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Le Carnet jaune (Angleterre, France – été 1999) – 2/5

29 juillet

Il nous restera toujours à l’apprendre l’abandon.

Partout le mot Royal, ce qui augmente le charme de Londres.

Kensington Gardens. Assis à côté d’un couple d’Asiatiques. Nous n’avons pas échangé un mot mais nous avons partagé un banc, de 11 h 30 à 11 h 45. Sur un autre banc, une belle jeune femme suce une glace d’une façon que d’aucuns jugeront provocante. Honi soit qui mal y pense, ai-je lu ce matin.

Partout des bow-windows animent les façades ; ils sont anguleux (Arthur Court) ou arrondis (Ralph Court), dans Queensway.

La petite divinité qui protège le piéton ; son corps rayé noir et blanc, sa tête sphérique et orangée qui clignote.

Hanover Square Gardens à l’heure du déjeuner. Les pelouses couvertes de monde. Beaucoup de chemises blanches, de cravates, de téléphones portables ; une vaste scène à caractère intimiste malgré tout.

Soho Square, même scène avec moins de chemises blanches et de cravates. Je suis du regard une paire de très belles jambes. L’Église protestante française de Londres ; sur le linteau du porche, on peut lire : To the glory of God and in grateful memory of H.M. King Edward VI who by his charter of 1550 granted asylum to the Huguenots from France.

Quelques noms de pubs : Pillars of Hercules, The Intrepid Fox, Golden Lion, Rat and Parrot, The Red Lion, The White HorseThe Three Greyhounds, The Bling Beggar.

Dans l’autobus, une belle Anglaise, robe légère (on devine ses dessous) aux tonalités printanières, comme son parfum.

China Town ; Gerrard Street et Macclesfield Street, à la perpendiculaire de cette première. Des touches rouges partout. Réverbères et cabines téléphoniques style extrême-oriental. Les trois portes rouge / vert / or, leurs dragons ajourés en acrotères.

Des couples gays, torses nus, musculeux.

Dans les vitrines de magasins de lingerie, des mannequins avec scènes de bondage.

Retourné à la National Gallery, rien que pour le sourire de Christine de Danemark.

Des banques nées de l’orfèvrerie (la Barclays et autres).

 

30 juillet

L’Anglais et son civisme. L’Anglais et ses fantasmes. L’Anglais et…

Très peu de poubelles, ce qui occasionne un léger désagrément. Craint-on que l’IRA n’y dépose des bombes ?

British Museum.

Salles 2 et 3. Une rage presque, reprendre la linogravure – alors que je contemple des peintures sur vases avec dauphins, oiseaux, poulpes, lys, sangliers, bouquetins, chevaux, lions, etc. Concernant la Grèce, ma prédilection de graveur pour la Crète, Mycènes, sans oublier la période géométrique.

En peinture, le passage de la figure noire à la figure rouge aurait pu marquer une perte de spontanéité ; mais les artistes grecs se sont maintenus allègrement au même niveau.

L’amour de ma mère pour l’art de Tanagra. Lorsqu’elle me parlait de l’art grec, elle ne manquait jamais d’évoquer ces élégantes figurines féminines.

Salle 6. Quelques fragments de métopes du temple d’Apollon à Bassae. Le temple d’Apollon à Bassae, le souvenir me prend : la grêle qui nous surprit, le berger qui nous abrita…

 

31 juillet

Camden Lock. Sur un T-shirt il est écrit : Big Brother is watching you.

The Torture Garden, information line on 0181 401 3811.

La grande foire à la nostalgie, je n’y suis pas insensible.

On vend du body wire dans un body piercing studio (donne l’illusion du tatouage).

Un magasin propose des farces et attrapes, des cotillons, des articles de sex-shop. L’enfance et l’âge adulte s’y retrouvent dans une ambiance amusée. Je surprends beaucoup de sourires.

Un autre magasin affiche une certaine solennité : éclairage tamisé, déguisements de soubrettes et de grandes dames, marquises ou duchesses ; le grand théâtre du désir et ses mises en scène qu’il nous appartient de varier, par la rêverie et/ou la pratique.

Emporium of Erotica, 14 Empire Parade, London N 18 (Great Cambridge Rd A 10). Dungeon equipment – Leather – Rubber – PVC – All leading manufacturers. The shop has a strong fetish ambiance covering all aspects of the scene with a friendly and unhurried atmosphere. Stockists of unique handmade dungeon equipment in oak and mahogany with genuine hide finish. Paddles, whips, canes and all accessories, medical equipment and the very unusual. 0181 884 0808 (open Mon-Sat 10 a.m. – 8 p.m.).

La monarchie flatte le goût des Anglais pour la mise en scène.

Dans un magasin fétichiste, une tunique de grenadier de la Garde.

Des tatouages, certains plutôt mignons, raffinés au possible.

Un magasin d’articles de mariage ; on y flatte avec humour la virginité, un excitant pour certains.

London piercing clinic ; les prix varient grandement suivant la partie à percer.

Your name on a grain of rice.

Le fils Simpson montre ses fesses.

Surgical instruments. Handsome doctors. Surgical gowns and masks. Rubber gloves. Bed baths. Naughty nurses. Cosmetic surgery. Stern matrons. Rubber sheets. Horror hospital. Massage. Sharp knives. Etc. Body piercing from aesthetic to exotic. Drop by for a chat and discuss your ideas in a friendly atmosphere. Fetish UK Club line 0660 200 325.

Velda Lauder designs. Corset specialist waist reduction up to 4 inches. Cleavage enhancements (A.F. cup sizes).

Agent Provocateur, un magasin de lingerie fine dans Soho. Ne mérite pas le détour, contrairement à ce que prétendent des guides.

Insularité, commerce, démocratie (et royauté dans certains cas). La royauté confirme une certaine cohésion tout en protégeant les particularismes. La royauté est colorée. La royauté est une esthétique.

On aime chanter en Angleterre. Nombreuses chorales. Sur le quai, à la station Knightsbridge, trois jeunes gens légèrement ivres entonnent un air. D’abord hésitant, il gagne en assurance. Des applaudissements.

Redire l’amabilité des Londoniens lorsque vous leur demandez votre chemin. Ils ne sont pas avares de renseignements.

Sur les présentoirs à cartes postales, la reine Elizabeth, le prince Charles et la princesse Diana. Tous sourient entre le rouge des double-deckers buses et des cabines téléphoniques. Royauté, splendeur du décorum et potins familiaux.

Sexy shoes are famous for making men weak at the knees.

Une grande et belle adolescente dans le métro. T-shirt et pantalon moulants. Elle cherche à produire de l’effet, lèvres entrouvertes comme une starlette, mais elle sait qu’elle manque encore de maintien, de distance vis-à-vis d’elle-même. Une scène très tendre. L’envie de lui parler, de lui donner quelques conseils.

 

1er août

“Dans le voyage il semblerait que, se livrant à l’espace et s’y jetant à corps perdu, on échappe par-là même à la marche du temps, qu’on la remonte en quelque sorte à mesure qu’elle progresse, et qu’on parvient ainsi à annuler tous ses rouages, si terribles quand on reste immobile” note si justement Michel Leiris.

La session parlementaire ne peut s’ouvrir avant que les caves du palais de Westminster n’aient été inspectées – souvenir de la Gunpowder Plot ourdie par Guy Fawkes, le 5 novembre 1605.

La Tate Gallery fut construite sur l’emplacement d’une immense prison, le Millbank Penitentiary, inspirée des idées réformatrices de Jeremy Bentham : prison circulaire à six rayons, etc.

La presse, entre scandales financiers et affaires de mœurs. Un bel équilibre, ces dernières reposent des chiffres.

Stiletto heels.

Le “Journal” de Michel Leiris n’est pas exempt d’un peu de verbiage.

Les Pearly Kings and Queens, des images dans le grand et beau livre d’images que propose Londres.

Excursion à Richmond-upon-Thames, jumelé avec Fontainebleau. Ces villes ont en commun la beauté de leurs arbres, les chênes surtout.

Au petit bonheur (la chance) : hit-and-miss.

Pour ce qui est de la démocratie, l’Angleterre a sur la France le privilège de l’ancienneté. La Dame de Fer a réagi bien à propos aux fanfaronnades du Bicentenaire de la Révolution française. En décapitant leur roi, les Français s’en sont pris à un symbole et ils ont assassiné un innocent. En décapitant leur roi (exécution de Charles 1er, le 30 janvier 1649), les Anglais ont sanctionné un homme qui tentait de gouverner sans le Parlement et ce faisant ils défendaient une certaine idée de la monarchie. Ce roi qui avait hérité de son père, Jacques 1er, cette croyance en la monarchie de droit divin, fut accusé de haute trahison. Ses relations avec le Parlement avaient été l’une des causes de la guerre civile (1642-1646). En 1660, la monarchie est restaurée naturellement en la personne de Charles II. Dès lors, les souverains régneront en harmonie avec des institutions qui resteront longtemps les plus avancées. Les Français se sont comportés en idéologues, ils s’en sont pris à la royauté. Les Anglais s’en sont pris à un homme, un roi qu’ils ont rappelé à l’ordre, donnant ainsi un sérieux avertissement à ses successeurs.

Il ne faudrait pas que la mort de Socrate nous fasse oublier celle de Boèce.

 

2 août

Dans le métro, une belle fille avec sur l’épaule droite une délicate libellule, un tatouage.

Au sortir de Holborn Station, une pluie tiède qui semble contenter les passants.

Des grandes filles un peu gauches, touchantes.

“I don’t chase men who can’t run away” et le sourire entendu d’une belle blonde.

Museum of London.

Une vitrine est consacrée à Boudicca (Romans go home !), reine des Icènes d’East Anglia. Les Trinovantes d’Essex se joignirent à elle. Ils détruiront Colchester, Londres et St Albans.

Le masque mortuaire de Cromwell. Son corps est exhumé sous la Restauration (Charles II) et pendu à Tyburn. Les livres de son secrétaire, John Milton, sont brûlés.

Les murs (en bois) gravés (des graffitis) des cellules de Wellclose Square Prison.

The separate system conduisit bien des détenus à la folie. Voir la chapelle de Pentonville.

La gravure de Gustave Doré, “Over London by rail”.

Un Anderson shelter.

Londres, gay et fétichiste.

Tower Hamlets, un Juif (Israélien ?) lit la Bible en anglais. Un grand drapeau israélien flotte au-dessus de son épaule ; il en tient la hampe entre son avant-bras et sa poitrine. On passe, personne n’écoute.

Tower Bridge. Un Pakistanais (ou un Indien ?) propose des plumes de paons. Le vent les lisse.

Ému par ces mots de Michel Leiris : “Des femmes qu’on n’aime pas, mais dont la présence nous trouble, – comme chimiquement. La seule façon de reprendre équilibre est de les prendre dans ses bras ; on y oublie – et là seulement – le malaise qu’elles engendraient.”

Londres, une capitale qui n’a pas l’arrogance d’une capitale – contrairement à Paris.

La littérature pour enfants (qui est aussi littérature pour adultes) et ses illustrateurs ; le génie anglais c’est aussi cela.

Londres et Peter Pan.

Un maçon devenu l’un des plus grands architectes anglais, chef de file de l’école baroque anglaise, Nicolas Hawksmoor (1661-1736). Entre au service de Christopher Wren.

 

3 août

Ce bonheur toujours, la toilette du matin.

Dans le métro, une publicité : Three things that made Jesus radical. 1- He possessed nothing. 2- One of his friends was an ex-prostitute. 3- He turned water into wine. If you want to know more about, then contact, etc.

Tate Gallery.

Une médiocre peinture de James Tissot, un excellent graveur par ailleurs.

“Proserpine”, une très belle peinture (1874) de Rossetti. Le modèle, la femme de William Morris, Jane, est lui aussi très beau.

John Singer Sargent ; le profil érotique de sa Cold Lady.

William Blake et Füssli ont un air de famille, non seulement dans les visions (ce qui inclut la thématique) mais aussi dans le traitement des corps (la structure de la musculature, par exemple).

Une découverte, dix-sept petites gravures sur bois de William Blake pour “The Pastorals of Virgil” de Robert John Thornton. Ce sont autant de petites merveilles, très supérieures à ses aquarelles qui, le plus souvent, accompagnent assez pauvrement sa poésie.

John Constable. Je réitère mon jugement du 28 juillet : ses grands formats sont empâtés. Par ailleurs, l’excès de réalisme de certains éléments disloque l’ensemble de la composition et porte préjudice à l’ambiance générale. La beauté de ses petits formats.

Très belle peinture à l’huile de David Cox (1783-1859), “Rhyl Sands”, faite dans les années 1850. On jurerait qu’elle a été peinte une quarantaine d’années plus tard par Eugène Boudin (mort en 1898), dans les dernières années de sa vie.

Nicholas Hilliard, “Queen Elizabeth I”. Un portrait d’assez grand format traité comme une miniature ; et tout tient magnifiquement.

Une scène de domination, “St Elizabeth of Hungary’s Great Act of Renunciation” par le peintre victorien Philip Hermogenes Calderon. La sainte est nue et agenouillée devant l’autel. Le dominateur, le moine Conrad, se tient à sa gauche, encapuchonné.

Turner Collection. Ses espaces prennent lorsqu’ils n’incluent aucun élément figuratif.

 

4 août

Squares et terraces déterminent en grande partie la physionomie de cette capitale.

The Natural History Museum avec Rachel et Sarah, mes filles. Les questions des enfants nous rappellent à l’ordre : nous devrions continuer à nous poser nombre de questions que se posent les enfants. Beaucoup de gardiens mauriciens. Ils sont aimables, souriants et semblent heureux de s’entretenir en français.

Le côté décadent de Londres (dont la prolifération des tatouages) participe pour une bonne part au charme de cette capitale.

Déambulé dans West Soho. On vend des menottes et des colliers (genre colliers pour chiens) un peu partout.

Alors que je mange un œuf dur, une similitude m’apparaît : œuf / œil, similitude morphologique – l’œuf me regarde ! Mais aussi, ces deux mots d’une syllabe commencent par cette ligature linguistique (ou orthographique) assez rare, œ.

Averse à la nuit tombée. Bonheur. Je l’écoute, allongé. Son parfum par la fenêtre entrouverte.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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