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Quelques moments de l’histoire juive – 11/20

L’armée d’Israël est une armée de citoyens dont les origines remontent au début du XXème siècle avec une association clandestine de volontaires destinée à la protection des établissements agricoles, une association qui deviendra le Ha-Shomer (soit « le Gardien ») et sortira de la clandestinité. Cette première organisation d’autodéfense juive en Palestine montre d’emblée son efficacité avec ses cavaliers et tireurs d’élite très déterminés et entraînés. Le Yishouv dispose avec le Ha-Shomer de la protection nécessaire à son développement.

Au cours de la Première Guerre mondiale, Jabotinsky se démène pour mettre sur pied une légion juive, composante de l’armée britannique. Les Britanniques hésitent puis en avril 1915 autorisent la création d’une unité du train des équipages composée de Juifs de Palestine, le Zion Mule Corps. Elle est engagée aux Dardanelles puis dissoute sans tarder. Jabotinsky se démène une fois encore et, en 1918, cinq mille Juifs recrutés dans divers pays dont la Palestine et placés sous les ordres du colonel John Patterson prennent part à la campagne d’Edmund Allenby qui participe à la chute de l’Empire ottoman.

Dès la fin de la guerre et juste après la Déclaration Balfour, la puissance mandataire se fait antisioniste tandis que les Arabes de Palestine s’opposent à l’implantation juive. Activée par les émeutes arabes de 1920, une armée clandestine s’organise à Jérusalem : c’est la Haganah, soit « la Défense ». Cette organisation ne cesse de se renforcer, poussée par l’inquiétude suscitée par les événements de 1929 et 1936. La Haganah est dirigée par des responsables des partis de la gauche sioniste qui s’appuient principalement sur les communes agricoles. Mais comme le stipulent ses statuts, la Haganah est au service de l’ensemble du Yishouv et du mouvement sioniste.

La Haganah commence par adopter une tactique défensive dite de « modération » puis elle évolue vers une stratégie qui sera appliquée jusqu’à la guerre des Six Jours, la « défense active », élaborée par le commandant de la Haganah, Itzhak Sadeh et ses deux lieutenants, Ygal Allon et Moshé Dayan. Les Britanniques restent hésitants quant à l’attitude à adopter au cours des émeutes arabes des années 1930. Avec la proclamation du Palestine Statement of Policy (mai 1939), ils deviennent ouvertement hostiles envers la Haganah. Ce n’est qu’après la débâcle de l’armée française et la mise en place d’une administration aux ordres de Vichy que les Britanniques envisagent une coopération avec la Haganah. Ils acceptent à contrecœur, en septembre 1940, le principe d’une armée juive de dix mille hommes, non plus clandestine mais officielle. Pourtant, dans la crainte d’irriter les Arabes, les Britanniques repoussent le projet. En 1942, après bien des hésitations et reculades, onze mille Juifs palestiniens servent au Proche-Orient dans l’armée britannique. Ils sont dix-huit mille en août 1942, incorporés non plus dans des unités judéo-arabes (en principe, car de fait entièrement juives) mais dans des unités juives et reconnues comme telles.

En mai 1941, le Palmach (des troupes de choc) est créé. Le Yishouv s’attend au pire avec le possible départ des Britanniques face à la poussée allemande. Avec les Allemands en Palestine, le pire est envisagé car ils soutiendront les Arabes contre les Juifs. Juifs de Palestine et Britanniques se rapprochent face à l’ennemi commun. Mais suite au coup d’arrêt donné à l’avancée allemande à El-Alamein, en juillet 1942, les Britanniques reviennent à leur politique et la Haganah replonge dans la clandestinité, la Haganah qui compte à présent vingt-et-un mille combattantes et combattants.

Le Palmach qui est solidement implanté dans les kibboutz poursuit son entraînement et parvient même sous couvert d’un club d’aviation à se doter d’une flotte aérienne. En 1937, les révisionnistes quittent la Haganah, trop modérée selon eux, et fondent l’Irgoun. Ils sont bien décidés à rendre coup pour coup aux Arabes et se montrent désireux d’installer un État juif sur les deux rives du Jourdain comme le laisse supposer leur emblème. A partir de la publication du Palestine Statement of Policy, l’Irgoun s’en prend surtout aux Britanniques. Mais dès le début de la Deuxième Guerre mondiale, l’Irgoun cesse toute activité anti-britannique et propose sa participation sans condition à l’effort de guerre contre le nazisme. Les hommes de l’Irgoun s’engagent en nombre dans l’armée britannique. L’un des fondateurs de l’Irgoun (l’autre fondateur étant Abraham Stern), David Raziel, est tué en mai 1941 en Irak. En septembre 1940, une partie de l’Irgoun qui refuse ce qu’elle considère comme une trahison fait sécession, et Abraham Stern fonde le Le’hi qui considère que les seuls vrais ennemis sont les Britanniques.

Lorsqu’il devient certain que Hitler va perdre la guerre, l’Irgoun rompt la trêve et reprend les hostilités contre les Britanniques. Les attentats se multiplient tant et si bien que ces derniers doivent se retrancher et lancer des actions de répression. Le plus meurtrier des attentats de l’Irgoun a lieu le 22 juillet 1946, à l’hôtel King David, à Jérusalem. L’Agence juive et la Haganah condamnent cet attentat qui (avec les autres attentats de l’Irgoun et du Le’hi) jette selon elles un discrédit sur l’ensemble du mouvement sioniste, notamment après l’assassinat de Lord Moyne.

Le fossé entre les autorités sionistes et ces organisations extrémistes est tel que les autorités collaborent avec les Britanniques contre elles. Mais à partir de l’automne 1945, la Haganah évolue vers une position toujours plus anti-britannique. Durant une année, la Haganah, l’Irgoun et le Le’hi forment une organisation commune. En avril 1946, l’Irgoun et le Le’hi reprennent leur indépendance. A partir de ce moment, la lutte contre les Britanniques puis contre les armées arabes au cours de la guerre d’Indépendance se fera avec deux armées politiquement hostiles l’une à l’autre : d’un côté la Haganah et de l’autre l’Irgoun avec, en marge, le Le’hi, très minoritaire. Dès la proclamation de l’État d’Israël, l’une des tâches les plus urgentes du gouvernement est de fondre dans une même force militaire dépolitisée ces mouvements clandestins rivaux et très politisés. David Ben Gourion y parviendra non sans difficultés suite à la crise de l’Altalena. L’Irgoun et le Le’hi qui avaient accepté d’intégrer la Haganah, à la condition de former des unités à part, voient leurs militants dispersés dans les unités de la Haganah. Mais les plus sérieux problèmes d’intégration à la Haganah vont venir de la gauche, avec les trois brigades du Palmach où la discipline est librement consentie et pour lesquelles le cadre d’une armée régulière ne convient guère. David Ben Gourion comprend le danger que représentent ces hommes pour une armée régulière, ces hommes qui sont des soldats d’élite dotés d’un légendaire esprit de corps, animés par ce puissant idéal que représente alors le kibboutz. David Ben Gourion profite de la première trêve de la guerre d’Indépendance (11 juin / 8 juillet 1948) et de l’incident de l’Altalena pour dissoudre les brigades du Palmach (il dissout ainsi les unités de gauche après avoir dissolu celles de droite), prendre le commandement direct de l’armée et nommer à des postes clés des hommes qui ont servi dans les rangs de l’armée britannique ; et petit à petit, Tsahal se met à ressembler toujours un peu plus aux autres armées tout en devenant une armée aux spécificités marquées qu’expliquent les spécificités non moins marquées de l’État d’Israël venues de son histoire et de sa géographie. Parmi les spécificités de cette armée, il s’agit d’une armée de civils en uniforme où les méthodes ne peuvent être celles d’une armée de professionnels et de conscrits de type courant qui, par exemple, constituent le gros de l’armée française avant la suppression du service national obligatoire en 1996 par Jacques Chirac, alors président de la République.

En Israël, l’armée et la nation se fondent l’une en l’autre et le soldat est autant citoyen que soldat. Tsahal a pour rôle principal la défense du territoire national, elle est aussi un puissant facteur d’intégration qui donne une cohérence à une immigration juive venue de partout et qui bien souvent ne parle pas un mot d’hébreu. Par ailleurs, n’oublions pas que si Tsahal est essentiellement composé de Juifs, il compte dans ses rangs des minorités qui comprennent tout l’intérêt de participer à la défense d’un pays qui est aussi leur pays ; et je pense en particulier aux Druzes. N’oublions pas que si Israël est un État juif, il est aussi un État où cohabitent des minorités qui y trouvent leur place sans souffrir de discrimination, tout en gardant leur spécificité, et qui peuvent servir sous l’uniforme israélien.

Comme aux premiers temps d’Israël et avant même la déclaration d’Indépendance, Tsahal a un rôle important dans le défrichement des terres, principalement dans les zones frontières. A ce propos, ce corps spécial, le Nahal, mériterait un article à part, un corps dont les membres sont formés à l’agriculture et au maniement des armes comme les paysans-soldats du Yishouv et des débuts d’Israël.

Cette armée devient peu à peu un redoutable instrument, principalement sous l’impulsion de Moshé Dayan, nommé chef d’état-major en décembre 1953. Il élabore une conception qui prévaudra jusqu’à la guerre des Six Jours, une conception qui n’est pas sans rappeler la « défense active » de la Haganah. Les conquêtes territoriales de juin 1967 (considérables à l’échelle de ce pays) imposent à Tsahal un changement de conception pour un déploiement défensif auquel cette armée n’est pas préparé tant sur le plan technique que psychologique. Les débuts incertains de la guerre du Kippour (octobre 1973) s’expliquent en partie par cette situation héritée de la guerre des Six Jours.                

Olivier Ypsilantis

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