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Des « Je me souviens » en art

 

Je me souviens de mon trouble lorsque j’ai découvert dans une encyclopédie, chez ma grand-mère, une reproduction du visage de Sainte Thérèse en extase de Bernini. Je me suis alors demandé ce qui pouvait bien provoquer une telle extase… J’avais tout de même affaire à une sainte…

Je me souviens qu’en passant devant les anges du Ponte Sant’Angelo, à Rome, j’ai intensément pensé à Rainer Maria Rilke. Rainer Maria Rilke et les anges…

Je me souviens d’une envie de passer mes mains sur les seins de Modestia d’Antonio Corradini.

0563B_ 012Modestia (milieu XVIIIe siècle) d’Antonio Corradini, Cappella San Severo, Napoli.  

 

Je me souviens de Spencer Tunick, un artiste qui a su présenter des rassemblements considérables de corps nus sans que ne viennent des souvenirs d’épouvante mais plutôt un étonnement soutenu par une sensation de bien-être.

Je me souviens de tant d’heures émerveillées au Musée national d’Athènes. Je ne cessais de penser : ‟Je suis ici chez moi !” De la grande statuaire aux fragments de vases, des statuettes des Cyclades aux Kouros, des poulpes minoens aux scènes à figures noires ou à figures rouges peintes sur vases…

Je me souviens que ma mère préférait le roman au gothique et, pour la Grèce, la période archaïque à la période classique. Ainsi, ai-je retrouvé dans ses affaires des images de Vierges romanes d’Auvergne et de Catalogne à côté de l’Héra de Samos et d’un Kouros visible au Musé national d’Athènes.

Je me souviens des galets peints du mésolithique du Mas-d’Azil. De toutes les productions de la préhistoire ce sont celles qui m’émeuvent le plus. Pourquoi ?

Galets peints du Mas-d'AzilQuelques galets peints du Mas-d’Azil.

 

Je me souviens des rhytons d’Amlach, plus particulièrement des bœufs à bosse, de l’émerveillement qui m’a saisi lorsqu’enfant j’en ai découvert des exemplaires dans une monographie.

Je me souviens de l’octagon d’Ely cathedral, au dessus de la croisée du transept, de ces huit volumes coniques curvilignes et nervurés, en pierre, qui soutiennent une lanterne en bois couverte d’une voûte en étoile. J’ai éprouvé un même ravissement devant les coupoles de Guarino Guarini, à Turin.

Guarino Guarini de l’église San LorenzoLa coupole de Guarino Guarini en l’église San Lorenzo, à Turin.

 

Je me souviens des chaises Directoire, chez ma grand-tante, un style que j’ai d’emblée aimé pour son influence grecque plus affirmée que dans le style Louis XVI dont il poursuit les formes tout en les simplifiant. Et j’y pense, le mobilier Directoire et la céramique Wedgwood vont particulièrement bien ensemble.

Je me souviens de mon plaisir devant certaines œuvres de Joseph Kosuth, un plaisir  cérébral, probablement le plus durable des plaisirs. Je me souviens plus particulièrement de ‟One and Three Chairs”, une œuvre des années 1960 où se dessine toute sa démarche avec ces interrogations sur la nature de l’art.

Je me souviens de ‟Spiral Jetty” de Robert Smithson. Et, de fait, lorsque j’entends ‟Land art”, c’est l’œuvre qui me vient d’emblée. Pourquoi ?

Spiral Jetty by Robert Smithson‟Spiral jetty” de Robert Smithson, vue aérienne.

 

Je me souviens de mon trouble devant certaines œuvres de Gina Pane.

Je me souviens qu’enfant j’avais découpé des reproductions de peintures de Jean Delville, le symboliste belge, pour en orner les murs de ma chambre.

Je me souviens de rêveries dans le salon de ma grand-tante devant des estampes de Hiroshige, devant quelques stations des ‟Cinquante-trois stations du Tokaido” et devant l’un des ‟Cent aspects de la lune” de Yoshitoshi. Je me souviens aussi de portraits d’acteurs de Sharaku, dans l’escalier aux marches qui grinçaient ; j’avais l’impression qu’ils me suivaient du regard et me reprochaient quelque chose, l’un d’eux particulièrement.

Je me souviens de Félix Nussbaum, de cet autoportrait au passeport frappé de huit grosses lettres rouges : JUIF-JOOD.

Je me souviens de Michael Heizer et de ses œuvres trop grandes pour entrer dans un musée.

Michael Heizer, ‟Levitated Mass”Michael Heizer, ‟Levitated Mass”, Los Angeles County Museum of Art.

 

Je me souviens de ces heures tardives où, enfant, je quittais mon lit sur la pointe des pieds pour descendre feuilleter des livres d’art, dans la bibliothèque du salon.

Je me souviens que Sam Francis est venu à la peinture au cours d’un long séjour à l’hôpital, après que son avion se soit écrasé au cours d’un entraînement.

Je me souviens de mon plaisir à suivre la gestuelle de certains peintres, parmi lesquels : Hans Hartung, Georges Mathieu et Gérard Schneider.

Je me souviens de Marina Abramović, une artiste aussi émouvante que Gina Pane.

Je me souviens de certaines petites culottes de John Kacere. Et pour ceux qui n’en connaissent aucune :

http://www.youtube.com/watch?v=uUBeu8aJnhA

Je me souviens que Paul Klee peignit des camouflages pour avions au cours de la Première Guerre mondiale.

Je me souviens de certains monochromes bleutés de Jacques Monory, en particulier de ‟Meurtre N° 10”, une composition de grandes dimensions dans laquelle est placé un miroir avec impacts de balles.

Je me souviens que Winston S. Churchill était peintre à ses heures et qu’il est l’auteur d’un livre intitulé ‟Painting as a Pastime”.

Winston Churchill painting at his easel February, cigar clamped firmly in his mouth. Photograph: Bettmann/CorbisWinston S. Churchill, artiste-peintre.

 

 Olivier Ypsilantis 

 

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