Une religion contre la science. La biologie est dénoncée par certains militants woke comme une fausse science, un instrument politique de type patriarcal, viriliste, colonialiste, etc. Il convient donc de la réorienter. On ne peut que penser une fois encore à Lyssenko et au lyssenkisme sur lesquels Denis Buican a écrit de remarquables études. Ce ne sont pas seulement les sciences humaines qui sont attaquées mais aussi les disciplines STEM (Sciences, Technologies et Médecine). Des concepts de la théorie critique de la race venus des sciences sociales investissent la biomédecine.
Des scientifiques originaires de pays qui ont été sous domination soviétique sont particulièrement critiques envers l’emprise idéologique du mouvement woke, un mouvement qui s’en prend à tout un lexique idéologique, comme par exemple les « lois de Newton », désignation qui doit être oubliée au profit des « trois lois fondamentales de la physique », car Isaac Newton était un Blanc et qu’il s’agit de « décoloniser les programmes ». Pour nombre de militants woke, c’est toute la science qui doit être reconsidérée car elle est accusée d’avoir participé à une histoire meurtrière, au racisme, à l’esclavage, au colonialisme et à la destruction des cultures indigènes. Il faut décoloniser les sciences, voire les supprimer ; étudiez le mouvement Science Must Fall, né en Afrique du Sud en 2016 et qui milite pour l’éviction de toute la science occidentale et l’émergence d’une science africaine basée sur la magie noire. Ce ne sont pas simplement des étudiants qui dénoncent ainsi les sciences mais également des professeurs dont les propos sont complaisamment relayés par Descoloniality Network, un réseau sur lequel s’expriment le pape de la pensée décoloniale, Ramón Grosfoguel, et des associations islamistes. Ce thème d’une science africaine est également repris par la très institutionnelle revue Nature. A propos de la valorisation des savoirs autochtones, on peut citer le cas du gouvernement de la Nouvelle-Zélande qui décida (en 2021) d’encourager l’enseignement du savoir autochtone (maori) dans les facultés des Sciences et de les mettre en parité avec les sciences occidentales pour les étudiants entre seize et dix-huit ans, la science occidentale n’étant pas considérée comme universelle et ayant établi une (supposée) supériorité sur les maoris et autres peuples indigènes. Les mythes maoris doivent être considérés comme autant de connaissances scientifiques au même titre que la science occidentale. Les scientifiques occidentaux sont dénoncés pour leur prétention à exercer un monopole sur le savoir universel et d’avoir favorisé la décolonisation, le racisme, la misogynie et l’eugénisme. Que la mythologie maorie soit enseignée dans les départements d’ethnologie est à encourager, mais aussi intéressante cette mythologie soit-elle il ne s’agit pas pour autant de l’imposer comme une vérité scientifique. La science est la science et peu importe que tel scientifique soit noir ou blanc, juif ou chrétien, etc. Elle repose sur des preuves et non sur des traditions – et les traditions méritent elles aussi d’être enseignées. Le mouvement woke a mis au point un discours assez élaboré destiné à justifier son opposition aux notions d’objectivité et de vérité, avec ses théories féministes et ses théories critiques de la race. Le postulat du philosophe afro-centré Moledi Kete Asante est mis en avant, postulat selon lequel l’objectivité ne serait qu’une « subjectivité collective ». On dénonce une fois encore la prétention à l’objectivité et à l’universalité de la science comme un produit de la domination blanche. La théorie critique de la race s’en prend également aux prétentions des théories juridiques accusées de ne pas tenir compte de la race. La justice est invitée à prendre le parti des racisés. La notion de raison doit être reconsidérée. La raison est genrée, la raison est masculine voire machiste, elle est un outil de domination des Blancs privilégiés. Bref, la raison n’est pas une alliée mais une adversaire. L’objectivité et la rationalité sont accusées d’être les alliées du virilisme, du racisme et du colonialisme ; il convient donc de démasculiniser, de déblanchir et de décoloniser la science. Pour le mouvement woke, toute vérité est militante. Il n’y a pas de vérité neutre, c’est la grande découverte des épistémologies féministes, racialistes et intersectionnalistes.
Afin d’étayer son refus, le mouvement woke a élaboré toute une série de nouvelles épistémologies : épistémologie féministe, queer, post-coloniale, critique de la race, justice sociale, etc. On en vient à l’injustice épistémologique, à l’oppression épistémologique, à la violence épistémologique, etc. Les injustices épistémologiques sont abordées en philosophie sociale, morale et politique. Toutes les questions sont abordées selon le stand point epistemology, la grande découverte théorique dont s’enorgueillit le mouvement woke. Selon ce mouvement, la science repose toujours sur un stand point qui est essentiellement celui des hommes blancs, dominants. La prétention à l’objectivité, au point de vue unique, à l’universel est une prétention qui équivaut à nous placer au niveau de Dieu. Le savoir rationnel ne peut opérer qu’à partir d’un stand point. Les prétentions à caractère universel souffrent d’une limitation ; elles sont générées par les membres dominants de sociétés hiérarchisées selon la race, l’ethnicité, la classe sociale, le genre, la sexualité. Il convient également de réfléchir sur les relations entre science et politique afin de produire des sciences ouvertement identitaires. Il y a autant de sciences que de points de vue (identitaires) et il faut se garder de vouloir les unifier. C’est ainsi que nous atteindrons une authentique objectivité. Sandra G. Harding dénomme strong objectivity ces subjectivités et leurs partialités. Certes, la connaissance émerge toujours d’un contexte particulier, mais peut-on pour autant refuser d’envisager une objectivité qui transcende ce contexte ? L’objectif woke n’est pas d’améliorer la société mais d’attaquer ses fondations. Il faut donner voix aux victimes de l’injustice épistémique (les femmes, les Noirs, etc.) pour fonder des sciences en rapport avec ces identités opprimées. Le mouvement woke suggère également que la science ne soit plus confiée à des scientifiques mais à un public recruté (tutored) par des « spécialistes ». Le mouvement woke est radical et relativiste par sa volonté de placer la question de la race et du genre au centre de toutes les disciplines, y compris la Mathématique et la Logique.
Olivier Ypsilantis