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Haine et médisance


‟On croyait ce déshonneur (l’antisémitisme) définitif. Il n’était peut-être que provisoire. Ce qu’on prenait pour un acquis apparaît rétrospectivement comme un répit. Et c’est en France, le pays d’Europe qui compte le plus grand nombre de Juifs, que la parenthèse se ferme de la façon la plus brutale. Des synagogues sont incendiées, des rabbins sont molestés, des cimetières sont profanés, des institutions communautaires mais aussi des universités doivent faire nettoyer, le jour, leurs murs barbouillés, la nuit, d’inscriptions ordurières. Il faut du courage pour porter une kippa dans ces lieux féroces qu’on appelle cités sensibles et dans le métro parisien ; le sionisme est criminalisé par toujours plus d’intellectuels, l’enseignement de la Shoah se révèle impossible à l’instant même où il devient obligatoire, la découverte de l’Antiquité livre les Hébreux au chahut des enfants, l’injure ‟sale juif” a fait sa réapparition (en verlan) dans presque toutes les cours d’école. Les Juifs ont le cœur lourd et, pour la première fois depuis la guerre, ils ont peur” écrivait Alain Finkielkraut, en 2003. Cet extrait ouvre son essai intitulé ‟Au nom de l’autre”, sous-titré ‟Réflexions sur l’antisémitisme qui vient”.

 

Je le redis, les pouvoirs politiques et les médias sont eux aussi responsables de ce qui s’est passé à Toulouse. Car ces pouvoirs et ces médias véhiculent sournoisement et doucereusement de l’antisionisme à longueur de journées. L’assassin de Toulouse est aussi le produit d’une certaine ambiance française. On n’avancera pas aussi longtemps que l’on refusera d’analyser ce fait, un fait qui explique que les médias auraient préféré que l’assassin soit un néo-nazi et non un musulman. A ce propos, ces médias, dans leur embarras, sont allés jusqu’à nous dire — le détail ne vous a pas échappé, je l’espère — que Mohamed Merah s’était rabattu sur des Juifs car il n’avait rien d’autre à se mettre sous la dent… Que ses cibles (des fonctionnaires de la police et de la justice, paraît-il) n’étaient pas disponibles et qu’en conséquence il avait choisi, un peu au hasard, une école juive, des enfants juifs.

 

Les Juifs, les Juifs d’Israël en particulier, montrent leurs larmes aussi peu que possible, c’est sans doute ce qui les empêche de marquer des points dans la guerre médiatique en cours. Chez les autres, on hurle, bras levés, on montre le cadavre et les caméras s’y attardent très complaisamment. Chez les Juifs, on cache la mort, on cache les cadavres. C’est ainsi. Imaginez un instant que les Israéliens exhibent leurs morts, à commencer par les enfants, comme le font ceux d’en-face : peut-être marqueraient-ils davantage de points dans cette guerre de l’image ; et encore, je n’en suis même pas sûr… Mais ce faisant, ils se trahiraient, ils renieraient l’un des socles de leur culture, une certaine attitude devant la mort.

 

En Israël, j’ai pu prendre la mesure du désarroi suscitée par l’affaire Al-Durah. Et c’est moi qui lançais le sujet car je voulais observer les réactions. Des Israéliens m’ont repassé la vidéo sur leurs iPhones, d’autres sur leurs laptops. Plusieurs m’ont fait lire le rapport du Dr Yehuda David, le médecin israélien qui avait opéré le père de Mohamed Al-Durah, Jamal, blessé par une arme blanche en 1992. Ce dernier avait exhibé ses cicatrices sur France 2 comme des séquelles de la fusillade de Netzarim. Le Juif ‟tueur d’enfants” est l’image favorite d’une certaine propagande récupératrice d’un vieux mythe très efficace concocté en Europe. Lorsque j’écris que l’Islam vient faire ses courses chez nous, dans cette Europe qui fut l’aire de la Shoah, je ne force pas la note. Et je ne forcerai pas la note en affirmant que de Mohamed Al-Durah à Mohamed Merah court un lien discret, et qu’un certain Charles Enderlin y est pour quelque chose…

 

Une caricature d’Abel trouvée sur www.parolevolee.com 

 

Je dénonce la France parce que j’y ai grandi, mais c’est l’Europe toute entière qu’il me faudrait dénoncer. Je ne changerai pas un mot à ce qu’a écrit Fiamma Nirenstein dans l’article que je mets en lien, article publié dans ‟Il Giornale” du 22 mars 2012, ‟L’Europa che flirta con le idee del killer” :

http://danilette.over-blog.com/article-l-europe-qui-flirte-avec-les-idees-du-tueur-fiamma-nirenstein-102111015-comments.html#comment98654911

 

La détestation du Juif et d’Israël est tellement profonde qu’elle s’exprime même sous couvert de ‟bons” sentiments. La baronne Ashton, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, s’est empressée d’empaqueter dans un même sac tous les enfants qui souffrent dans le monde. Cette réaction est aussi désespérante qu’instructive car elle est une réaction extraordinairement moyenne. Certes, un enfant qui souffre et meurt est un enfant qui souffre et meurt. Mais on ne peut s’en tenir au simple constat, à la simple émotion. Catherine Ashton s’est trahie, le signe = qu’elle utilise n’est pas innocent, il est même lourd de conséquences. Ainsi, parce qu’Israël en état de défense riposte et tue des enfants sans le vouloir, tous les enfants juifs qui ont été tués, qui sont tués et qui seront tués ne méritent pas qu’on s’y attarde : tout est du pareil au même. Et si on s’aventure à souligner la spécificité de la haine antisémite et antisioniste, on se voit accusé irrémédiablement d’‟ethnocentrisme” et j’en passe. Mais d’où vient donc cette bêtise perpétuellement en action, bavarde et prétentieuse ? Il y a une généalogie de la haine qui, lorsqu’elle est dirigée contre les Juifs, a des racines profondes, très profondes. Il faudrait se faire archéologue de la haine.

 

Israël a aussi besoin des non-Juifs dans son combat : car lorsqu’un Juif prend la défense de ce pays, on se dit qu’après tout c’est dans l’ordre des choses ; mais lorsqu’un non-Juif prend la défense d’Israël, on s’étonne, on l’écoute plus volontiers, c’est en quelque sorte un oiseau rare.

 

J’aurais aimé taire qu’il y a des années que je répète à mes proches qu’en Europe un acte d’une particulière gravité sera dirigé contre les Juifs, en France plus précisément. Qu’est-ce qui me poussait à avancer une chose aussi grave ? Mon flair, un truc diffus, difficile à expliquer, mais aussi ma sensibilité à une particulière sournoiserie des médias français envers Israël, des calomnies douceâtres, de constantes dénonciations chuchotées, un dénigrement susurré, un commérage, et surtout un manque de courage : on va dans le sens du courant afin d’espérer préserver son confort ; et défendre Israël n’est pas précisément un choix qui assure le confort. Georges Bensoussan l’a dit à raison : nous vivons une période munichoise. A bon entendeur, salut !

 

J’en reviens à l’essai d’Alain Finfkielkraut cité en début d’article. Après la manifestation du 7 avril 2002, l’auteur reçut une lettre excédée d’une correspondante. Elle y rapportait qu’un petit beur d’à peine dix ans criait à ses copains : ‟Si seulement j’avais une kalachnikov, je leur montrerais (aux Juifs), moi !” Alain Finkielkraut conclut que ce gamin ne s’est pas encore saisi d’une kalachnikov et que ‟selon toute vraisemblance, il ne le fera pas et en restera au stade de la provocation verbale.” Mais l’auteur poursuit, et ses craintes exprimées en 2003 prennent une coloration effroyable après les assassinats de Toulouse de mars 2012 : ‟Cette perspective, toutefois, n’est pas vraiment rassurante car la langue qu’il entend autour de lui et qu’il commence à articuler est la langue de l’islamisme et non celle du progressisme. La lutte des classes ne lui dit rien, le djihad l’enchante (…) Il vit dans un autre universel et ce qui le fait enrager, d’ores et déjà, ce n’est pas le joug du capitalisme  et de l’impérialisme sur les prolétaires de tous les pays, c’est l’humiliation des musulmans du monde entier. Conditionné à souffrir d’Israël comme d’une écharde ou d’une morsure dans la chair de l’Islam, il n’est même plus antisioniste : là-bas, ici, partout, les Juifs, à ses yeux et dans ses mots, sont des Juifs et rien d’autres”.

 

 

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