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En lisant « Les Juifs et leur avenir » d’Adin Steinsaltz – 8/8

 

Adin Steinsaltz 2Adin Steinsaltz 

 

XV – L’éducation à la prière

Qu’est-ce que la prière ? La prière peut être pratiquée de manière mécanique, comme une simple gymnastique. Il ne s’agit pas de minimiser la valeur de cette façon de prier mais elle ne peut se suffire à elle-même. Il y a la kavanah (l’intention) de la prière, soit comprendre ce qui est écrit dans les livres de prières. Les explications données sous des angles variés (dont la numérologie) sont importantes mais restent cependant extérieures à l’éducation à la prière. La kavanah ne peut se limiter à une analyse de texte.

Prier, c’est se trouver face à Dieu, loin de toute considération technique textuelle, d’habileté, d’esthétisme. Il ne peut y avoir vraiment de prière si on n’éprouve pas une présence. Autrement dit, il ne peut y avoir de prière si on s’adresse à un mur. Quand je prie, je parle avec quelqu’un, quelqu’un dont l’existence s’impose à moi. Lorsque l’homme prie, il se place explicitement devant quelqu’un.

L’éducation à la prière soulève la question de savoir quel est le degré de conscience qu’a celui qui prie de la présence de Dieu, de la capacité qu’a l’intéressé de transmettre à d’autres cette conscience. Par ailleurs, n’oublions pas que dans presque toutes les prières, on trouve aussi des requêtes à côté des doxologies et des affirmations.

On ne peut comprendre l’acte de prier sans comprendre qu’il s’agit aussi de demander que quelque chose se produise, quelque chose qui implique que les lois ordinaires n’aient plus cours. De ce fait, l’éducation ne peut se limiter à un domaine d’action précis ou à une mitzvah particulière. L’éducation à la prière s’inscrit dans un mode d’éducation plus général, soit un effort pédagogique dans le sens de la foi. Il faut partir de présupposés fondamentaux avant de s’attacher aux détails qui, laissés à eux-mêmes, vident la prière de son contenu. La crise de la prière s’inscrit dans une crise théologique plus générale. Comment prier si on pousse de côté toute théologie et toute définition métaphysique ? On tend toujours plus à suppléer au manque de foi par un rapport au texte préalablement vidé de son contenu. Il est oiseux de se demander si telle façon de prier est démodée. La cause profonde du malaise qu’éprouvent  les gens envers le siddour (livre de prières) tient aux difficultés qu’ils rencontrent vis-à-vis de la foi et de la théologie. Sans structure d’ensemble, les détails ne valent pas grand chose et ne peuvent qu’encourager des comportements ineptes.

L’éducation à la prière est l’un des éléments essentiels de l’éducation à la foi. Et l’éducation à la foi par la prière suppose l’éducation à un certain genre de foi, puisque la prière a un contenu spécifique. L’une des composantes spécifiques de cette foi, c’est la relation personnelle qui s’établit entre celui qui entend et celui qui parle. Celui qui prie doit être convaincu qu’il s’adresse à Dieu — et non à un mur —, qu’Il l’entend et que d’une certaine manière Il lui répond. Redisons-le, on ne peut enseigner la prière que dans le cadre d’une éducation à la foi. On ne peut prononcer certains mots avec sérieux que lorsqu’on a la foi, sous peine de se comporter comme un perroquet. La prière est une superstructure placée au-dessus de la structure générale de la foi, elle ne saurait en aucun cas être une fin en soi. Coupée de la foi, la prière n’est que vacuité.

 

XVI – Le Cantique des cantiques

Le Cantiques des cantiques est constitué d’une série d’emboîtements qui appartiennent à des mondes séparés qui néanmoins se soutiennent les uns les autres, tant et si bien qu’aucun de ces emboîtements ne tiendrait sans l’appui de tous les autres.

L’amour céleste et l’amour terrestre se portent et se glorifient mutuellement. L’amour terrestre laissé à lui-même n’est qu’une expression biologique. Mais lorsque ces deux amours se portent l’un l’autre, lorsque la sensualité investit la spiritualité et inversement, il y a cantique.

Le Cantique des cantiques agit comme un chant général. Il peut être éprouvé tant au niveau individuel que collectif. Son sens parfaitement général permet à tous ceux qui l’écoutent ou le lisent d’y insérer leur propre histoire et de la prolonger. Le Cantique des cantiques est un livre parfaitement ouvert : il n’a ni début ni fin. Les prémices de la relation amoureuse en sont absentes, un manque qui n’est pas accidentel et qui amène une certitude : les amants ont été conçus l’un pour l’autre, ils sont indéfectiblement liés l’un à l’autre. Cette absence de début et de fin place le poème dans un présent éternel, dans une perpétuelle actualité. Cet éternel présent ne fige pourtant pas le poème dans une situation unique. Le système des relations ne cesse de se repositionner dans une suite de séparations et de retrouvailles. Le Cantique des cantiques est un chant de danse, une danse complexe. Et je passe sur l’analyse de ses mouvements. Le cadre de ce poème est à la fois réel et imaginaire. Tous les éléments, bien réels, se font éléments d’un monde onirique. Par ailleurs, ils semblent n’avoir été disposés ainsi que pour servir de décor à cette danse, la danse de deux amants, seule réalité. Et ce décor évolue avec la danse et multiplie ses significations.

Dans ce poème kaléidoscopique, l’amant représente aussi le Divin ; et la bien-aimée représente aussi la forme terrestre de la Shekhinat — Knesset Israël. En dépit de tous les aléas, l’amour de l’un pour l’autre est indéfectible.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

1 thought on “En lisant « Les Juifs et leur avenir » d’Adin Steinsaltz – 8/8”

  1. Impressionnante votre étude! Vous avez su capter magnifiquement la pensée de Steinsaltz
    ! כל הכבוד, חזק וברוך
    kol hakavod, hazak ouvaroukh et en traduction “avec tous les honneurs, fort et béni” (ce qui affadit beaucoup l’expression en hébreu!)
    Amicalement

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