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En réponse à « J’en ai fini du sionisme »

 

L’article en lien m’a intrigué. Il est signé Jonathan Kadosh et intitulé ‟J’en ai fini du sionisme” :

http://frblogs.timesofisrael.com/jen-ai-fini-du-sionisme/?fb_action_ids=885494244795419&fb_action_types=og.comments

Cet article contient des réflexions qui rejoignent les miennes. L’une d’elles — ‟Il est impossible de cautionner rationnellement l’antisionisme sans être antisémite” — pose une base à partir de laquelle l’auteur de ce texte et moi-même pourrions entamer le dialogue.

 

Rav KookRav Kook (1865-1935)

 

Nous avons donc cette base commune et essentielle, le sionisme. L’auteur précise en début d’article que le judaïsme n’est pas qu’une religion et qu’il désigne aussi l’appartenance à un peuple, une remarque que je ne me prive pas de faire. A ce propos, rappelons que chez nous, en Europe, dans le paroxysme antisémite des années 1930-1940, c’est la ‟race juive” qui était traquée. Autrement dit, un non-Juif converti au judaïsme n’intéressait pas les Maîtres de la Race. Parallèlement, et logiquement, la conversion d’un Juif au christianisme ne mettait aucune barrière entre lui et les nazis. Le cas d’Edith Stein, religieuse carmélite mais de ‟race juive”, est symptomatique de l’idéologie nazie. Le cas des Khazars et celui des Krymchaks (pour ne citer qu’eux) sont particulièrement intéressants en regard de cette idéologie ; ils la mettent à nu et en découvrent les mécanismes. Pour les Arabo-musulmans, le judaïsme n’est qu’une religion et ne participe en rien à la structuration d’un peuple. En conséquence, l’État d’Israël ne peut entrer dans leur univers mental. Par ailleurs, il porte atteinte à cette croyance selon laquelle le judaïsme n’est qu’une chrysalide de laquelle est sorti le papillon islam — et je ne parlerai pas du papillon chrétien, du Vetus Israel au Verus Israel. A ce propos, l’islam, ce dernier venu, espère empocher la mise et chapeauter définitivement ce qui l’a précédé, à savoir le judaïsme et le christianisme… La psychanalyse des religions…

L’auteur de cet article s’étonne (ou fait mine de s’étonner) que certains sionistes ne reconnaissent pas le droit aux Palestiniens à un État sous prétexte que le peuple palestinien est une invention. Je suis de ces sionistes et je ne puis nier avoir écrit à maintes reprises que le ‟peuple palestinien” est bien un peuple inventé — d’où l’emploi des guillemets. Je le répète et d’une voix encore plus forte. Et je me rends parfaitement compte qu’une telle déclaration dessert a priori ma propre cause, le sionisme, ce dont j’ai pris mon parti puisqu’on ne cesse de hurler dans l’oreille du sioniste : ‟Tout ce que vous dites sera retenu contre vous”.

Mon interlocuteur passe un peu vite sur la question palestinienne. Tout d’abord, il y a l’étymologie du mot Palestinien, une étymologie que mon interlocuteur connaît parfaitement, je n’en doute pas. Mon interlocuteur qui a vécu (et vit peut-être encore) dans une implantation, en Cisjordanie (je préfère écrire Judée-Samarie), est-il vraiment convaincu de l’existence d’un peuple palestinien ? Il existe un peuple arabe ou un peuple berbère (avec leurs nuances) mais un peuple palestinien ? Et s’il existe, comment le circonscrire ?  Les Palestiniens : Gaza et le Hamas, la Cisjordanie et le Fatah, la Jordanie (la Transjordanie), la diaspora, sans oublier les Arabes d’Israël (environ 20 % de la population du pays) ? Et les Arabes d’Israël et les Palestiniens de la diaspora se sentent-ils solidaires des habitants de Gaza pour ne citer qu’eux ? J’ai beaucoup de questions à vous poser à ce sujet. ‟Les Palestiniens” sont musulmans mais aussi chrétiens. Le mot Palestinien était volontiers appliqué, et spontanément, sans calcul, aux Juifs de Palestine, avant la création de l’État d’Israël donc. Et je pourrais vous citer une longue liste d’écrits dans lesquels Palestiniens = Juifs (de Palestine), en commençant par ‟Néguev” de Thadée Diffre. Le coup de génie de Yasser Arafat a été de changer le sens du mot Palestinien dans les années 1970, ne l’oubliez pas ! Et, je me répète, n’oubliez pas qu’à l’origine les Palestiniens sont les Juifs de Palestine !

Vous écrivez fort justement : ‟Tous les peuples sont des inventions, des constructions de l’esprit, tous sont définis par l’imaginaire de collectifs délimités arbitrairement par les aléas de l’Histoire et de la géographie, tous n’existent que dans l’intersubjectivité des individus qui les composent”. Et alors ? Les ‟Palestiniens” (je maintiens les guillemets, vous m’en excuserez) ont-ils conscience de former un peuple ? Un citoyen arabe israélien est-il un palestinien ? Après tout, il n’est pas chez lui ; il vit sur un territoire qui, pour reprendre la dialectique des ennemis d’Israël, lui a été volé ; il vit dans un territoire occupé. Et les ‟Palestiniens” sont-ils tous des expulsés ou des descendants d’expulsés ? N’y aurait-il pas parmi eux une forte majorité d’immigrés diversement arabes venus travailler auprès des Juifs qui, plus entreprenants, leur donnaient du travail et leur permettaient d’élever leur niveau de vie ? A bien y réfléchir, c’est comme si les Algériens (pour ne citer qu’eux) venus travailler en France réclamaient un morceau du territoire national pour y fonder leur État avec leurs descendants. Le peuple juif est peut-être une invention (sic), comme le sont tous les autres peuples — une construction de l’esprit (je reprends vos propres mots) —, mais c’est une invention qui a quelques millénaires et que justifie sa propre ancienneté.  Mon interlocuteur m’accordera-t-il que le ‟peuple palestinien” est plus inventé que le peuple juif ? Je sais, je sais, je dessers ma cause — le sionisme — et ferais mieux de me taire : ‟Tout ce que vous dites sera retenu contre vous”.

Probablement vous dites-vous asioniste parce que vous ne vous rendez plus compte que vous êtes sioniste, par manque de recul. Je suis certain que si vous quittiez Israël pour quelque temps, votre sionisme vous redeviendrait perceptible. Mais peut-être n’ai-je pas pris la mesure de votre asionisme.

Vous vous dites marqué par Martin Buber, le Rav Kook (sa ‟trinité” Peuple/Loi/Terre comme fondement du nationalisme juif) et Emmanuel Levinas (en particulier ses réflexions talmudiques). Nous avons ces références en commun. Je lis Martin Buber et Emmanuel Levinas depuis longtemps et j’ai découvert le Rav Kook — une révélation ! — il n’y a que trois ans. J’aimerais lire Agnon et bien d’autres écrits dans l’original.

Martin Buber me pose problème ; et je me cite, ce que j’évite généralement de faire. J’ai écrit ce qui suit à la fin d’un article : ‟Mon admiration pour Martin Buber est grande. Il porte les valeurs de l’Aufklärung et du judaïsme. Je me sens proche de cet homme qui se disait sans doctrine. Je m’incline devant cet homme que Louis Massignon voyait comme le continuateur de Judah Magnes. Pourtant, quelque chose me gêne chez lui, m’irrite même  — mais quoi ? Probablement cette hypertrophie de l’éthique et cette atrophie du politique, et plus encore. Israël a besoin de Martin Buber ; mais Israël ne peut se limiter à Martin Buber”. L’hypertrophie de l’éthique et l’atrophie du politique…

 

Martin BuberMartin Buber (1878-1965), photographié par Paul Schutzer.

 

Vous évoquez le sionisme, votre sionisme — car le sionisme est multiple : il y a des sionismes et ils sont nombreux. Vous écrivez que le sionisme avait pour vous vocation à proposer un modèle de société particulier, réalisant ainsi cette merveilleuse prophétie d’Isaïe : qu’Israël soit une lumière pour les Nations. Votre amer constat me conduit à m’interroger sur ce qu’aurait donné le peuple juif s’il n’avait pas connu l’exil et la dispersion. Je ne cherche pas à justifier son exil et sa dispersion, en aucun cas ; mais n’ont-ils pas contribué dans une certaine mesure à la fécondité juive ? Aujourd’hui les Juifs d’Israël ont un État et ils affrontent des problèmes d’État — communs aux États. Le sionisme a-t-il échoué pour autant ? Il me semble que ses propositions restent fécondes, qu’elles sont non seulement multiples mais mobiles, extraordinairement mobiles, qu’elles s’adaptent aux exigences de notre temps et s’adapteront aux exigences à venir, je n’en doute pas.

Je ne vous apprends rien, les Juifs ont été, sont et seront dans une sécurité relative partout dans le monde y compris dans leur pays, Israël. Sont-ils moins en sécurité chez eux que dans la diaspora ? Ce n’est pas à moi d’en juger. Simplement, lorsque j’ai séjourné dans ce pays, au début des années 1980, la tension était extrême. Aujourd’hui, malgré tout, on emprunte les transports en commun avec moins d’inquiétude, je puis en témoigner. Et je ne sais de quoi demain sera fait. La Barrière de séparation israélienne commencée en 2002 y est pour quelque chose. Vous jugez que les Juifs d’Israël sont à présent les plus menacés des Juifs. Je ne puis vous donner tort mais je ne puis vous donner raison. Ce que je puis dire, c’est qu’il y a en Israël un bonheur d’être juif ; et c’est ce qui importe ; et c’est aussi ce qui fait que le sionisme n’a pas échoué. Le sionisme n’a pas échoué et, surtout, qu’il n’a pas dit son dernier mot…

La vie quotidienne est difficile en Israël : vie chère, salaires généralement peu élevés, etc. Mais une force ne transcende-t-elle pas vos pauvres existences ? Les attaques constantes, tant physiques que verbales, en direction d’Israël ne sont pas le fait du hasard : Israël est attaqué parce qu’il est porteur d’un message ; et sur ce point je rejoins le grand rabbin Jacob Kaplan. Cette agressivité de presque tous contre Israël est à mon sens l’un des signes de l’unicité et de la valeur d’Israël, de son élection. La couronne pèse lourd…

Je respecte votre exigence envers votre pays, Israël ; mais ne soyez pas injuste. La densité et la diversité de ce tout petit pays (à peine deux fois un département français) ne cessent de m’émerveiller. On y parle toutes les langues du monde, à l’exception (peut-être) des langues inuit-aléoutes. Ce pays est à l’origine de bien des découvertes qui transforment le monde. Et permettez-moi de vous dire que si Israël n’existait pas le monde serait plus terne.

Mais je deviens affreusement bavard. J’aurais encore beaucoup à vous dire, notamment au sujet du nationalisme juif, de certaines de vos contradictions (nous en avons tous) et dénonciations dans le genre : ‟Le sioniste d’aujourd’hui hait les Arabes comme les anti-dreyfusards haïssaient les Juifs”. Il faudrait éviter ce genre de rapprochement car on arrive sans tarder à ce radotage de bas étage qui mêle Auschwitz/Gaza et Shoah/Nakba. Qu’Israël n’accueille pas à bras ouverts ces milliers de Soudanais venus par le Sinaï, qu’Israël éprouve quelques réticences face à l’arrivée massive de ces Subsahariens ne nous autorise pas à traiter Israël d’État raciste. Toutes les races sont présentes dans ce si petit pays. Il est vrai que je n’y ai pas vu de Bushmen, de Pygmées et de Sames.

Pour ma part, je n’en ai pas fini du sionisme car je sais qu’il a encore beaucoup à nous dire, qu’il est multiple, infiniment riche en nuances, qu’il ne cesse d’interroger les Juifs, en priorité, mais aussi tous ceux pour qui la place d’Israël dans le monde importe. Et que le sioniste visite le salon de l’immobilier et se préoccupe des prix à la consommation n’ôte a priori rien à la pertinence de son sionisme. Je comprends toutefois votre nostalgie des origines, du sionisme du désert où tout restait à faire…

Je n’en ai pas fini du sionisme et je crois pouvoir dire qu’il m’interrogera jusqu’à mon dernier jour. Mais reposez-vous Monsieur Jonathan Kadosh, vous êtes fatigué…

 Olivier Ypsilantis

 

3 thoughts on “En réponse à « J’en ai fini du sionisme »”

  1. Cher Itzhak,
    Je connais bien votre article sur Martin Buber. Je l’ai lu avec un plaisir d’autant plus grand que nous avons une perception très proche de ce grand monsieur parfois irritant, dans sa conception du sionisme, notamment.

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