuxième « facteur de production » dont l’importance augmente à mesure que l’agriculture perd la sienne. Le taux d’intérêt doit lui aussi être fixé librement. Le capital ne peut se constituer sans un travail préalable. La monnaie n’est pour nombre de libéraux qu’une forme très limitée de capital. La liberté commerciale, soit la concurrence. La concurrence offre aux consommateurs les prix les plus avantageux et les profits les plus normaux aux entrepreneurs. Dire que la concurrence écrase ne relève pas d’une évidence et demande à être étudié. Par ailleurs, la concurrence ne conduit pas au monopole, sauf si elle est contrariée par des organismes étatiques. « C’est pourquoi les libéraux s’élèvent, en se souvenant de Turgot et de son célèbre édit, contre les professions réglementées qui font payer plus chers les services rendus que si ceux-ci étaient régis par un régime de concurrence », écrit Paul-Jacques Lehmann.

Au niveau international, la concurrence est libre-échange. Elle est alors considérée comme un facteur de paix et de prospérité entre les nations. Les libéraux s’élèvent contre le protectionnisme dont les effets sont jugés néfastes. Entre autres effets néfastes, le privilège accordé à certains producteurs, privilège qui favorise la hausse des prix (hausse qui retombe sur l’acheteur) et ralentit les échanges – la croissance donc. A ce propos lisez et relisez « Pétition des fabricants de chandelles » de Frédéric Bastiat, un texte caractéristique de son style où se mêlent l’ironie et l’absurde.

La liberté suppose la responsabilité et inversement. L’une et l’autre ne peuvent que marcher main dans la main. Pour les libéraux, et dans l’ordre moral, la liberté et le libre-arbitre confèrent à l’homme une force maximale. Idem dans l’ordre économique. Cette préoccupation envers l’intérêt individuel, envers la liberté et la responsabilité individuelles suppose le respect envers la propriété privée. Comme le signale Paul-Jacques Lehmann : « Le degré d’avancement d’une société s’apprécie par rapport aux garanties accordées à la propriété individuelle ».

La propriété est le droit du travail et de l’épargne, l’épargne qui est le refus de la consommation immédiate au profit de l’investissement. La propriété est un instinct pourrait-on dire – l’instinct de propriété – comme l’est la volonté de vivre, de survivre – l’instinct de survie. La loi ne crée donc pas la propriété, elle ne fait et ne peut que la garantir.

Le droit de propriété est certes à l’origine d’inégalités, mais l’égalité n’existe a priori que dans des sociétés radicalement réduites à la servitude voire à l’esclavage. Égalité devant la loi ne signifie pas égalité de patrimoines et de revenus. La liberté n’est pas compatible avec une certaine conception de l’égalité malheureusement trop partagée. Seules la propriété et la liberté individuelles sont susceptibles de stimuler la responsabilité de tous et de faire converger les énergies pour une société plus prospère.

Le libéralisme s’envisage comme une donnée qui permet d’améliorer sans cesse les conditions de vie d’un nombre croissant d’individus. A ce propos, il faut lire et relire certains passages de « La rebelión de las masas » (un ouvrage publié dans les années 1920) de José Ortega y Gasset.

Les libéraux posent les conditions de la prospérité et du progrès. Le frein à ces conditions : l’État.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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